• « Il faut repenser en profondeur le modèle d’habitat urbain en multipliant les jardins collectifs »

    Les familles sont plus résilientes aux crises lorsqu’elles possèdent un habitat comportant une parcelle de terrain à moins d’une heure du domicile en transports en commun, affirme, dans une tribune au « Monde », l’agroéconomiste Marcel Marloie.

    Les émeutes urbaines révèlent une fois de plus le caractère éruptif de certains quartiers de nos villes françaises. L’une des composantes du problème, bien connue mais insuffisamment prise en compte, est l’aménagement de nos territoires urbains et périurbains.
    A la différence des villes d’Allemagne, d’Europe de l’Est et du Nord, nous avons entassé des populations fragiles issues de l’immigration dans des cités qui se transforment en ghettos et en poudrières, pour peu que des dépressions économiques, du racisme et des violences s’en mêlent. Nous n’en sortirons pas avec les seules recettes des plans banlieue qui se sont succédé, y compris le mort-né plan Borloo de 2018. Il faut une refonte en profondeur du modèle d’habitat qui a conduit à un aménagement des territoires inapproprié.

    Il convient d’insister sur la nécessité pour l’être humain d’une relation active à la nature. Mis en cage, certains animaux se tuent ou deviennent dépressifs. Socialisés en appartement, sur le béton et l’asphalte, les enfants sont amputés d’une partie de ce qui constitue leur humanité. Sur la base de ce type de constats, l’Organisation mondiale de la santé avait réintégré le jardinage dans les déterminants-clés de la santé, et invité en conséquence à promouvoir un urbanisme qui puisse « aider à préserver et à protéger des zones qui serviront à des projets collectifs et donneront la possibilité d’une production locale de denrées alimentaires ».

    Un extraordinaire rétrécissement

    De tout temps, l’habitat humain a comporté à la fois le logement et un coin de nature. Ce fut le modèle de la maison avec #jardin qui, à l’Exposition universelle de Paris de 1889, avait été considéré comme la meilleure manière de loger le peuple. Ce fut aussi le modèle de la double habitation, à savoir la maison ou l’appartement en ville complétés par la maison de campagne. Un mode de vie qui était privilégié par l’aristocratie dès l’Antiquité, pratiqué dans toute l’Europe par les classes enrichies à partir du XIXe siècle, et démocratisé au XXe siècle avec la multiplication des résidences secondaires.
    Mais la Charte d’Athènes, rédigée par Le Corbusier à la suite du quatrième congrès international d’architecture moderne de 1933, a vulgarisé un habitat en immeubles collectifs dans lequel le jardin fut remplacé par des espaces verts entretenus par les municipalités, et où les enfants et les adultes n’eurent plus le droit que de regarder et de se promener sans trop courir. Extraordinaire rétrécissement de la conception de l’habitat humain.

    Du fait de l’accroissement de la population, nous n’en reviendrons plus à la maison avec jardin pour tous. Parce qu’il faut juguler l’étalement urbain pollueur et destructeur des sols, il nous est impossible de généraliser la résidence secondaire. Mais, à l’exemple de ce qui existe déjà dans plusieurs pays européens, il est possible de démocratiser encore plus le modèle de la double habitation en complétant le logement en ville par l’accès à une parcelle dans un collectif de jardins. J’entends par « collectif de jardins » ce que nous appelions autrefois en France les #jardins_ouvriers.

    Certes, la plupart de nos élus ont compris le besoin, et tout projet de rénovation urbaine qui se respecte comporte aujourd’hui un #jardin_partagé et quelques dizaines de parcelles de jardins attribués à des ménages. Mais cela reste homéopathique. Pour ne citer que les collectifs de jardins, environ 1 % des citadins français y disposent d’une parcelle contre 4 % en Allemagne, 12 % en Pologne, plus ou moins 40 % en Russie. Les surfaces sont chez nous plus réduites, et il est interdit d’y passer la nuit. Il faut aller plus loin et multiplier ces parcelles.

    La biodiversité et le climat en bénéficient

    Nous avons étudié pendant vingt ans ces expériences, en liaison avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et le ministère chargé de l’environnement. Le modèle auquel nous pouvons aujourd’hui nous référer comporte des parcelles de 300 à 800 mètres carrés attribuées aux ménages avec des maisonnettes dans lesquelles il est autorisé de passer les nuits. Ces espaces sont ouverts au public, incluent éventuellement un jardin pour les enfants, des écoles, des ruches, un poulailler, un terrain de jeu, une bibliothèque, une salle de réunion ou de spectacle… Ils sont administrés par des associations. En France, le collectif de jardins de l’Orme Pomponne, à Ris-Orangis (Essonne), en est une illustration.

    Imaginez ne serait-ce que le tiers des ménages urbains, notamment parmi les plus modestes, pouvant disposer avec leurs enfants d’une parcelle de #terrain de ce type à moins d’une heure de leur domicile en transports en commun, dans un espace correctement administré, l’utilisant selon leurs goûts et leurs besoins, à la fois pour produire, se refaire une santé, se reposer, recevoir la famille et les amis, se divertir, créer de la beauté.

    Nous savons que les enfants socialisés dans ces conditions s’y épanouissent, que les familles sont plus résilientes aux crises, que la biodiversité, le climat et la démocratie en bénéficient. Il ne fait guère de doute que cela pourrait faire régresser la violence urbaine.
    Cela suppose bien sûr un réaménagement de l’espace et donc une réflexion plus globale sur la place laissée aux espaces de nature dans la ville et à proximité. Compte tenu de l’ampleur du défi social auquel nous sommes confrontés, il est temps de repenser l’aménagement de ces #territoires urbains et périurbains.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/17/il-faut-repenser-en-profondeur-le-modele-d-habitat-urbain-en-multipliant-les

    #habiter_le_monde #villes #cekinaurapalieu