Rumor

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  • Yagil Levy, sociologue : « Le système politique d’Israël est complètement paralysé »
    https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/24/yagil-levy-sociologue-le-systeme-politique-d-israel-est-completement-paralys

    Je ne connais aucun exemple dans l’histoire militaire récente [depuis la seconde guerre mondiale] où l’on observe ce ratio de pertes entre soldats et civils. Côté israélien, les pertes se montent à environ 60 soldats, comparé à 14 000 personnes tuées dans Gaza, dont au moins 6 000 enfants. C’est un ratio de un contre cent.
    On ne voit nulle part un tel rapport. C’est à ce prix qu’est économisée la vie des soldats, et cela entre en contradiction avec le besoin de légitimation vis-à-vis de l’extérieur. On n’entend pas en Israël de discours mettant en cause l’action militaire à Gaza, car dès que l’on prend en considération la morale, Israël ne peut plus se battre à Gaza, sauf à perdre plus de soldats. Si le coût humain de l’opération montait en flèche, elle deviendrait illégitime, mais cette fois aux yeux de la population.

    #Gaza

    • Une partie de l’opinion considère que ceux et celles qui ont été enlevés sont des gens de gauche, ceux des kibboutz, qui ne sont pas des endroits où l’on trouve des ultrareligieux. Ce n’est pas l’électorat du Likoud [parti de droite du premier ministre, Benyamin Nétanyahou] ou de l’extrême droite. On peut entendre, en ce moment, des expressions de haine, parfois, à l’égard de ces otages, estimant qu’ils empêchent l’armée de se consacrer à sa tâche, qui est d’annihiler le Hamas.

      (...)
      On ne peut pas commencer une guerre sans définir de buts clairs, avec, par conséquent, un plan de sortie. Or, nous n’en avons pas. Il n’y a pas de plan pour le « jour d’après ». De plus, dans les médias israéliens, il n’y a presque rien au sujet de l’impact des opérations à Gaza sur la population. Une forme de déshumanisation est à l’œuvre, mais elle n’est pas neuve. Historiquement, depuis l’effondrement des accords d’Oslo [1993], nous avons déshumanisé les Gazaouis, non seulement en refusant de regarder le sort qui était le leur dans l’enclave, mais aussi par simple mépris. Le fait que nous n’accordions pas d’attention aux destructions là-bas est dans la continuité de ce que nous avons fait depuis vingt ans.

    • Que vous inspire le niveau de destructions opérées dans Gaza ?

      En sociologie des conflits, on parle de « transfert de risque ». Cela signifie que des troupes d’une armée régulière opérant contre un groupe armé dissimulé au sein de la population, obligées de minimiser leurs pertes, transfèrent le risque qui pesait sur elles sur l’ennemi, y compris sur les civils.

      Ce que les Américains et les Britanniques ont commencé à faire dans les dernières décennies, c’est de transférer le risque. Par exemple, en opérant des bombardements massifs à distance. C’est pratique, si l’on veut, mais ce n’est pas soutenable, du point de vue de la légitimité de l’action. Il faut donc tenter de relégitimer les opérations militaires conduites ainsi.

      Il y a plusieurs méthodes pour tenter d’y parvenir. L’une d’entre elles consiste à décrire votre ennemi comme ne méritant pas d’être protégé, et impliquant qu’il n’est pas nécessaire d’établir une distinction entre combattants et civils. Les Américains ont tenté cela, en Irak et en Afghanistan, et ils ont arrêté en comprenant que c’était une erreur. Ce que font les Israéliens, c’est brouiller toute distinction, en sous-entendant que le Hamas, Gaza et les terroristes tueurs du 7 octobre, c’est un peu la même chose.

      [...]

      Quelle aurait pu être l’alternative ?

      Peut-être tirer un avantage du cessez-le-feu [il a débuté vendredi 24 novembre au matin pour une durée de quatre jours] pour dire : très bien, voici nos exigences, nous voulons stopper les hostilités à la condition, par exemple, que l’Autorité palestinienne prenne le contrôle de Gaza, avec ou sans notre aide, dans l’idée de bâtir une solution à deux Etats. C’est le moment d’avoir un plan. Sinon la guerre va se poursuivre dans les mêmes conditions. Personnellement, je souffre de voir ce que nous faisons à Gaza.

      Ce contexte n’est-il pas un facteur qui menace, à terme, la stabilité d’Israël ?

      Bien sûr, ce qui est à l’œuvre, c’est la construction politique du futur, liée à la manière dont se définira notre sécurité. Pour commencer, il faut pouvoir traiter avec une entité politique en mesure de gouverner l’enclave. La grande peur, c’est de se retrouver avec Gaza sans direction, sous le contrôle de milices, comme Mogadiscio en Somalie. Il est encore temps de changer d’approche. Nous n’avons pas le choix : il faut trouver un accord avec l’Autorité palestinienne pour administrer la bande. Il faut aussi cesser de détruire Gaza et de tuer des milliers de gens.