• Préférence ethnique à la Corse

    Par Jack Dion

    La Corse serait-elle un territoire perdu de la République ? La question se pose après l’adoption par l’Assemblée locale d’un statut digne de la préférence ethnique chère à Marine Le Pen : la préférence corse. Pour devenir propriétaire d’une maison ou d’un logement dans l’île, il faudrait y vivre depuis au moins cinq années. Seule exception : les corses du continent, en raison des liens du sang. Bref, il y a les corses de souche et les autres.
    Il s’agit d’une véritable gifle à la République et à la notion d’égalité entre les citoyens héritée de la Révolution. Qu’une telle conception ait été défendue à la fois par les indépendantistes, ce n’est pas nouveau. Que ces derniers aient été relayés par les représentants locaux du PRG est plus surprenant. Jusqu’à plus ample informé, le PRG, emmené par l’ineffable Paul Giacobbi, député de Haute-Corse et président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse, est un parti membre de la majorité gouvernementale. Voici peu, Manuel Valls se faisait fort d’être soutenu par les députés PRG à l’Assemblée. On s’étonne qu’il n’ait pas encore soufflé mot d’une telle entorse aux principes républicains.
    Officiellement, il s’agit de lutter contre la flambée des prix et la spéculation immobilière dans l’île de beauté. Le prétexte est louable, et le souci respectable. Mais en quoi le tri ethnique protègerait-il contre une dérive qui se joue des ADN ? Qui oserait prétendre que tout Corse descendant en ligne directe du Paoli est immunisé contre la dérive spéculative ? Que dirait-on si l’île de Ré, qui souffre des mêmes dérives, proposait un statut semblable aux non rétais d’origine ? Que dirait-on si l’on réservait l’emploi sur le continent à ceux qui ne sont pas natifs des îles qui composent la France ?
    En vérité, on cache sous de faux prétextes une approche xénophobe, afin de protéger des réseaux locaux qui entendent régenter le business de l’immobilier. On justifie ainsi une approche quasiment raciste excluant une catégorie de Français avec des raisonnements similaires à ceux qui ont conduit à l’éclatement de l’ex Yougoslavie.
    Certes, chacun sait qu’une telle décision est une violation de la Constitution et qu’elle sera jugée comme telle. Mais il est toujours dangereux de jouer avec les allumettes de l’identité. Jusqu’à preuve du contraire, la Corse c’est la France, avec ses droits et ses devoirs. Cela ne lui enlève rien de son histoire, de sa spécificité, et de ses traditions. Mais cela suppose que ses élus en soient dignes.
    (Cet article a été publié dans Marianne)