Supergéante

Retoquée profesionnelle.

    • Bon, un extrait:

      « Vu de l’étranger, on se demande bien quels sont les besoins de certains secteurs de la société française qui sont assouvis tous les ans à nouveau avec les produits de ce “philosophe” dans toutes les formes médiatiques, produits qui pullulent du reste d’erreurs factuelles », notait l’historienne allemande Ingrid Gastler dans une tribune énumérant les « pillages et les déformations » concernant Simone de Beauvoir dans le tome 9 de la Contre-histoire de la philosophie[6]. La question est pertinente.

      Qu’est-ce les succès phénoménaux des livres d’Onfray nous disent de la société française ? S’ils sont le nom de quelque chose, c’est sans doute du fossé de défiance qui ne cesse de se creuser entre « les élites » et « le peuple », fossé qui recouvre largement celui qui sépare Paris de la province. Deux vieux clivages dont Onfray sait jouer à merveille, en se revendiquant du peuple et de province, contre « la grande bourgeoisie parisienne » qu’il ne cesse de pourfendre. Sa dénonciation porte d’autant plus qu’elle se propose de dévoiler des ressorts cachés de la domination. Onfray se fait ainsi redresseur de torts, rendant hommage à des auteurs méconnus qu’il présente comme injustement ostracisés.

      À la manière de ces théories du complot mettant en doute « les vérités officielles », Onfray dénonce, depuis le succès (80 000 exemplaires) de son Antimanuel de philosophie (Bréal, 2001), une hypothétique occultation d’un pan entier de la tradition philosophique occidentale, celle du matérialisme, par l’Université française. De diatribes en diatribes contre « les fonctionnaires de la philosophie » et « l’ordre universitaire et ses principes policiers », il a ainsi construit sa contre-philosophie.

      Mais pour que cette dernière soit possible, ne faut-il pas qu’une philosophie existe ? « Sans l’Université, qu’elle reconstruit à l’aune de ses fantasmes, la contre-philosophie n’existerait pas ; elle est en effet, à sa façon, un rouage, du moins un effet d’une topographie institutionnelle », observe Jean-François Kervégan, professeur à l’université Paris 1 qui souligne la place sans équivalent au monde de la philosophie dans le système scolaire français[7]. De l’enseignement obligatoire de la discipline en classe de terminale en sacro-sainte agrégation, la France a fait, depuis la IIIe République, de la philosophie sa religion laïque. « Là où d’autres ont des gourous et des astrologues, nous avons des philosophes », poursuit Kervégan. C’est de ce fond géologique très français que le volcan Onfray tire son magma.

      En conclusion de sa thèse, Onfray vantait « le philosophe artiste », tout à la fois « expérimentateur [qui] ne cesse de mettre en pratique de nouvelles possibilités de vie puisque tout est permis », « destructeur [qui] sait se faire cruel à l’égard des idoles, des idéaux, des phantasmes », mais aussi « éducateur [qui] synthétise dans son souffle les qualités du conducteur capable de sélection, de discipline, d’estimation critique [et qui] parce que maître, est législateur, démiurge immanent, rêveur dyonisiaque ». Ces lignes datent de 1986.

      Presque trente ans plus tard, on peut donner crédit à son auteur d’avoir mis en pratique ce programme. Il n’appartient qu’à « l’expérimentateur » de tirer le bilan de ses possibilités de vie. Le « destructeur » a démontré tant sa fureur iconoclaste que son absence de rigueur. L’« éducateur » use de ses indéniables talents de pédagogue dans ses universités populaires. Reste que l’on s’inquiète de ce que pourrait donner une éruption du « législateur, démiurge immanent »."