• Gilets Jaunes : la révolution précède la grève, Jacques Chastaing
    https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/260419/gilets-jaunes-la-revolution-precede-la-greve-par-jacques-chastaing

    (...) Sonnant peut-être étrangement à des oreilles actuelles, cette formule de « la révolution qui précède la grève » était très largement partagée à ses origines et signifiait simplement que le mouvement ouvrier était né d’abord comme politique et révolutionnaire avant d’intégrer à soi le domaine des revendications économiques et sociales, syndicales et partielles avant que la tendance ne s’inverse.

    Comme cette formule peut paraître surprenante, nous voudrions ici éclairer le passé avec ce que nous apporte le soulèvement des Gilets Jaunes et comment ils nous disent que dans cette phase du capitalisme pourrissant nous sommes entrés dans une nouvelle ère de révolutions. Inversement, nous voudrions aussi ici éclairer le soulèvement des Gilets Jaunes à la lumière des premiers pas du mouvement ouvrier et de ses débats.

     On peut être surpris que j’associe la conscience de classe aux Gilets Jaunes alors que ce ne semble pas ce qui les définit le mieux. 

    C’est vrai. 

    Mais la conscience de classe n’est pas une chose qu’on trouve toute faite ou qui surgit soudainement au détour du chemin ou encore qui se transmet comme un trésor de génération en génération. Elle advient, se déploie, se renforce au décours de nombreux événements variés, dans des conflits qui opposent des intérêts différents, dans la tempête, les cris, les injures et les tumultes, puis s’estompe un moment, semble disparaître et se réanime à nouveau à l’occasion de nouveaux conflits. Elle ne se « définit » jamais de manière isolée, abstraite et transportable en livres à travers les temps, mais par ses conflits avec d’autres classes et le mouvement même de ces conflits.

    Ainsi Marx disait de la Commune de Paris en 1871 que c’était la première révolution ouvrière alors qu’il n’y avait pas ou quasiment pas d’ouvriers en son sein et que ses animateurs ne se pensaient surtout pas comme porteurs d’un message « ouvrier ». Il disait que la Commune était « ouvrière » par sa place et sa dynamique dans les circonstances internationales du moment. 

    De la même manière, le mouvement des Gilets Jaunes ne se définit pas que par lui-même mais aussi par son environnement, ses lisières, son évolution, l’évolution de ses porte-paroles, de ses combats, les hommes et les organisations qu’il entraîne comme alliés, ceux et celles qui le combattent et le dénoncent, ce qui est dit de lui, ce que lui-même dit des autres et des autres classes, bref par sa place dans la dynamique populaire actuelle dans les circonstances globales du parasitisme croissant et destructeur du capitalisme mondial.

    Le soulèvement des Gilets Jaunes est un mouvement de la classe ouvrière. Sa radicalité en est l’expression.

    Bien sûr, il s’agit surtout d’un « ton » radical. 

    Les Gilets Jaunes ne sont pas - pour le moment du moins - anti-capitalistes. Ils ne s’attaquent pas aux rapports de production, à la propriété privée des moyens de production. Ils en sont même très loin... mais aussi très prés tout à la fois.

    On pourrait dire en effet que si le sentiment global des Gilets Jaunes et de « classe », que leur composition sociale est majoritairement « ouvrière », « l’idéologie » dominante des Gilets Jaunes par contre est plutôt celle des petits producteurs, des artisans, des auto-entrepreneurs, des travailleurs indépendants, des travailleurs ubérisés qui ne veulent surtout pas être ouvriers et qui cultivent l’idéologie du « travail ». Parce que s’ils sont « ouvriers », ils sont ces ouvriers là. Il n’y a pas pire insulte pour les Gilets Jaunes que « cas sociaux » voire « chômeurs ». Ils déplorent la disparition du petit commerce indépendant, du petit artisan indépendant, du petit paysan, du petit producteur et dénoncent avec virulence les « grands », les hypermarchés, les grandes surfaces, les chaînes d’alimentation, les fast food... Leurs valeurs sont l’indépendance voire l’individualisme et le travail, la réussite par le travail. 

    En même temps, ils ont l’intuition que ce monde est fini, qu’internet qu’ils utilisent comme personne détruit l’indépendance du petit producteur, qu’Amazon et ses consœurs détruisent ce monde tout particulièrement à la campagne où ils travaillent et résident le plus souvent et que les auto-entrepreneurs, les aides à domicile, les chauffeurs de VTC, les livreurs en voiture ou à vélo ubérisés ne sont que de prolétaires déguisés soumis à la même discipline que dans les usines, voire pire, n’ont plus d’indépendance et perdent leur dignité non pas à vivre de leur travail, mais à s’auto-exploiter dans un capitalisme mondialisé.

    Aussi, ils ne sont pas « contre » les ouvriers comme la petite bourgeoisie a pu l’être lorsqu’elle pouvait échapper au prolétariat, ils les comprennent au contraire comme si c’étaient des travailleurs indépendants qui avaient perdu leur indépendance. Ils en sont très proches. Ils préfèrent cependant parler de pauvres et de riches parce que c’est leur ancien vocabulaire du temps où ils ont pu espérer un mieux plutôt que d’ouvriers et de bourgeois parce que ce vocabulaire a aussi été trahi, sali par les directions syndicales et politiques ouvrières. Cette conscience « ouvrière » se lit dans leur énorme solidarité à l’égard de ceux qui ont sombré, les SDF – et qui pourraient être eux demain. Autant ils ne supportent pas de s’entendre dire qu’ils ne veulent pas travailler autant ils pensent que ceux qui ont sombré ne sont pas des « fainéants » des « rien » des « alcooliques » ou des « illettrés » comme le dit Macron, mais ont des « droits » en tant que travailleurs qu’ils continuent à être mais travailleurs au chômage.

    Les Gilets Jaunes et les meilleurs de leurs portes paroles ont l’intuition qu’il n’y a plus que deux classes, que la classe moyenne et ses valeurs auxquelles ils adhèrent sentimentalement, s’estompent lentement. Ils ne se font pas d’illusion : la classe moyenne n’est pas un avenir possible pour eux. L’avenir est du côté de la classe ouvrière.

    #Gilets_Jaunes #classe_ouvrière #grève #histoire