• L’antiterrorisme, une politique devenue une idéologie dangereuse

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    L’idéologie antiterroriste, c’est la construction artificielle d’une figure de l’ennemi et ses excès, c’est la participation des militaires à la lutte contre le crime, c’est le mépris du droit et la dramatisation de la menace. Au final, elle permet à l’adversaire d’être reconnu comme le soldat « d’une armée constituée », un succès inespéré. L’antiterrorisme, aujourd’hui, s’apparente à « une chute morale sur le champ de bataille », il nous empêche de voir le vrai visage de la menace.
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    Ce livre, formidable bouffée d’air après quatre années d’un discours à sens unique formaté par un Etat dont l’autorité régalienne étouffe d’autant les esprits que la population a été sidérée par la violence terroriste, est un appel à la raison et au sang-froid. « Il faut opposer au bruit des attentats le silence monacal de la connaissance (…), chacun devrait disposer des facultés de poser un discours sur la sécurité, à la fois la sienne propre et celle que l’Etat peut à bon droit revendiquer, tout en s’affranchissant des propagandes. »

    Malheureusement, au besoin d’explication, l’Etat a répondu par l’extension du secret. « Bien plus que de prévoir, gouverner c’est cacher », note M. Thuillier, pour qui la raison de ce recul du débat démocratique trouve sa source dans une « grande pétoche collective, associée par endroits à une colère et à une vengeance qui pavent parfois la route de la justice préemptive ». Le législateur, dont on se demande s’il est « l’idiot utile des dérives de l’antiterrorisme ou son meilleur garde-fou », a encouragé le chevauchement du renseignement, le monde du secret, sur le judiciaire, le monde du contradictoire et du débat.
    La loi des suspects

    Ce livre entend également alerter les consciences sur un glissement inquiétant de l’antiterrorisme, qui se décline désormais sous forme de lutte contre la radicalisation. « Nous avons placé la lutte antiterroriste sur le terrain spirituel et comportemental, et renoncé ainsi à notre tradition laïque. » En passant d’une police de l’acte à une police du comportement, de la répression d’un crime à la lutte contre une idéologie, on a cru, dit l’auteur, se rapprocher au plus près des intentions des auteurs des attentats. « Faute d’arguments scientifiques, tout porte à croire qu’on s’en est éloigné. » C’est l’avènement de la loi des suspects.