• Le long manteau de l’Amérique

    Extrait tiré d’un livre admirable de Anatol Lieven, journaliste et historien britannique, co-directeur de la Carnegie Endowment for International Peace à Washington, intitulé « Le nouveau nationalisme américain »

    Pour bien comprendre les tenants et aboutissants du nationalisme américain actuel, qui plonge ses racines dans le passé et dans d’anciens modes de croyance et de comportement, alimentés par la peur et les frustrations.

    Folio documents 30

    Le nouveau nationalisme américain

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    (...)Pour ce qui concerne la masse du peuple américain, cet empire (américain), même indirect, demeure un empire qui refuse de se reconnaître comme tel ; en présentant aux électeurs ses projets impériaux, l’administration Bush, après le 11 Septembre, a pris soin de leur donner un habillage différent, et les a justifiés d’une part comme relevant d’une stratégie bienveillante de propagation des valeurs américaines de démocratie et de liberté ; d’autre part, comme essentiels à la défense non pas d’un empire américain, mais de la nation elle-même.

    Car bon nombre d’Américains ne sont pas seulement intensément nationalistes, mais belliqueux lorsqu’il s’agit de répondre à tout ce qu’ils perçoivent comme une attaque ou une offense envers les États-Unis : « Ne me marche pas dessus ! », avertissait le serpent figurant sur le drapeau des insurgés pendant la guerre d’Indépendance. Cette attitude a été parfaitement résumée par John Wayne, icône du nationalisme américain, lorsque, incarnant pour son ultime rôle, dans Le Dernier des géants, un tireur d’élite atteint d’un cancer, il déclare : « On ne me traitera pas injustement, on ne m’insultera pas, personne ne portera la main sur moi. Je ne fais pas ça aux autres, et je leur demande d’en faire autant’. »

    Dans la mesure où ils expriment la fierté, le sens de l’honneur et la capacité d’assumer sa propre défense, ce sont des mots sympathiques, voire admirables. Mais il n’est pas inutile, dans ce contexte, de se rappeler une vieille expression du xviiè siècle, « laisser traîner son manteau », qui signifiait provoquer délibérément une querelle : en laissant traîner son manteau par terre, on pouvait s’attendre à ce que quelqu’un d’autre marchât dessus, et l’on aurait alors une bonne raison de le provoquer en duel. On pourrait dire que les
    impérialistes américains ont une certaine tendance à laisser traîner un peu partout dans le monde le manteau de l’Amérique, sans même que la plupart des Américains s’en aperçoivent, lesquels réagiront, lorsque le manteau sera effectivement piétiné, avec la fureur nationaliste escomptée, dans la grande tradition du « Ne me marche pas dessus ».

    Si l’on ajoute à cela un solipsisme aux dimensions nationales, l’ignorance du monde extérieur qui caractérise le public américain, ainsi que ses préjugés contre l’Islam, on comprend mieux comment la « guerre contre le terrorisme a pu s’étendre, de façon catastrophique, depuis ses cibles originelles - et légitimes - que sont Al-Qaida et le régime des Talibans, jusqu’à l’Irak baasiste, aux groupes anti-israéliens de Palestine et du Liban, et se portera vraisemblablement, dans l’avenir, contre d’autres pays et d’autres forces encore. Et c’est dans cette réserve de nationalisme aigri qu’on a également puisé pour présenter un vaste éventail de négociations ou de conventions internationales, depuis le Tribunal pénal international jusqu’aux restrictions des émissions de gaz à effet de serre comme offensantes ou contrevenant à la souveraineté nationale.(...)