Rezo

Le portail des copains

    • Tous les cours se ressemblent. Se lever une demi-heure avant à grand-peine (rythme de sommeil complètement déstructuré), s’asseoir et ouvrir l’ordinateur, le connecter à la 4G instable du téléphone, chercher le lien de la visioconférence, couper le micro, et malaise.

      Malaise des professeurs qui monologuent devant une galerie de portraits ennuyés et silencieux, au mieux, devant une grille de prénoms muets la plupart du temps. Mosaïques sinistres de visages qui en disaient davantage derrière un masque. Les professeurs disent : Je sais que les temps sont difficiles mais nous n’avons pas le choix, vous lirez cet article pour la fois prochaine, rendez-moi le travail pour mi-décembre. Ils disent aussi, sur un ton angoissé ou agacé – sûrement conscients du ridicule de la situation – Est-ce que ça va ? Vous m’entendez ? Quelqu’un veut répondre à la question ? Bon, s’il n’y a pas de remarque alors je poursuis. Malaise des étudiants, notre malaise. Il n’y a pas de questions parce qu’il n’y a rien à questionner ; on ne sait pas exactement ce qui vient d’être dit et on s’en fout, aussi. Trop difficile de rester concentré, les écrans finissent par brûler et fatiguer les yeux, la tête bourdonne des bruits de micros saturés. Malaise parce que ça ne rime à rien, parce que c’est complètement irréel, parce qu’on ne voit plus pourquoi on continuerait. Ça avait du sens lorsque c’était encore pris dans des relations sociales, lorsqu’il y avait un rapport entre le professeur et les étudiants, un jeu de regards, des interventions spontanées, des corps et des attitudes, un ancrage dans le réel. Ce n’est plus le cas. Et, pire, l’irréalité n’a plus de bornes depuis que le professeur donne cours dans nos chambres ; il n’y a plus guère de séparation spatiale entre vie étudiante et vie personnelle, et la première – celle qui déjà occupait et préoccupait beaucoup – envahit totalement la seconde. Avant, on refermait le cahier ou l’ordinateur portable, on faisait son sac, on discutait quelque temps avec des camarades ou un professeur, on prenait le métro, le bus, le vélo ou on marchait jusqu’à chez soi. Maintenant, on quitte la réunion Zoom et on reste sur la même chaise, dans la même chambre, avec la même solitude, à faire ce que l’on faisait de creux ou de sans intérêt pour passer le temps pendant le cours qu’on n’écoutait pas vraiment. Toujours ce sentiment d’irréalité, d’absurdité ; ce malaise.