• Émergentisme et effet de Seuil - Le Moine Bleu
    http://lemoinebleu.blogspot.com/2022/01/emergentisme-et-effet-de-seuil.html

    « Pendant des millénaires, avant que la biologie ne vienne tout embrouiller [sic], ce que l’on appelle à présent “le vivant” était plutôt l’animé — ce qui est doté d’une âme. En latin, en grec, en hébreu et dans tant d’autres langues, la notion d’âme —anima, psyché, rouakh— renvoie au souffle, au vent, à la respiration. Ce qui est vivant est donc ce qui est traversé, traversé d’un souffle. Vivre, ce n’est pas être un centre organique autogène, ni même une volonté de puissance ou une forme d’organisation — c’est participer de ce qui nous entoure. C’est être en état de participation cosmique. »

                    (Manifeste conspirationniste)

             *
    Quoi qu’il puisse se trouver des dialecticiens stupides, il ne saurait exister de réductionnisme intelligent. La célèbre et pathétique sentence d’un Changeux le prouve assez, lequel assimilait purement et simplement, au début de la contre-révolution libérale des années mil neuf cent quatre-vingt (dans son Homme neuronal), émergentisme et vitalisme, promettant au premier (du haut de sa suffisance neuroscientiste) le sort que la biologie moléculaire avait, selon lui, déjà réservé au second, à savoir le coup de massue définitif, suivi de l’extinction rapide. Or, l’émergentisme http://lemoinebleu.blogspot.com/2020/04/des-systemes-vivants-de-leur.html (il sera possible de nommer autrement, à volonté, une telle tendance foncièrement dialectique) reste incontestablement bien vivant, à proportion, précisons-le, de la charge critique et rationnelle qui lui sera associée. Notre émergentisme spontané pourrait ainsi, par exemple, se définir comme suit : toute habitude intellectuelle consistant à rechercher, derrière des choses ou des faits présentés comme semblables, une vérité de rapports complexes émergents permettant à la fois, dans le même mouvement, d’amalgamer ces faits et choses, et de les distinguer radicalement. C’est cette complexité qui fatigue le réductionnisme, le décourage et le dépasse. Le réductionnisme n’apprécie rien moins que les discours compliqués susceptibles de venir lui casser sa petite planète substantialiste, son joujou-clé du monde simpliste capable, seul, de lui ouvrir enfin les portes de la grande Authenticité mystique, éprouvée sans paroles. Le stalinien, le nazi, le monothéiste à l’ancienne ou le libéral d’avant-garde jouissent également de ce bonheur du grand Principe unique (le ≪Matérialisme≫, le Peuple, Dieu, le Marché) auquel on sacrifie tout, ce grand Principe transcendant toute nuance, toute explication, toute réflexion déjà menaçante. L’extrait du texte contemporain ci-dessus représente une illustration canonique du genre, saupoudrage resucé, et laidement rhapsodique, de tout ce qui se fit de pire et de plus efficace, hélas ! en matière d’irrationalisme au siècle dernier, qui continue grave d’empester l’atmosphère. Une colère monstre, donc, se trouve déployée là contre le discours ≪qui embrouille tout≫ — la ≪biologie≫, en l’espèce, mais de manière générale : tout jugement d’entendement tenté de distinguer, de morceler quelque peu l’intuition suprême. Symétriquement, la mobilisation générale est proclamée, en défense d’une soi-disant ≪participation cosmique≫ sentant fort sa vieille bergerie de l’Aître mais dont la niaiserie alpestre signifierait (donc) suffisamment... la vie. La vie en soi, la vie seule, la vie unique tout entière réduite à un même souffle embrassant, d’un sublime baiser absolu (rappelez-vous ce Monologue du Virus http://lemoinebleu.blogspot.com/2020/04/deep-virology.html d’un autre moment délirant récent) les singes, les algues, le SRARS-Cov2, les pierres ou les membres humains, par exemple, des éditions de la Fabrique. Il était dit, à l’époque (et la chose est encore rappelée dans l’extrait ci-dessus du Manifeste conspirationniste) que l’adversaire épistémologique, c’était le sujet. Le sujet, le pôle d’unité (ou ≪centre organique autogène≫ ; ou ≪forme d’organisation≫, etc), pour ces gens abreuvés dès leur plus jeune âge du lait foucaldien et heidegerrien, nourris au ressentiment antidialectique universitaire de production typiquement française, le sujet, donc, c’est le mal. Car tout sujet renvoie au sujet logique, à l’organisation de la phrase, seule capable de faire émerger un sens. En résumé, le sujet renvoie par principe à toute une philosophie de la syntaxe dont l’ontologie d’Aristote, en particulier, fournit le suprême exemple, certes aporétique. À ce mal subjectif (donc rationnel) s’opposerait un bien : la prolifération anarchique de ≪formes≫ de vie acéphales, dont la forme n’est au fond rien qu’une pauvre blague, puisqu’elle ne décide de rien quant à sa matière, et que cette dernière, en revanche, sans cristalliser jamais, ne manque, quant à elle, ni de projet ni de capacités stratégiques. On comprend la détestation portée à la biologie ≪qui embrouille tout≫ par ces sectateurs vitalistes de l’ontologie modale décentralisée. La moindre cellule du moindre animal n’est-elle cependant point porteuse d’un certain projet central ? La forme d’un tel projet n’en impose-t-elle pas de manière génétiquement évidente à sa matière ? Le Logos de Hegel et Aristote n’ont-ils pas eu raison contre Bergson, comme le rappelait Canguilhem ? Nul besoin d’être un sujet, rétorquent nos conspirationnistes du jour, pour élaborer des buts, des stratégies, des pensées, pourquoi pas ! mais qui n’auraient alors rien de distingué à opposer à cette matière, cette grande vie indifférenciée fournissant l’énorme principe bien commode de tout. Mais ≪la vie≫, n’en déplaise à ces messieurs-dames qui la cherchent partout sans fin, n’existe ni comme souffle archaïque, ni comme aucun autre principe isolable. Ce qui existe, c’est précisément la différence vitale, laquelle n’est accessible qu’à l’esprit. Cet esprit proprement humain qui, seul, par l’entremise de son sujet logique, se trouve apte à comprendre qu’il n’existe lui-même qu’en tant qu’extrémité de processus matériel (ou naturel) s’étant tragiquement oublié comme tel. Le paradoxe pénible restant que nos vitalistes, prétendant gagner sur tous les tableaux de la confusion, demeurent en guerre (officielle) ouverte contre de prétendus ennemis bio-politiciens prétendant, à les croire, entretenir, gérer, voire parfois même produire si besoin cette fameuse vie nue qu’ils prétendent eux-mêmes avoir découvert et percé à jour comme souffle transcendantal. Mais bref : au-delà de cette ineptie reconnue, encore et encore, à ce concept foireux de bio-politique dans tous ses variants possibles (plus ou moins virulents et agressifs pour les poumons et le cerveau), le conflit reste donc le même entre partisans, d’un côté, de l’immédiateté, de l’irréflexion, de l’irrationalisme, et ceux de la médiation (ennemis reconduits de l’enthousiasme absolutiste). Les premiers ont toujours pour eux la séduction, à caractère largement juvénile (qui dure, ou prétend durer) et la prétention perpétuelle à l’espérance, le plus souvent très mal comprise, c’est-à-dire théologiquement (d’où leur fascination récurrente pour le kabbalisme, dont on leur Segré, ou toute autre mysticité archaïque et/ou gnostique produite en quantité suffisante sur le marché actuel conjoint de la dépression et du développement personnel). Les amis de la médiation, de leur côté, sont - il est vrai ! souvent grandement ennuyeux, rabat-joie, pessimistes. Ils ne voient pas la rose dans la croix du présent, certes. C’est déjà ça. Et ce monde les dégoûte bel et bien, principalement dans le dévoiement qu’il incarne de la raison. Mais on les trouve bien indécis au moment de l’attaque, saturés d’un doute paralysant préjudiciable à l’entertainment, à la sacro-sainte ≪Praxis≫ jugée par eux, pour l’heure, largement corrompue dans l’oeuf (sauf le jaune, parfois, pour peu qu’il porte gilet) et impossible. En attendant mieux, il leur reste néanmoins le corpus imposant, et renouvelé par roulement semestriel, des textes à visée conspirationniste-blanquiste-vitaliste, à lire et relire au lit, au matin, histoire de rigoler un peu. En constatant que, décidément, rien ne change au pays du Bloom.

    https://www.youtube.com/watch?v=noo1_wUGsIU

    #covid-19 #pandémie #horsolistan

    https://seenthis.net/messages/944728