Le passe vaccinal comme outil de contrĂŽle politique
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Selon notre chroniqueuse, le passe vaccinal peut servir Ă brider la contestation politique, comme dans une commune du sud-ouest. Le passe est une mesure de police administrative. Or, Ă©crit le Conseil dâĂtat, « la police administrative porte en elle les germes de la tyrannie ».
La « police sanitaire » nâest pas quâun slogan brandi dans les manifestations pour dĂ©noncer les restrictions de libertĂ© liĂ©es Ă la pandĂ©mie. Elle existe formellement dans notre droit. Câest une branche de la police administrative. Contrairement Ă la police judiciaire dont le rĂŽle est de sanctionner les comportements portant atteinte Ă lâordre public, les mesures de police administrative ont pour but de les prĂ©venir en restreignant par avance les libertĂ©s. Ainsi, instaurer un couvre-feu, obliger chacun Ă prĂ©senter un passe vaccinal Ă lâentrĂ©e des lieux publics, interdire lâorganisation de concerts sont des mesures de police sanitaire. Dans son rapport de septembre 2021, le Conseil dâĂtat, dressant le bilan des Ă©tats dâurgence en France, en rappelle le danger. « LâactivitĂ© de police administrative a ceci de particulier quâelle vise Ă prĂ©venir des comportements que la sociĂ©tĂ© juge dangereux, prĂ©viennent les conseillers dâĂtat. Si les objectifs qui lui sont assignĂ©s sont trop exigeants ou utopistes, elle peut conduire Ă entraver toute libertĂ© individuelle. Elle porte en elle les germes de la tyrannie, comme lâa parfaitement dĂ©montrĂ© George Orwell dans son livre 1984. »
Dans une commune, le pouvoir de police administrative est exercĂ© par le maire (et, Ă lâĂ©chelle du dĂ©partement, par le prĂ©fet). Il est donc chargĂ© de la police sanitaire. Câest lâoccasion de vous faire visiter un petit bourg de 2 000 Ăąmes du sud-ouest de la France, avec ses ruelles mĂ©diĂ©vales et sa maison romane du XIIá” siĂšcle : bienvenue Ă Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne).
Pluie dâamendes
Au printemps 2020, la liste « Bien vivre ensemble » menĂ©e par Denis FertĂ© a Ă©tĂ© Ă©lue in extremis face Ă une opposition dĂ©fendant un Ă©largissement dĂ©mocratique de la vie municipale. Durant le premier confinement en mars 2020, les habitants supportaient assez mal la pluie dâamendes qui sâabattait sur eux, en particulier sur les anciens du village. Une personne ĂągĂ©e a Ă©tĂ© « manchĂ©e », comme on dit ici, pour avoir bu son cafĂ© assise sur le seuil de sa porte, un autre pour avoir traversĂ© la rue pour accĂ©der Ă son potager. Des dizaines de personnes ont payĂ© des contraventions pour non port de masque dans des ruelles dĂ©sertes. Sur le marchĂ© du dimanche, des manifestations et des performances artistiques se sont succĂ©dĂ© pour le dĂ©noncer.
Mars 2021, sĂ©ance du conseil municipal. ExcĂ©dĂ© par la derniĂšre manifestation « ne respectant pas le port du masque », le maire, « en tant que garant de la protection sanitaire de la population » a dĂ©clarĂ© : « Si de tels rassemblements perdurent et que des participants sont identifiĂ©s, je mâopposerai Ă leur participation Ă des commissions communales ou municipales et je proposerai la suppression des subventions aux associations qui tolĂ©reraient de telles personnes dans leurs rangs. » La mesure Ă©tait extravagante, totalement illĂ©gale. Un maire nâa pas le pouvoir dâexiger une purge des associations. Pourtant, lâidĂ©e a fait son chemin : quelques mois plus tard, une prĂ©sidente dâassociation a demandĂ© Ă ses salariĂ©s de ne pas se rendre Ă une manifestation contre le passe sanitaire organisĂ©e dans le bourg. Une injonction contraire au Code du travail (article L.1121-1) : les salariĂ©s nâont pas Ă rendre compte Ă leurs employeurs de leurs activitĂ©s personnelles.
« En finir avec quelques individus qui sont contre tout et qui crĂ©ent des attroupements »
En avril 2021, toujours pour motifs sanitaires, le maire a pris un arrĂȘtĂ© interdisant la distribution de tracts sur le marchĂ©. LâidĂ©e, expliquait-il, Ă©tait dâ« en finir avec quelques individus qui sont contre tout et qui crĂ©ent des attroupements en distribuant des tracts ». La semaine suivante, sur le marchĂ© du dimanche, des habitants du coin se sont contentĂ©s de distribuer lâarrĂȘtĂ© municipal. Lâun dâeux a Ă©tĂ© verbalisĂ©. Il a contestĂ© lâamende et sâest retrouvĂ© au tribunal pour avoir tractĂ© lâarrĂȘtĂ© interdisant la distribution de tracts...
Le jugement lui a donnĂ© raison : « En matiĂšre de police administrative, la restriction de la libertĂ© du colportage nâest lĂ©gale que si elle est [âŠ] proportionnĂ©e aux circonstances de temps et de lieu qui la motivent. [âŠ] Aucune raison impĂ©rieuse liĂ©e Ă des circonstances locales nâest soulevĂ©e par le maire de Saint-Antonin-Noble-Val lui permettant de prendre lâarrĂȘtĂ© portant interdiction temporaire de distribution de tracts au sein du marchĂ© dominical pendant la durĂ©e de la crise sanitaire liĂ©e Ă la Covid 19. » Non seulement lâarrĂȘtĂ© Ă©tait illĂ©gal, mais le maire lui-mĂȘme a Ă©tĂ© vu distribuant des tracts pendant la campagne pour les Ă©lections dĂ©partementales au printemps dernier. « Jâai trĂšs peu tractĂ© », sâest-il dĂ©fendu auprĂšs du Canard enchaĂźnĂ©, qui a consacrĂ© un article Ă cette affaire pittoresque le 1á”Êł dĂ©cembre dernier.
Janvier 2022. Il sâagissait cette fois dâune rĂ©union de commission extra-municipale portant sur le nouvel amĂ©nagement de la grande place du bourg. Le projet initial (ambiance parking) avait soulevĂ© la controverse quelques annĂ©es plus tĂŽt. Un collectif dâhabitants a travaillĂ© sur un contre-projet plus respectueux de la belle place arborĂ©e ; ils ont dessinĂ© des plans, des croquis, construit une maquette. Or, câest prĂ©cisĂ©ment Ă cette rĂ©union que la municipalitĂ© a prĂ©sentĂ© en commission le nouveau projet du bureau dâĂ©tudes censĂ© tenir compte de leur cahier des charges. Et il se trouve que le compte nây est pas : arbres, fontaine⊠il ne reste presque rien du projet Ă©laborĂ© par les habitants. DĂ©but janvier, la mairie a annoncĂ© que la commission « AmĂ©nagement et dĂ©veloppement urbain » serait soumise au passe sanitaire. Certains de ses membres les plus actifs font justement partie de ceux qui dĂ©noncent « la sociĂ©tĂ© du QR code ». Cette restriction dâaccĂšs ne serait-elle quâune coĂŻncidence ? SollicitĂ© par ses lecteurs, le journal local AVIS a interrogĂ© la prĂ©fecture sur la lĂ©galitĂ© de la mesure. RĂ©ponse : « Les rĂ©unions liĂ©es Ă la dĂ©mocratie locale ne sont pas soumises au passe sanitaire. » Deux jours avant la tenue de la commission, la mairie a dĂ» renoncer Ă vĂ©rifier les QR codes. Mais Ă ceux quâon avait essayĂ© dâĂ©carter, lâĂ©lue a adressĂ© ces mots au dĂ©but de la rĂ©union : « On a fait un effort sur le passe sanitaire, on a Ă©tĂ© souples, donc il faut aller vite, on va pas sâĂ©terniser. » Doivent-ils comprendre quâĂ dĂ©faut dâĂȘtre absents, ils sont priĂ©s de se taire ?
Dans ce bourg de campagne, ce dĂ©tournement de police sanitaire en police politique tient du grand guignol ; le maire se ridiculise en cherchant Ă limiter la contagion du village par les idĂ©es subversives. Mais qui a les moyens dâaller porter chacune de ces dĂ©cisions arbitraires devant les tribunaux administratifs ?
Des milliers de personnes chassĂ©es de lâespace public
Depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie et de lâĂ©tat dâurgence sanitaire, les libertĂ©s les plus emblĂ©matiques de la dĂ©mocratie ont Ă©tĂ© maintenues : droit de manifester, libertĂ© dâassociation, libertĂ© dâexpression. Sur le plan formel, elles nâont pas Ă©tĂ© remises en cause. Mais comme lâillustre la petite histoire locale que nous avons relatĂ©e, la centralitĂ© politique de la police sanitaire les a profondĂ©ment fragilisĂ©es. Le droit de manifester ou de se rĂ©unir est devenue une sorte de faveur qui peut ĂȘtre retirĂ©e Ă tout moment. Lâobligation vaccinale Ă lâhĂŽpital a poussĂ© Ă la dĂ©mission un certain nombre de soignants qui nâont pas supportĂ© de se voir imposer brutalement un ultimatum aprĂšs avoir traversĂ© une pandĂ©mie dans lâenfer dâun systĂšme de soin dĂ©labrĂ©. Ce sont des gens qui ont une certaine culture de lâinsoumission, et leur Ă©viction ne pourra que faciliter la privatisation de lâhĂŽpital. Plus gĂ©nĂ©ralement, le passe sanitaire puis vaccinal a chassĂ© de lâespace public des centaines de milliers de personnes qui, comme lâa expliquĂ© sur Europe 1 en mars 2021 Marie Jauffret-Roustide, sociologue Ă lâInstitut national de la santĂ© (INSERM), « ont un profil trĂšs politisĂ© ». Loin dâĂȘtre toutes opposĂ©es Ă la vaccination en gĂ©nĂ©ral, une partie dâentre elles nâaccepte pas les conditions dans lesquelles la politique vaccinale a Ă©tĂ© mise en Ćuvre, ou conteste le principe dâun espace public rĂ©gi par lâidentification par QR code, redoutant ses usages futurs et sa banalisation.
La politique sanitaire du gouvernement se double donc dâune tentative pour se dĂ©barrasser des « fortes tĂȘtes » : de lâaveu mĂȘme du prĂ©sident, qui dĂ©clare vouloir « emmerder les non-vaccinĂ©s » Ă qui il dĂ©nie le statut de citoyens. La police sanitaire autoritariste que nous subissons depuis deux ans risque de laisser des marques. Des marques psychologiques, qui concernent le rapport de la collectivitĂ© Ă la dissidence et son habituation Ă une politique du stigmate, mais aussi des techniques de gouvernement issues de la formidable boĂźte Ă outils que la police sanitaire constitue pour les dirigeants, comme le passe vaccinal.