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« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

  • Le passe vaccinal comme outil de contrĂŽle politique
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    Selon notre chroniqueuse, le passe vaccinal peut servir Ă  brider la contestation politique, comme dans une commune du sud-ouest. Le passe est une mesure de police administrative. Or, Ă©crit le Conseil d’État, « la police administrative porte en elle les germes de la tyrannie ».

    La « police sanitaire » n’est pas qu’un slogan brandi dans les manifestations pour dĂ©noncer les restrictions de libertĂ© liĂ©es Ă  la pandĂ©mie. Elle existe formellement dans notre droit. C’est une branche de la police administrative. Contrairement Ă  la police judiciaire dont le rĂŽle est de sanctionner les comportements portant atteinte Ă  l’ordre public, les mesures de police administrative ont pour but de les prĂ©venir en restreignant par avance les libertĂ©s. Ainsi, instaurer un couvre-feu, obliger chacun Ă  prĂ©senter un passe vaccinal Ă  l’entrĂ©e des lieux publics, interdire l’organisation de concerts sont des mesures de police sanitaire. Dans son rapport de septembre 2021, le Conseil d’État, dressant le bilan des Ă©tats d’urgence en France, en rappelle le danger. « L’activitĂ© de police administrative a ceci de particulier qu’elle vise Ă  prĂ©venir des comportements que la sociĂ©tĂ© juge dangereux, prĂ©viennent les conseillers d’État. Si les objectifs qui lui sont assignĂ©s sont trop exigeants ou utopistes, elle peut conduire Ă  entraver toute libertĂ© individuelle. Elle porte en elle les germes de la tyrannie, comme l’a parfaitement dĂ©montrĂ© George Orwell dans son livre 1984. »

    Dans une commune, le pouvoir de police administrative est exercĂ© par le maire (et, Ă  l’échelle du dĂ©partement, par le prĂ©fet). Il est donc chargĂ© de la police sanitaire. C’est l’occasion de vous faire visiter un petit bourg de 2 000 Ăąmes du sud-ouest de la France, avec ses ruelles mĂ©diĂ©vales et sa maison romane du XIIᔉ siĂšcle : bienvenue Ă  Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne).

    Pluie d’amendes

    Au printemps 2020, la liste « Bien vivre ensemble » menĂ©e par Denis FertĂ© a Ă©tĂ© Ă©lue in extremis face Ă  une opposition dĂ©fendant un Ă©largissement dĂ©mocratique de la vie municipale. Durant le premier confinement en mars 2020, les habitants supportaient assez mal la pluie d’amendes qui s’abattait sur eux, en particulier sur les anciens du village. Une personne ĂągĂ©e a Ă©tĂ© « manchĂ©e », comme on dit ici, pour avoir bu son cafĂ© assise sur le seuil de sa porte, un autre pour avoir traversĂ© la rue pour accĂ©der Ă  son potager. Des dizaines de personnes ont payĂ© des contraventions pour non port de masque dans des ruelles dĂ©sertes. Sur le marchĂ© du dimanche, des manifestations et des performances artistiques se sont succĂ©dĂ© pour le dĂ©noncer.

    Mars 2021, sĂ©ance du conseil municipal. ExcĂ©dĂ© par la derniĂšre manifestation « ne respectant pas le port du masque », le maire, « en tant que garant de la protection sanitaire de la population » a dĂ©clarĂ© : « Si de tels rassemblements perdurent et que des participants sont identifiĂ©s, je m’opposerai Ă  leur participation Ă  des commissions communales ou municipales et je proposerai la suppression des subventions aux associations qui tolĂ©reraient de telles personnes dans leurs rangs. » La mesure Ă©tait extravagante, totalement illĂ©gale. Un maire n’a pas le pouvoir d’exiger une purge des associations. Pourtant, l’idĂ©e a fait son chemin : quelques mois plus tard, une prĂ©sidente d’association a demandĂ© Ă  ses salariĂ©s de ne pas se rendre Ă  une manifestation contre le passe sanitaire organisĂ©e dans le bourg. Une injonction contraire au Code du travail (article L.1121-1) : les salariĂ©s n’ont pas Ă  rendre compte Ă  leurs employeurs de leurs activitĂ©s personnelles.

    « En finir avec quelques individus qui sont contre tout et qui crĂ©ent des attroupements »

    En avril 2021, toujours pour motifs sanitaires, le maire a pris un arrĂȘtĂ© interdisant la distribution de tracts sur le marchĂ©. L’idĂ©e, expliquait-il, Ă©tait d’« en finir avec quelques individus qui sont contre tout et qui crĂ©ent des attroupements en distribuant des tracts ». La semaine suivante, sur le marchĂ© du dimanche, des habitants du coin se sont contentĂ©s de distribuer l’arrĂȘtĂ© municipal. L’un d’eux a Ă©tĂ© verbalisĂ©. Il a contestĂ© l’amende et s’est retrouvĂ© au tribunal pour avoir tractĂ© l’arrĂȘtĂ© interdisant la distribution de tracts...

    Le jugement lui a donnĂ© raison : « En matiĂšre de police administrative, la restriction de la libertĂ© du colportage n’est lĂ©gale que si elle est [
] proportionnĂ©e aux circonstances de temps et de lieu qui la motivent. [
] Aucune raison impĂ©rieuse liĂ©e Ă  des circonstances locales n’est soulevĂ©e par le maire de Saint-Antonin-Noble-Val lui permettant de prendre l’arrĂȘtĂ© portant interdiction temporaire de distribution de tracts au sein du marchĂ© dominical pendant la durĂ©e de la crise sanitaire liĂ©e Ă  la Covid 19. » Non seulement l’arrĂȘtĂ© Ă©tait illĂ©gal, mais le maire lui-mĂȘme a Ă©tĂ© vu distribuant des tracts pendant la campagne pour les Ă©lections dĂ©partementales au printemps dernier. « J’ai trĂšs peu tractĂ© », s’est-il dĂ©fendu auprĂšs du Canard enchaĂźnĂ©, qui a consacrĂ© un article Ă  cette affaire pittoresque le 1á”‰Êł dĂ©cembre dernier.

    Janvier 2022. Il s’agissait cette fois d’une rĂ©union de commission extra-municipale portant sur le nouvel amĂ©nagement de la grande place du bourg. Le projet initial (ambiance parking) avait soulevĂ© la controverse quelques annĂ©es plus tĂŽt. Un collectif d’habitants a travaillĂ© sur un contre-projet plus respectueux de la belle place arborĂ©e ; ils ont dessinĂ© des plans, des croquis, construit une maquette. Or, c’est prĂ©cisĂ©ment Ă  cette rĂ©union que la municipalitĂ© a prĂ©sentĂ© en commission le nouveau projet du bureau d’études censĂ© tenir compte de leur cahier des charges. Et il se trouve que le compte n’y est pas : arbres, fontaine
 il ne reste presque rien du projet Ă©laborĂ© par les habitants. DĂ©but janvier, la mairie a annoncĂ© que la commission « AmĂ©nagement et dĂ©veloppement urbain » serait soumise au passe sanitaire. Certains de ses membres les plus actifs font justement partie de ceux qui dĂ©noncent « la sociĂ©tĂ© du QR code ». Cette restriction d’accĂšs ne serait-elle qu’une coĂŻncidence ? SollicitĂ© par ses lecteurs, le journal local AVIS a interrogĂ© la prĂ©fecture sur la lĂ©galitĂ© de la mesure. RĂ©ponse : « Les rĂ©unions liĂ©es Ă  la dĂ©mocratie locale ne sont pas soumises au passe sanitaire. » Deux jours avant la tenue de la commission, la mairie a dĂ» renoncer Ă  vĂ©rifier les QR codes. Mais Ă  ceux qu’on avait essayĂ© d’écarter, l’élue a adressĂ© ces mots au dĂ©but de la rĂ©union : « On a fait un effort sur le passe sanitaire, on a Ă©tĂ© souples, donc il faut aller vite, on va pas s’éterniser. » Doivent-ils comprendre qu’à dĂ©faut d’ĂȘtre absents, ils sont priĂ©s de se taire ?

    Dans ce bourg de campagne, ce dĂ©tournement de police sanitaire en police politique tient du grand guignol ; le maire se ridiculise en cherchant Ă  limiter la contagion du village par les idĂ©es subversives. Mais qui a les moyens d’aller porter chacune de ces dĂ©cisions arbitraires devant les tribunaux administratifs ?

    Des milliers de personnes chassĂ©es de l’espace public

    Depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie et de l’état d’urgence sanitaire, les libertĂ©s les plus emblĂ©matiques de la dĂ©mocratie ont Ă©tĂ© maintenues : droit de manifester, libertĂ© d’association, libertĂ© d’expression. Sur le plan formel, elles n’ont pas Ă©tĂ© remises en cause. Mais comme l’illustre la petite histoire locale que nous avons relatĂ©e, la centralitĂ© politique de la police sanitaire les a profondĂ©ment fragilisĂ©es. Le droit de manifester ou de se rĂ©unir est devenue une sorte de faveur qui peut ĂȘtre retirĂ©e Ă  tout moment. L’obligation vaccinale Ă  l’hĂŽpital a poussĂ© Ă  la dĂ©mission un certain nombre de soignants qui n’ont pas supportĂ© de se voir imposer brutalement un ultimatum aprĂšs avoir traversĂ© une pandĂ©mie dans l’enfer d’un systĂšme de soin dĂ©labrĂ©. Ce sont des gens qui ont une certaine culture de l’insoumission, et leur Ă©viction ne pourra que faciliter la privatisation de l’hĂŽpital. Plus gĂ©nĂ©ralement, le passe sanitaire puis vaccinal a chassĂ© de l’espace public des centaines de milliers de personnes qui, comme l’a expliquĂ© sur Europe 1 en mars 2021 Marie Jauffret-Roustide, sociologue Ă  l’Institut national de la santĂ© (INSERM), « ont un profil trĂšs politisĂ© ». Loin d’ĂȘtre toutes opposĂ©es Ă  la vaccination en gĂ©nĂ©ral, une partie d’entre elles n’accepte pas les conditions dans lesquelles la politique vaccinale a Ă©tĂ© mise en Ɠuvre, ou conteste le principe d’un espace public rĂ©gi par l’identification par QR code, redoutant ses usages futurs et sa banalisation.

    La politique sanitaire du gouvernement se double donc d’une tentative pour se dĂ©barrasser des « fortes tĂȘtes » : de l’aveu mĂȘme du prĂ©sident, qui dĂ©clare vouloir « emmerder les non-vaccinĂ©s » Ă  qui il dĂ©nie le statut de citoyens. La police sanitaire autoritariste que nous subissons depuis deux ans risque de laisser des marques. Des marques psychologiques, qui concernent le rapport de la collectivitĂ© Ă  la dissidence et son habituation Ă  une politique du stigmate, mais aussi des techniques de gouvernement issues de la formidable boĂźte Ă  outils que la police sanitaire constitue pour les dirigeants, comme le passe vaccinal.