• gauchemolle . Dominique Méda, ministre imaginaire : « L’exécutif a une conception obsolète des politiques d’emploi »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/15/dominique-meda-l-executif-a-une-conception-obsolete-des-politiques-d-emploi_


    vignette photo où L’éMonde a donné du relief à Olivier Dussopt et sa tronche d’officier para à casseroles judiciaires devant des personnes en gilets jaunes qui... ne le maravent pas (suspens insoutenable)

    La sociologue regrette, dans sa chronique, que les réformes de l’assurance-chômage, du RSA ou des retraites s’inscrivent encore dans une logique qui ignore la nécessaire reconversion des emplois vers une économie décarbonée.Publié aujourd’hui à 05h00, mis à jour à 05h00
    Conformément aux annonces du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle en 2022, les trois réformes sociales à l’agenda du second quinquennat (assurance-chômage, RSA et retraites) sont lancées. La première entrera sans doute en vigueur fin 2022, la seconde fera l’objet d’une expérimentation dès janvier 2023, la troisième est en phase de concertation. Mais, alors qu’elles sont censées moderniser et dynamiser l’emploi et le marché du travail, on peut légitimement se demander si ces mesures, en particulier les deux premières, ne relèvent pas d’une conception obsolète des politiques d’emploi.

    Les réformes de l’assurance-chômage et du RSA sont toutes deux guidées par l’idée que les allocataires sont, sinon des fraudeurs – les sources administratives montrent qu’il s’agit d’un phénomène très minoritaire –, du moins des calculateurs qu’il faudrait « inciter » à prendre des emplois en réduisant le montant et/ou la durée de leurs allocations ou en exigeant d’eux des contreparties. Ce raisonnement est peu convaincant. De nombreux bénéficiaires potentiels ne réclament pas les prestations auxquelles ils sont éligibles, le nombre des chômeurs indemnisés est en forte diminution, les emplois vacants sont trop peu nombreux pour satisfaire toutes les demandes, et les difficultés de recrutement concernent en partie des postes dont les conditions de travail et d’emploi ne sont pas de bonne qualité.
    De surcroît, nous avons aujourd’hui un recul suffisant pour voir que ces politiques, à la mode au tournant des années 2000 et mises en œuvre par Tony Blair au Royaume-Uni ou par Gerhard Schröder en Allemagne, ont certes donné des résultats spectaculaires en matière de taux de chômage mais se sont accompagnées d’une extension de la pauvreté (y compris des seniors) et d’une forte dégradation de la qualité de l’emploi. En Allemagne, les lois Hartz, qui ont organisé la réduction de la couverture chômage et fusionné l’indemnité chômage et l’allocation d’assistance pour obliger les chômeurs de longue durée à prendre des emplois à bas salaire, ont donné des résultats très mitigés.

    Gigantesque gâchis

    Est-ce vraiment la politique de l’emploi dont nous avons besoin et qui convient à notre temps ? Sans doute pas. D’abord, parce qu’elle fait porter le poids des choix publics et privés français – celui des délocalisations et de l’insuffisance d’investissement dans les compétences – sur des salariés transformés dans un premier temps en chômeurs, ensuite en demandeurs d’aide sociale et peu à peu stigmatisés ou désignés comme « assistés ». Ensuite, parce que ce malheur et cette injustice, vécus majoritairement par les classes populaires, provoquent ressentiment et vote pour les extrêmes. Enfin, et surtout, parce que cette politique constitue un gigantesque gâchis de compétences, compétences dont nous avons pourtant besoin pour la reconstruction de notre économie.

    Pour atteindre la neutralité carbone et réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, nous avons besoin de nombreux emplois – de tous niveaux de qualification – dans le bâtiment, l’agriculture, les énergies, les transports… mais aussi dans la santé, l’éducation, l’enseignement supérieur, la recherche. Nous avons besoin de former, de reconvertir et d’orienter les forces vives de la nation vers les emplois qui nous permettront d’accélérer la transition écologique. Ceux-ci avaient commencé d’être listés par le Plan de programmation des emplois et des compétences, malheureusement resté sans lendemain. La nature, le nombre et la répartition sur le territoire de ces emplois devraient pourtant constituer un volet essentiel de l’exercice de planification engagé par le gouvernement.

    La responsabilité de l’Etat est ici majeure : au lieu de pousser les chômeurs vers des emplois de piètre qualité et d’accorder des aides et des exonérations aux entreprises qui mettent sur le marché des biens et des services défavorables à la transition écologique (alors que « la France est à l’euro près », selon Bruno Le Maire), il lui revient d’orienter la production en ciblant les aides sur les entreprises respectueuses de l’environnement et en améliorant la qualité des emplois dont l’utilité sociale est avérée.

    Plein-emploi de qualité

    Dans l’un des récents numéros de la revue Sociologie du travail, intitulé « Travail et reconnaissance au prisme de l’utilité sociale », plusieurs auteurs, dont l’économiste Robert Boyer, invitent ainsi à recenser les activités contribuant à l’utilité sociale – prendre soin de la santé, de la cohésion sociale et de l’habitabilité de la Terre – et à fonder désormais les rémunérations sur celle-ci.

    Nous avons donc une occasion majeure de renouer avec un plein-emploi de qualité. Cela suppose de rompre avec la politique de compétitivité en vogue en France depuis les années 1980, mais, plus généralement, avec la centralité du consommateur, comme le suggère le politiste Benjamin Brice, auteur de La Sobriété gagnante (Librinova, 374 pages, 19,90 euros). Il rappelle qu’en cherchant à obtenir les prix les plus bas nous avons en même temps ouvert tout grand nos frontières, augmenté de façon inconsidérée nos importations, accru notre empreinte carbone et perdu nos emplois.

    Il démontre que c’est la logique inverse qu’il nous faut désormais adopter : relocaliser la plus grande partie de la production de biens et de services ; faire le tri parmi les aides de l’Etat pour supprimer celles qui sont défavorables à l’écologie et concentrer les aides sur les productions socialement et environnementalement décentes grâce à la labellisation des produits ; accepter une hausse des prix – à laquelle les consommateurs sont prêts si elle est équitable – en même temps qu’une diminution de notre empreinte carbone et un retour de l’emploi de qualité. Une telle politique, capable de mettre au centre la qualité d’emplois socialement et écologiquement utiles, serait de nature à satisfaire les immenses attentes de sens au travail des jeunes… et des moins jeunes.

    #RSA #emploi #droit_au_chômage #Plein_emploi_dont_nous_avons_besoin (alors que grève et chômage sont plus écologique)