Archipel des devenirs - Centre de recherche sur lâ#utopie
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La puissante et conflictuelle polyvocitĂ© de lâutopie traverse et relie des savoirs, expĂ©rimentations, histoires, communautĂ©s, critiques et dĂ©nonciations trĂšs divers. Les discours dĂ©nonciateurs, qui y voient un lieu idĂ©al, rĂȘvĂ©, figĂ©, vouĂ© dans sa forme mĂȘme Ă lâĂ©chec, tentent dâen Ă©touffer lâeffervescence. Les utopies seraient au mieux inutiles puisque impossibles, au pire dangereuses car porteuses de germes totalitaires.
Nous considĂ©rons au contraire que lâutopie ne peut se rĂ©duire Ă une forme de rĂȘvasserie naĂŻve quâil faudrait soumettre aux mĂ©decins de lâordre, seuls capables de distinguer la rĂ©alitĂ© de lâimaginaire et de sĂ©parer la pesanteur matĂ©rielle du monde de la lĂ©gĂšretĂ© dĂ©mocratique des mots. Nous rejetons cette « haine de lâutopie » et les responsabilitĂ©s quâelle lui impute. Quoi quâil en soit, sa tĂȘte est ailleurs et nâa pas de temps Ă perdre â dâautant que ses projets sâĂ©talent chaque fois sur toutes les dimensions temporelles et ne cessent de faire prolifĂ©rer des potentialitĂ©s, des lignes de fuite et des devenirs. Lâutopiste ne se laisse pas distraire par les experts soucieux dâadministrer le monde en fonction de ses « rĂ©alitĂ©s » et de ses seuils dâimpossibilitĂ©. Il prĂ©fĂšre sâengager dans lâesquisse de nouvelles cartes du possible, expĂ©rimenter des possibilitĂ©s de vie, dĂ©codifier les parcelles de lâordre social pour recomposer ses territoires et redĂ©finir les mots ordonnateurs des discours consensuels. Notre conviction premiĂšre est que lâutopie relĂšve de lâordre dâune expĂ©rimentation irrĂ©ductiblement politique.
Ainsi, lâutopie nâest pas le modĂšle de la sociĂ©tĂ© parfaite quâil ne resterait quâĂ fabriquer en pratique. Elle est traversĂ©e de tensions, de brĂšches, de dimensions non-totalisables qui ne prennent vie quâĂ travers des ouvertures fragiles et des modes dâinventivitĂ© crĂ©ant de nouveaux possibles â souvent mĂȘme dans des situations morose et Ă©puisantes, dans des contextes de fatigue et de conservatisme. Elle fait jouer des excĂšs Ă travers ses expĂ©rimentations littĂ©raires, architecturales, sociales, industrielles, cartographiques, corporelles et politiques. Elle sâinsĂšre dans des paysages sociaux et politiques pour agencer des « ici et maintenant » qui ne se laissent pas rĂ©duire aux coordonnĂ©es et aux codifications de lâordre existant, entamant des pratiques qui brisent, fracturent, reconfigurent, projettent, reterritorialisent, construisant des « paysages du possible » dissensuels et inventifs.
Nous voudrons examiner les lieux, les dynamiques, les temps, les écritures et les politiques de ces expérimentations utopiques à travers une approche pluridisciplinaire reliant philosophie, littérature, sociologie, science politique, histoire et pratiques artistiques.