• À Mayotte, « les expulsions massives vont accentuer la vulnérabilité » des migrants | Mediapart | 12.04.23

    https://www.mediapart.fr/journal/france/120423/mayotte-les-expulsions-massives-vont-accentuer-la-vulnerabilite-des-migran

    À Mayotte, où les Comoriens se rendent à bord de kwassa-kwassa à la recherche d’un avenir meilleur, de nombreux lieux de vie informels ont fleuri un peu partout, laissant entrevoir des cases en tôle construites de manière anarchique, installées sur des pentes parfois abruptes, les unes sur les autres. Les aléas naturels provoquent régulièrement des glissements de terrain et emportent des maisons, la promiscuité forcée et la pauvreté y sont prégnantes, les maladies y prolifèrent.

    Cette « vulnérabilité » frappe de plein fouet les migrant·es comorien·nes et relève de plusieurs facteurs – social, historique, économique et politique – interconnectés, pouvant aboutir à une « situation de catastrophe », selon Fahad Idaroussi Tsimanda, auteur d’un article sur le sujet. Chercheur au Laboratoire de géographie et d’aménagement de Montpellier (Lagam), ce docteur en géographie est originaire de Mayotte et a consacré ses travaux de thèse à la « vulnérabilité différentielle » des migrant·es comorien·nes dans les bidonvilles de Mayotte.

    Avant la vaste opération de « décasage » (ou expulsion) voulue par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et annoncée pour le 22 avril prochain, Fahad Idaroussi Tsimanda alerte sur les risques d’une approche purement sécuritaire de la gestion de ces lieux informels, qui ne réglerait qu’une « toute petite part du problème » dans un territoire rongé par la pauvreté, le mal-logement et la malnutrition infantile, les inégalités d’accès à l’éducation et à la santé, et le manque de moyens pour la justice.

    « L’État français doit prendre ses responsabilités. À partir du moment où ils entrent sur le territoire, le minimum est de leur assurer un accueil digne », rappelle-t-il. Entretien.

    #Wuambushu #decasage #repression

    voir aussi : https://seenthis.net/messages/999582

    • Dans un courrier adressé au ministre de l’intérieur, le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme a exprimé « ses graves préoccupations sur les risques d’un tel projet », à savoir « l’aggravation des fractures et des tensions sociales » et « l’atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d’expulsions massives ». Partagez-vous ces inquiétudes ?

      Oui, on peut partager ces inquiétudes. Ce sont des êtres humains, et parmi les personnes qui seront expulsées, il y a des personnes âgées, des femmes avec des enfants en bas âge, des personnes malades ou en situation de handicap. Cela va donc forcément accentuer leur situation de vulnérabilité. Il y a aussi des cas plus complexes, que j’ai croisés dans le cadre de mon travail de recherche, avec au sein d’une même famille un parent ou un enfant en situation régulière. On ne peut pas séparer une mère ou un père du reste de sa famille, c’est inhumain. Si le regroupement familial existe, et c’est bien le cas en France, il faut faciliter l’obtention d’un titre pour le reste de la famille. S’il y a en effet urgence à déconstruire ces bidonvilles, qui ressemblent à des zones de non-droit sur le plan sanitaire et humain, il faut trouver de vraies solutions pour reloger ces personnes.

    • Mais malgré le manque de moyens, les migrations existent déjà…

      C’est vrai. Parce que Mayotte est un îlot de richesses dans un océan de pauvreté. Mayotte est pauvre à l’échelle nationale, riche à l’échelle régionale : son PIB est huit fois supérieur à celui des Comores et quinze fois plus élevé que celui de Madagascar.
      [...]
      Selon vous, les violences et les préjugés à l’égard des migrants comoriens ne datent pas d’hier. Comment les interprétez-vous ?

      Avant même que la France ne débarque dans l’océan Indien, il y avait déjà des tensions. La colonisation est venue les entretenir. Et après l’indépendance, on a fait face au refus du pouvoir comorien de reconnaître l’indépendance de Mayotte. Il y a depuis une forme de haine, alimentée par les politiques, des deux côtés. Les relations qu’entretient Mayotte avec ses voisines de l’archipel sont tendues depuis plusieurs années. Les migrants comoriens sont perçus comme des voleurs, systématiquement qualifiés de « coupeurs de route », alors qu’il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac.