Les libertés publiques cédées aux algorithmes - Libération
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par Amaelle Guiton
Accusés de laisser diffuser des appels à la haine ou, au contraire, d’arbitrairement censurer des contenus, les géants du Web sortent timidement de leur déni. Mais comment répondre à des injonctions contradictoires ?
Le 6 septembre, le géant du Web a annoncé que plus de 400 faux comptes, qui proviendraient d’une « ferme à trolls » située à Saint-Petersbourg, en Russie (lire page 4), avaient dépensé en deux ans près de 100 000 dollars dans des publicités portant sur des sujets sensibles aux Etats-Unis. Facebook a aussi dû récemment réagir à une enquête du site d’investigation ProPublica, qui révélait qu’il était possible, lors d’un achat de publicité sur la plateforme, de cibler des utilisateurs antisémites - une catégorie créée par un algorithme à partir de leurs données de profil (lire pages 8-9). Voilà que se révèlent les angles morts d’un juteux modèle économique, qui lui a permis d’accumuler en 2016 un bénéfice net de 10,2 milliards de dollars, en augmentation de 177 % par rapport à l’année précédente.
C’est bien tout le problème : celui d’une tendance de fond qui voit la régulation de la parole en ligne relever de moins en moins de l’autorité judiciaire - et de plus en plus des acteurs privés et de leurs algorithmes. « Il y a une mutation de la manière dont les retraits sont opérés, avec d’une part une externalisation croissante de la modération, vers des pays comme le Maroc ou l’Inde, et d’autre part la montée en puissance de l’intelligence artificielle pour retirer automatiquement des contenus », souligne Félix Tréguer. Le tout dans un contexte de « forte pression des gouvernements ». Pour Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur, blogueur sur Affordance.info et auteur de l’Appétit des géants (C&F éditions), « on passe de modèles de délégation de service public à des modèles de délégation de responsabilité publique. On ne parle plus de sociétés commerciales, mais d’entités qui font à la fois du commerce et de la politique ».
« Nationaliser Facebook »
« Même avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas piloter de manière bienveillante un outil, quel qu’il soit, où il y a 2 milliards d’individus en permanence », estime Olivier Ertzscheid. Signe des temps, relève-t-il, on voit apparaître, jusque dans les colonnes du Guardian, des appels à « nationaliser Facebook, Google et Amazon » : « Il est logique qu’un contre-discours émerge face au modèle de pensée d’un libertarianisme à tout crin. » Pour lui, comme pour Félix Tréguer, la solution passe en grande partie par un mouvement de déconcentration. « La seule alternative, c’est de promouvoir d’autres modèles, de revenir à des formes plus décentralisées d’hébergement des communications, juge ce dernier. Une politique numérique vraiment ambitieuse, qui se pose ces questions de la décentralisation et du logiciel libre, permettrait de faire des pas de géant. Or, à la place, on assiste à la légitimation des modèles économiques des "Gafa" [Google, Apple, Facebook, Amazon, ndlr] au cœur des écosystèmes d’innovation. »
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