« J’ai atteint mon objectif : faire cours »

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  • « J’ai atteint mon objectif : faire cours » (Libération)
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    Dans mon établissement, rien n’est jamais gagné. Il suffit d’être « moins en forme que d’habitude », ou d’une heure où l’on décide de faire une blague, et tout peut basculer à nouveau. Ce matin, j’ai été moins ferme, et Medhi, à 8 h 10, a clairement refusé de travailler, car il n’avait pas envie. Sébastien s’est levé sans autorisation à 8 h 20 pour aller faire un doigt d’honneur à Messhi, et une nouvelle élève est arrivée, que j’ai découvert dans le rang. J’ai beaucoup crié.

    Il y a aussi des parents qui nous touchent. Ceux qui disent « merci, merci, merci » en nous offrant des pâtisseries orientales, et qui, surtout, nous font confiance. Ceux qui disent : « Ah mais s’il t’emm…, tu le frappes fort, madame, très fort. »
    L’an dernier, un père m’a montré dans le bureau d’un CPE comment il fallait frapper son petit. J’ai aidé l’enfant à se relever. Quand je suis sortie du bureau, je me suis effondrée. J’étais sa prof principale, et c’est moi qui avais insisté lourdement pour que le père vienne me rencontrer pour parler du comportement, parfois insolent, de son enfant.

    Je note, je note, jusqu’à l’intervention du papa, où pendant quelques minutes, je n’ai plus pu rien écrire. Il pleure en disant à son fils : « Parle-moi. » La mère ne dit rien, mais il n’est pas difficile de lire dans ses yeux une incompréhension réelle de la situation (elle parle très peu le français) et une appréhension grandissante, car elle voit son mari les yeux pleins de larmes. Rémy nous explique qu’il a « des soucis d’argent ». […]
    La sentence tombe. Rémy est exclu définitivement. Il a 16 ans. Pour lui, l’école n’est plus obligatoire. Nous lui parlons de la mission d’insertion. J’ai le sentiment qu’il n’ira pas. Le père s’inquiète que son fils reste seul toute la journée, sans pouvoir aller au collège. J’ai la tête baissée sur mes cinq feuilles de notes, une boule dans la gorge qui ne passe pas.

    J’ai perdu patience. Je m’en veux. En criant sur S., je crois que j’ai aussi hurlé sur l’absence de préparation à ces situations-là, lorsque j’étais en formation. […] les situations personnelles, familiales, sociales et parfois même médicales, sont tellement particulières, que même si j’avais des fiches de travail miracles, cela n’y changerait pas grand-chose.

    #éducation #collège #souffrance