Léna Situations, Squeezie, Hugo Décrypte : comment ces créateurs de contenu bousculent l’information traditionnelle
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Par Anne Cordier
Ils et elles s’appellent Squeezie, Mcfly et Carlito, Léna Situations ou encore Mister Geopolitix. Ils cherchent à créer des contenus attractifs pour les communautés qui les suivent et leurs sujets sont variés, du développement personnel à l’actualité. On les appelle des « créateurs de contenu ». Une qualification qui vise à distinguer des « influenceurs » qui, sur les réseaux sociaux cherchent à influencer les habitudes de consommation des individus en accord avec des marques dont ils se font le relais.
La distinction est de taille, car elle incite à analyser avec finesse la diversité du paysage auquel sont confrontés les publics en ligne. Elle est aussi de taille car l’amalgame trop souvent effectué entre ces deux types de figures nuit à la compréhension des représentations et des pratiques informationnelles des jeunes, et donc à une prise en charge éducative tout à fait pertinente.
De fait, en éducation, la focale adoptée est souvent centrée sur les influenceurs et le brouillage entre information et publicité. Or les créateurs de contenu occupent une place de choix dans l’écosystème informationnel des adolescents. Une exploration de leurs pratiques d’information, loin des préjugés et conclusions hâtives, apporte des clés de compréhension et d’action pour développer une éducation aux médias et à l’information (EMI) intégrant ces figures et leurs contenus dans les apprentissages informationnels.
Contrairement aux discours répandus présentant la jeunesse comme soumise à ses affects et peu capable de rationalité particulièrement sur les réseaux sociaux numériques, cette étude montre qu’apprécier les publications des créateurs de contenu ne signifie pas leur faire confiance.
D’une part, les adolescents distinguent nettement les créateurs de contenu – qu’ils appellent alors souvent « influenceurs » – qui diffusent du divertissement et du témoignage (comme Squeezie, cité par tous comme référence à propos des jeux vidéo, ou Lena Situations, que les jeunes filles apprécient pour ses publications sur la mode) – et ceux qui produisent du contenu informationnel plus sérieux à leurs yeux (comme Mister Géopolitix ou Jemenbatsleclito, compte de la créatrice féministe Camille Aumont Carnel).
Au sein de ce paysage foisonnant, une figure d’autorité majeure tire son épingle du jeu : Hugo Décrypte. En février 2024, sur 52 élèves de Terminale, 38 utilisent Hugo Décrypte pour s’informer. C’est la ressource informationnelle qui remporte les suffrages et en termes de plaisir ressenti quand on la consulte et en termes de confiance attribuée (95 % attribuent la note minimale de 8 sur 10 à Hugo Décrypte sur les deux plans). Sa présence en ligne massive – YouTube, TikTok, Instagram, Twitch, WhatsApp… – ainsi que la multiplicité des formats médiatiques mobilisés explique cette puissance d’impact. Mais, là encore, les lycéens identifient dans les productions des critères de crédibilité qui les érigent en ressources informationnelles de référence, comme le raconte Vasco :
« Hugo Décrypte, il est presque un journaliste, non ? […] Il cite ses sources à chaque fois, il explique comment on peut affirmer telle ou telle chose, on voit bien que ses sujets sont travaillés, il se lève pas le matin en mode “Salut la Commu ! J’ai rien à vous dire mais j’vais quand même faire un vidéo !” »
Une éducation aux médias et à l’information qui intègre les ressources produites par les créateurs de contenu, c’est aussi une éducation qui contribue à la distanciation critique lorsqu’il s’agit de faire prendre conscience aux adolescents des intérêts, économiques et/ou politiques, que certains créateurs de contenu défendent. Il s’agit certes d’identifier les créateurs de contenu dont les productions sont problématiques pour le développement de connaissances dans des domaines aussi cruciaux que la santé, le climat ou l’alimentation, mais aussi ceux dont les publications sont dignes de confiance.
Une éducation aux médias et à l’information qui intègre les ressources produites par les créateurs de contenu, c’est enfin une éducation respectueuse des espaces informationnels en général, précise dans son appréhension des sources, et qui évite les généralisations erronées : « C’est pas parce que c’est sur YouTube que c’est pas légitime. Je trouve ça fou qu’on puisse, en tant qu’enseignants ou médiateurs, confondre le canal et la source ! », s’emporte ce professeur documentaliste qui ajoute trouver « aberrant de ne pas proposer ce type de ressources à (ses) élèves en 2023-2024 ».
Car oui, les pratiques informationnelles des adolescents sont riches et éminemment sérieuses. C’est pourquoi nous nous devons de proposer une éducation aux médias et à l’information qui soit, dans toutes ses sphères de déploiement (école, famille, tiers lieux…), digne de cette complexité, attachée à « faire reliance », et les prenne résolument au sérieux.
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