Anarchosyndicalisme ! n°150 - CNT AIT TOULOUSE ANARCHOSYNDICALISME !

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  • Pourquoi faire simple, bon marché et stable quand on peut faire compliqué, cher, et précaire ?

    Ce mercredi 25 mai 2016, 121 Syriens ont été expulsés de l’immeuble place des Faons, quartier des Isards, dans lequel ils vivaient depuis plus d’un an. 170 Syriens, dont certains bébés nés ici, avaient été recensés un mois auparavant par des associations qui collaborent avec la préfecture. Une cinquantaine de personnes auraient donc disparu de la circulation.

    Depuis des mois nous avions bien vu que des manigances se tramaient autour de ces réfugiés, enrobées dans un affichage mielleux de « bonnes volontés ».

    Mais reprenons chronologiquement.

    A la suite d’un article dans la presse locale, nous apprenons, en août 2015, que des #réfugiés_Syriens se sont auto-logés depuis mars/avril dans un HLM promis à la destruction du quartier des Isards (#Toulouse) et qu’ils y survivent dans des conditions misérables. En particulier, leurs besoins alimentaires ne sont pas couverts. Nous nous mettons à leur recherche et, rapidement, nous avons plusieurs échanges avec eux (dont un dans notre local afin qu’ils comprennent au mieux qui nous sommes). Nous décidons de leur apporter notre soutien, à la fois en tant qu’humains mais aussi pour poser un acte politique. C’est une façon, « dans les faits », de protester contre les massacres qui se perpétuent en Syrie, contre les noyades de milliers d’Africains en Méditerranée, contre les camps de la honte qui se multiplient en Europe, c’est une façon de dénoncer l’incurie criminelle des Etats dits démocratiques. Il n’y a aucun « libertaire », « anarchiste » ou quoi que ce soit de semblable dans ce groupe de Syriens musulmans pratiquants – et il nous semble que ce n’est pas de si tôt qu’il y en aura… – aussi décidons-nous d’agir dans une relative discrétion, de façon à ce qu’ils ne soient pas « étiquetés » sous notre label, ce qui donnerait une image fausse de la situation et pourrait leur être nuisible.

    Pour commencer, nous faisons le tour des associations type Croix-Rouge, Secours Populaire, Secours Catholique, Restos du cœur… échec. Comprenant que les institutions et les grandes associations ne vont pas se bouger comme ça, fin août nous lançons la campagne « #dulaitpourlesenfantssyriens ». Le succès dépasse nos espérances. Il y a un courant de sympathie dans la population qui nous permet d’assurer des livraisons soutenues de colis alimentaires. Notre campagne a un deuxième effet (que nous avions bien escompté) : les associations institutionnelles, en particulier le Secours populaire, commencent à intervenir et c’est fort heureux. Comme nous l’avions dit au président de l’une d’entre elles : « Vous ne pouvez pas faire moins qu’une petite organisation d’anarchosyndicalistes » .

    Pendant que l’alimentaire se règle, nous apprenons dans la foulée qu’il y a des procédures d’expulsion en cours. Nous commençons à organiser la défense juridique, le premier procès étant prévu le 11 septembre. Nous sommes sans grand espoir sur ce type de défense, mais nous évaluons que, pour diverses raisons, les Syriens seront ainsi tranquilles si nous arrivons à jouer la montre tout en maintenant les positions acquises. Nous missionnons donc deux avocats rompus aux procédures. Et là, surprise, nous voyons le DAL arriver. Leur avocat a une paire de dossiers tout au plus, les deux avocats mobilisés par la CNT-AIT tous les autres dossiers. Mais le DAL occupera la scène médiatique. Il parlera dans les médias « d’insalubrité » de relogement et de CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile)… C’est le discours du bailleur (qui met en avant une prétendue insalubrité) et de la préfecture (qui n’a d’yeux que pour les CADA). L’avocat du DAL fera même entrer la préfecture dans le procès en citant l’Etat à comparaitre, alors que personne d’autre ne le demande, puisque, juridiquement parlant, il s’agit d’un conflit privé entre les HLM et des particuliers. Bref, c’est tout l’inverse de notre discours : nous sommes en mesure de démontrer, en les faisant visiter et en nous appuyant même sur le gros rapport technique concernant l’électricité établi par le bailleur, que la plupart des appartements sont sains et que de modestes modifications électriques mettraient en conformité les autres. Nous voyons la position du DAL comme une sorte de « préparation du terrain ». De plus, nous constatons que, dans des manifestations type « Réfugiés, welcome », des Syriens des Isards, seront promenés, enfants et adultes, estampillés de l’autocollant du DAL… alors que nous savons combien les enjeux des différentes associations leur sont peu compréhensibles. Enfin, des rencontres avec les futurs expulseurs seront organisées… Tout est bon pour se donner de l’importance et noyer le poisson.

    Mi-décembre se produit un événement clef : un appartement en parfait état va être libéré par une petite communauté religieuse. Nous avions vu précédemment qu’un appartement libéré (par une famille, convaincue par des « associatifs » quelconques de partir en CADA) avait été aussitôt détruit à coup de masse par la société HLM. Pas difficile de prévoir le sort réservé au nouvel appartement libéré. Problème : bien que tout le monde en ait été conscient, que nous ayons prévenu de cette manœuvre, bien que des militants du DAL, des Syriens et d’autres se soient engagés verbalement à venir ; il n’y eut ce jour là sur place que des militants CNT-AIT, et pas assez en nombre pour infléchir pacifiquement le processus. Les Syriens eux-mêmes sont restés confinés dans leurs appartements, comme s’ils avaient subi quelque « amicale pression » ou quelques conseils « judicieux ». Pour nous, cet événement est le point d’inflexion de la lutte et nous comprenons que la « bataille » pour conserver ce logement collectif est perdue à court terme.

    Pour mémoire, en septembre, nous avions aidé les Syriens à demander eux-mêmes la scolarisation de leurs enfants. Ce qui sera obtenu, avec quelques jours de retard sur la rentrée. Mi-novembre, les réfugiés des Isards ont manifesté publiquement leur solidarité avec les victimes des attentats de Paris. Nous avions organisé, à leur demande et avec eux, ce moment de solidarité. Fidèles à notre ligne de conduite, même si nous étions seuls avec eux ce jour-là, il n’y a ni bannière de la CNT-AIT, ni autocollants, ni militants sur la photo de l’événement, photo qui a énormément circulé sur le net et même dans les médias du fait qu’il s’est agi d’une des rarissimes manifestations de ce type en France. Seule concession : à la demande des réfugiés, les deux avocats missionnés par la CNT-AIT figurent sur le cliché. Ce sont les deux seuls non-Syriens.

    Toujours en novembre 2015, nous lançons l’idée d’organiser des cours de langue française. Nous proposons aux bénévoles en contact avec nous (à la suite de la campagne « Du lait… » et de la défense du logement) de s’auto-organiser. C’est ce qu’ils font en constituant le groupe Rémisol (Réfugiés & migrants, solidarité). Problème : Rémisol ne trouve aucun local à proximité. Et là, nous voyons surgir CCPS - APESAR (Approche pluridisciplinaire ethno-psychologique des solliciteurs –sic–, d’asile, réfugiés et migrants). « Miracle », cette association dispose d’un local spacieux à quelques dizaines de mètres à peine du HLM des Syriens ; deuxième « miracle » elle se propose d’organiser des cours et, tant qu’à faire, se proclame coordinatrice des initiatives. Nous trouvons pour le moins curieux que des « spécialistes » de la demande d’asile, des réfugiés et migrants mettent plus d’un semestre à se rendre compte qu’ils en ont un groupe bien fourni sous leurs fenêtres... mais passons. Nous y organisons nos cours. Et, pendant que nous sommes les seuls à produire des documents spécifiques, bilingues, à raison d’une fiche par semaine, nous constatons dans les locaux des choses qui nous heurtent (comme des cours fermés aux femmes,…) et pas mal de confusion sur les objectifs.

    Mais revenons à l’expulsion du bâtiment.

    En s’auto-logeant dans un immeuble largement désaffecté, ces réfugiés avaient trouvé une solution qui leur convenait largement. Jamais nous ne les avons entendus demander un relogement quelconque. En conséquence, pour la CNT-AIT, la ligne politique était simple et claire : maintien dans les lieux. Il fallait tout faire pour que cette solution perdure et s’inscrive dans la durée jusqu’à ce qu’une solution définitive soit trouvée et éviter ainsi la succession de mesures précaires qui vient de commencer. Dans le contexte international actuel, une mobilisation soutenue sur cet objectif pouvait maintenir l’acquis. Après tout, s’ils avaient tenu une bonne année, il était possible de tenir d’avantage… Et quant à la « loi » qu’on nous avance comme justificatif, … on voit tant d’exceptions. D’ailleurs, la mobilisation de septembre autour d’eux avait conduit la préfecture elle-même à faire quelques entorses au règlement…

    Ajoutons que cette solution était très peu coûteuse pour la collectivité : les appartements étaient vides et destinés à le rester. Depuis plusieurs mois ou années ils ne rapportaient rien aux HLM. L’occupation n’entraînait donc aucune « perte » supplémentaire pour le bailleur et ne coûtait rien à l’Etat. Le lieu était très pratique : de grandes familles à la méditerranéenne pouvaient s’y loger, facilitant la survie des uns et des autres. Il était autogéré : des familles arrivaient et quelques une sont parties librement pour rejoindre ailleurs d’autres personnes de leur famille ou tout simplement pour poursuivre leur route vers l’Allemagne. Il offrait des possibilités de stabilité à des gens qui en ont un besoin indispensable pour se reconstruire après avoir été en marche pendant des années. L’environnement était plutôt favorable (multiples possibilités de scolarisation, métro à proximité…).

    Bon marché, pratique, autogéré… cela ne pouvait pas, bien sûr, convenir à l’administration. Ni à certaines associations. Aussi avons-nous vu rapidement fleurir diverses prises de position, telles que

    « NON à l’expulsion et OUI à un relogement en foyer d’accueil en familles à Toulouse …[faite] au nom_de bénévoles citoyens et d’associations autour du réseau APESAR » (1),

    ou

    « Nous militons avant tout pour que les Syriens des Isards soient relogés rapidement dans des conditions décentes et idéalement dans la région. Nous avons lancé une lettre ouverte pour interpeller le Ministère du Logement et la préfecture de Haute-Garonne. Si cela n’aboutit pas, nous lancerons des actions concrètes explique la ligue des droits de l’homme (LDH) » (2),

    sans compter la position du DAL… Mais pourquoi une telle obstination à vouloir demander un « relogement » pour des gens qui ne le demandent pas et s’estiment bien mieux logées que les centaines de SDF et de personnes vivant dans les taudis ? Notre réponse : pour noyer la ligne claire « Maintien dans les lieux » dans la confusion de celle d’un « Relogement digne », mot d’ordre qui sous-entend d’abord une « Expulsion proprement organisée ».

    Cerise sur le gâteau, il y a eu un recensement fait, sur mission de la préfecture, par une autre association, France Horizon. D’autres associations sont apparues, la plupart fort ponctuellement.

    Le 25 mai, jour de l’expulsion, un court reportage de FR3, fort intéressant à plusieurs points de vue (par exemple, parce qu’il montre le bon état des appartements) dévoile à ceux qui ne l’auraient pas compris le pot aux roses (3). On y apprend que, depuis plusieurs mois, l’administration prépare l’expulsion et, selon les propres termes de la préfecture :

    « Nous avons essayé de tout dissiper notamment par le travail des associations, nous avons tout fait pour que la tension soit minimale » .

    Vous avez bien lu, l’expulsion a été préparée par « le travail » de certaines associations. On s’en doutait un peu…

    La CNT-AIT quant à elle, pendant toute la durée du séjour aux Isards des Réfugiés Syriens, n’a comptabilisé personne, n’a dressé aucune liste nominative (la solidarité concrète s’est parfaitement bien passé de tout ça) et, surtout, elle n’a rien « dissipé » du tout.

    Ce mercredi 25 mai, c’est donc un nouveau drame qu’ont vécu les Syriens, prévenus la veille ou l’avant-veille qu’ils allaient être délogés, obligés de faire leurs cartons en vitesse. Ils seront conduits dans un gymnase pour être à nouveau recensés (une obsession). D’après les fameuses « associations », 91 personnes ont été réparties en CADA au moins sur trois lieux différents, deux à Toulouse (La Vache et les Pradettes, ce dernier quartier à l’opposé des Isards) un à Cahors, une trentaine d’autres personnes dans deux hôtels. Et d’autres encore par-ci par-là. Par exemple, une famille sans moyen de transport a été « dignement » relogée dans un village à une trentaine de km au sud-est de Toulouse, alors que ses enfants sont scolarisés dans la banlieue nord de la ville. Mais, ceux qui nous bassinent avec « la loi », « l’intégration » vont-ils se soucier du fait que l’année scolaire et l’intégration de quelques écoliers soient ainsi cassées ?

    De plus tout cela est, bien entendu, provisoire. En particulier les séjours dans les hôtels – dont on peut être déménagé à tout instant (ce qui s’est déjà produit, en si peu de temps, pour les réfugiés des Isards, jetés d’un hôtel dans un autre). Pour ceux chez qui le mot « hôtel » serait synonyme de « vacances », rappelons que vivre dans des hôtels de base (ce ne sont pas des 4 étoiles qui ont été réquisitionnés !), dans une chambre par famille avec des enfants, pendant des mois et des mois, c’est une vrai galère. Les CADA sont tout aussi instables ; on en est jeté dès que la question du droit d’asile est tranchée. De plus, ces « solutions » sont particulièrement coûteuses. Tout le monde peut évaluer, ne serait-ce qu’en gros, le coût des nuits d’hôtel. Et les CADA ne sont pas plus économiques. En fait, les fameuses CADA dans lesquelles les Syriens ont été transférés n’existaient pas. Elles ont été créées de toute pièce par la réquisition de locaux plus ou moins adaptés (bien entendu facturés au prix fort) et le recrutement d’un large personnel, bien entendu rémunéré, même si l’utilité réelle du dispositif reste à prouver (4).

    Bref, l’Etat a fabriqué du cher, du compliqué et de l’instable. C’est ainsi qu’il fonctionne, et quand les médias claironnent que l’Etat ou l’Europe a débloqué telle ou telle somme pour les réfugiés, il faut savoir que bien peu de cet argent arrive entre les mains de ceux-ci, car il s’est dilué entre toutes ces structures et association subventionnées.

    Et voilà, cet épisode de l’histoire est fini. Les Syriens des Isards étaient libres de leurs mouvements, n’ayant pas besoin de rendre des comptes à quelque directeur de CADA que ce soit. Ils commençaient à trouver une stabilité, loin de la guerre et des humiliations. L’Etat français vient, avec la complicité directe ou indirecte d’associations et de bénévoles naïfs ou cyniques, de reprendre les cartes en main.
    Reste la cinquantaine de réfugiés, peut-être les plus prudents, qui ont choisi de prendre la clef des champs…

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°150 été 2016
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article817

  • #Guerre_asymétrique

    Les guerres coloniales ont été couronnées de succès pendant plusieurs siècles. La supériorité de l’armement ne suffit pas, à elle seule, à l’expliquer. Sinon, pourquoi aujourd’hui n’en irait-il pas de même ? La guerre en milieu colonial ou post-colonial est une guerre asymétrique, opposant un « fort » et un « faible ». C’est une « guerre irrégulière », et non une « guerre frontale classique ». #Gérard_Chaliand, dans “Pourquoi perd-on la guerre ?” présente, sur la base d’un argumentaire solide, un point de vue quelque peu iconoclaste, dont l’intérêt est d’ouvrir la discussion sur des sujets qui, habituellement, font l’objet d’un fort « manque-à-penser ». Nous reprenons ici quelques unes des grandes lignes qu’il développe, sachant que deux pages ne sauraient suffire à résumer cet ouvrage. Les lecteurs intéressés sont donc invités à s’y reporter. Comme toujours, nous rappelons que la recension d’un ouvrage dans nos colonnes est faite sur la base de l’intérêt qu’il présente pour le débat d’idées – que nous espérons bien poursuivre sous une forme ou une autre – et non d’une adhésion à l’ensemble des propos tenus.

    Les clefs du succès des guerres coloniales

    La conquête du Mexique (1519-1521) contient déjà tous les éléments importants du succès des guerres coloniales. C’est d’abord un exemple de guerre asymétrique (victorieuse) puisque l’envahisseur espagnol ne compta que, tout au plus, 2 000 individus « face » à des centaines de milliers d’autochtones.

    Prédateurs sûrs de leur bon droit, les représentants du roi d’Espagne étaient déterminés et motivés par l’or, la gloire et les honneurs.
    La rencontre sur place d’un ancien naufragé espagnol parlant une des langues locales puis l’union de Cortès avec une esclave Aztèque (qui apprit rapidement l’espagnol) leur permit de suffisamment bien connaître les Indiens pour avoir l’audace de s’y attaquer. Connaître la conception du monde des Aztèques – l’incontestable puissance régionale – et, surtout constater, leur désarroi face à ces étrangers qui avaient une apparence et des armes qui les impressionnaient, mais aussi des chevaux (animal qu’ils ne connaissaient pas) et des canons dont le son et l’effet les remplissaient d’effroi fut décisif.

    La conception de la guerre des uns et des autres s’avéra également déterminante, car conduite dans des buts et selon des méthodes différentes. La nature de la guerre, pour les autochtones, proche d’un rituel, était courte et destinée à faire des captures en vue de sacrifices humains. Pour les espagnols, il s’agissait d’être opiniâtres et d’anéantir l’ennemi dans un combat à mort, sans faire de quartier. Ils utilisaient la surprise, le combat de nuit, la terreur ; et leurs chevaux leur conféraient une force de choc inconnue des Aztèques.
    Les conquistadors frappèrent à la tête, profitèrent des divisions, surent s’allier à des tribus hostiles aux Aztèques. Les Aztèques, affamés et minés par la variole, capitulèrent face à cette poignée de bandits.

    Une fois frappées à la tête, des sociétés fortement hiérarchisées, sombrent rapidement dans le désarroi. C’est la leçon qu’ont déjà tirée les conquistadors qui arrivent au Pérou (1532) en pleine guerre civile. En conquérants avertis, ils mettent à genoux ce pays avec moins de 200 hommes.

    La colonisation de l’Asie sera plus lente. Mais, le colonisateur (Etats portugais, hollandais, ...) disposera à peu près des mêmes avantages. Dès le XVIIIème ; la révolution industrielle entraînant des progrès militaires – dont l’armement – permettra aux Etats européens d’investir les terres intérieures au détriment de sociétés régionales dépassées. C’est en jouant des divisions locales et en misant sur la révolution industrielle que la Grande-Bretagne s’imposera en Inde.

    Le contournement de l’Afrique puis la découverte de l’Amérique se font sous l’impulsion d’un besoin des puissances européennes de sortir de l’isolement imposé par les Ottomans qui se retrouvent sur le Danube, assiègent Vienne (1529) et détiennent le contrôle sur l’Océan Indien, voie traditionnelle des échanges.

    Ces guerres asymétriques du passé sont menées par des forces peu nombreuses mais avec des résultats considérables, tout en apportant humiliations et exploitation. Les innovations technologiques ont permis aux Etats européens d’augmenter les échanges mais ont, aussi, apporté des idées nouvelles dont le nationalisme moderne_ : le spectacle d’une contestation perpétuelle chez les oppresseurs dévoilait aux colonisés qu’une lutte pour un monde meilleur était possible.

    Le retournement

    L’appel aux valeurs religieuses ne fut pas suffisant aux colonisés pour apporter une réponse adéquate contre l’envahisseur. Lors du partage de l’Afrique entre puissances européennes (XIX° siècle), l’Islam était présent en Afrique noire depuis longtemps. Bien que dès la fin du XVIIIème siècle, l’islam soit en marche et s’impose – souvent par la force – dans toute l’Afrique, il n’est pas en mesure de s’opposer à la pénétration européenne de l’Afrique noire. Bien, au contraire, le colonisateur comprend que l’islam est un formidable outil d’oppression et d’exploitation des populations, et il saura l’instrumentaliser à son profit (voir dans notre n°149 l’article sur l’invention de l’islamophobie http://seenthis.net/messages/480782 ).

    Le premier désaveu vient du Japon qui, se mettant à l’école de l’Europe et apprenant à la connaître, sut se réorganiser en modernisant son armée et ses méthodes. C’est par l’intégration des valeurs de l’oppresseur que les conquis sont capables de leur opposer une véritable résistance. Toutefois, le cas du Japon est particulier, car la société japonaise était fortement hiérarchisée et disciplinée. Cela permit d’imposer une « révolution » par le haut au profit de ses classes dominantes.

    Après avoir compris et intégré les aspects « institutionnels » des pouvoirs occidentaux, les anciens colonisés finirent par aussi comprendre l’intérêt de l’idéologie ; le marxisme, le nationalisme moderne, parfois un mélange des deux.

    En Asie orientale, les répercussions du bolchevisme éveillent un écho et produisent des soulèvements ouvriers (années 20’ – Shangaï, Canton). La version léniniste envoie une image simplifiée facilement compréhensible et constituera un catalyseur de mobilisation en masse.

    Le cas de l’Inde montre l’importance que va prendre l’opinion publique. La nouvelle que la troupe avait tiré contre une foule pacifique (400 morts) provoqua de vives protestations en Grande-Bretagne, tout en mettant en évidence une contestation de l’ordre établi de plus en plus efficace qui retourne déjà l’idéologie nationaliste contre l’envahisseur.

    La défaite cuisante qu’Abdelkrim infligea aux troupes espagnoles, à Anoual en 1922, imposa aux Etats occidentaux de mettre en oeuvre des moyens très importants pour briser la révolte (1926) ; signe que les choses avaient changé. Lors du dépeçage de l’empire Ottoman, Mustafa Kemal qui s’opposait au diktat des Etats européens dans le partage du califat à l’agonie, renversa la situation par les armes et installa un État séculier calqué sur le modèle européen, condamnant tous les séparatistes à l’assimilation ou à la révolte (Kurdes et Arméniens, notamment).

    Le désordre suscité par la 2° Guerre mondiale va stimuler les nationalistes et les marxistes dans des guerres de libération armées. Dans la guerre révolutionnaire, Mao reprend les méthodes de la guérilla (surprise, mobilité et harcèlement). C’est, d’ailleurs, en s’inspirant de la doctrine militaire de Mao que le Viet-Minh infligera une lourde défaite aux forces coloniales françaises. La doctrine de Mao mêle aspects politiques et militaires. Il s’agit de mobiliser la population grâce à des cadres organisés en infrastructure politique clandestine_ ; transformer sa faiblesse en force par une guerre d’usure_ ; gagner à sa cause les prisonniers pour en faire des propagandistes_ ; user de tactiques défensives dans le cadre d’une stratégie offensive dont le but final est l’anéantissement de l’ennemi. La stratégie de Mao est de mettre une pression permanente sur l’ennemi afin de lui briser le moral par une alternance de guérilla et d’opérations militaires classiques. La guerre irrégulière ne se gagne pas sur un plan strictement militaire, mais par un contrôle administratif des populations. L’importance de l’idéologie pour mobiliser en masse et obtenir l’adhésion enthousiaste est un aspect fondamental de la politique maoïste.

    Dans les colonies, l’oppresseur va perdre sa légitimité en même temps que son prestige. Les colonisés, outre la connaissance acquise sur leurs maîtres, ont compris que ceux-ci étaient vulnérables ; battus par les japonais, puis battus en Indochine, etc. En 1948, après la défaite du nazisme, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme est proclamée. Avec l’écrasement d’une idéologie fondée sur la supériorité d’une supposée « race germanique », qui encore aurait pu soutenir une supériorité raciale du colonisateur face aux populations des colonies ?

    Après la défaite d’Indochine, l’état français tente de conserver son rang et ne cédera en Algérie qu’après un autre conflit meurtrier. Malgré une maîtrise militaire de la situation, le mythe de l’Algérie française, creuset d’un statut discriminatoire envers les autochtones, est rejeté par ces derniers qui manifestent en masse pour l’indépendance. La désaffection de la population signait une défaite politique de la France dont l’opinion publique était favorable à l’indépendance.

    Entre-temps, les USA ont pris le relais au Viet-nam. La force du Viet-công résidait dans sa capacité à gagner l’adhésion de la population qui participa à la logistique de guerre. Mais, plus encore, ce sont les erreurs commises par l’oppresseur qui vont coûter cher. La mise en place de Diêm (un catholique) qui va s’aliéner la population va permettre au Viet-Công de se poser en défenseur et de justifier sa présence partout. L’augmentation du nombre de conseillers US, l’équipement de l’armée sud-vietnamienne et un déluge de feu et d’acier n’auront pas le dessus sur la volonté du Viet-Công et de la population. Les opérations coup de poing au cœur même du dispositif US mettront l’opinion publique US en effervescence rappelant les pertes nombreuses du contingent US et l’inutilité de cette guerre. En gagnant l’opinion publique, le Viet-công gagnait politiquement la guerre.

    La leçon à tirer, dans ce type de conflits, c’est que la victoire tient plus à la motivation que procure une idéologie, c’est-à-dire au facteur moral, qu’au préjugé qui suppose que la technologie peut tout « résoudre ».

    Nous pouvons ajouter, aussi, que rien ne peut se faire sans l’adhésion active de l’ensemble d’une population.

    L’ouvrage de G. Chaliand aborde ensuite des conflits qui font l’actualité. La question palestinienne bien sûr, mais aussi, le rôle de l’Arabie Saoudite qui a profité pleinement de la crise pétrolière pour entreprendre une ré-islamisation militante des sociétés, la transformation de l’Iran en un État théocratique chiite (1979)... Sont abordés aussi les conséquences de l’entrée des troupes de l’Etat communiste russe en Afghanistan et le rôle de l’opinion publique dans l’échec de cette attaque. Viennent ensuite une analyse de la 1ère guerre du Golfe, des représailles qu’elle entraîne (comme le 11 septembre 2001) et du renforcement des néo-conservateurs (partisans d’une « guerre préventive » et du « Patriot Act »), la chute de Saddam, le recrutement par l’Etat US de véritables « armées privées », le scandale de Guantanamo,… la perte de crédibilité des Etats occidentaux dont les discours se révèlent aux yeux de tous n’être que des slogans vides de sens… et les mensonges constants des « alliés » à leur propres populations pour justifier leurs politiques désastreuses constituent autant de sujets de débat.

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°150 été 2016
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article817

  • DOSSIER : PENSER LES LUMIERES

    #Les_Lumières ont joué – et sont appelées à jouer encore – un rôle majeur dans le processus de libération de l’humanité. Elles sont de nos jours largement méconnues et parfois même ignorées. Sur la base de cette méconnaissance fleurissent, suivant les cas la calomnie et la récupération, c’est-à-dire, en fin de compte, la régression intellectuelle et éthique.

    Dans notre n° 148 http://seenthis.net/messages/458527 , nous avons lancé un appel à contribution afin de remettre la pensée des Lumières au service de l’analyse du pourrissement actuel des débats intellectuels ou militants, dans l’objectif de participer à la construction d’un contre-discours efficace.

    Voici trois premières contributions. L’une s’attache à cerner l’apport d’un des piliers de ce courant philosophique, la deuxième donne un aperçu général et déconstruit une des calomnies devenues courantes à l’encontre des Lumières, enfin la troisième dénonce une des nombreuses tentatives de détournement et récupération, celle des transhumanistes.

    Nous remercions les lecteurs qui nous ont adressé ces textes et appelons chacun à participer au débat ainsi initié.

    A lire dans @Anarchosyndicalisme ! n°150 été 2016
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article817

  • Et pourtant... ils l’ont élu !

    Ils ont bonnes figure à défiler pour les droits des travailleurs. Ceux-là mêmes qui encensent le vote et dénigrent les abstentionnistes. Je me souviens de m’être fait huer lors de débat publics en 2012, en invitant le tout-venant à ne pas donner sa voix à une urne mais à la garder pour la rue et pour ses pairs. Eux encore une fois, ils ont voté. Alors la prochaine fois qu’ils vous appelleront à vous soumettre, ces fameux « contestataires », souvenez vous qu’avec le vote, à tous les coups on perd !

    Nous sommes aujourd’hui dans la rue contre Hollande, Valls, Macron, El Khomri qui font la politique du MEDEF en voulant nous imposer des mesures encore plus rétrogrades que celles des gouvernements précédents. Souvenez-vous de qui a appelé à élire Hollande lors de l’entre deux tours des dernières présidentielles.

    #Mélenchon (Front de Gauche) : sans aucune gêne.

    « Nous avons décidé de battre Nicolas Sarkozy et pour le faire, nous votons Hollande et nous ne sommes pas gênés de le faire »

    #Pierre_Laurent (PCF) : sans ambiguïté

    « Battre Nicolas Sarkozy, ça veut dire voter François Hollande (…) il n’y aura que deux bulletins (…) il n’y a aucune ambiguïté »

    #Eva_Joly (candidate écologiste) :

    « J’appelle dès à présent toutes celles et ceux qui ont voté pour moi, et au-delà toutes celles et ceux qui sont attachés aux valeurs de la République à tout faire pour que notre pays sorte enfin du sarkozysme en se rassemblant autour de la candidature de François Hollande qui doit désormais porter toutes les couleurs de la gauche et des écologistes »

    #Philippe_Poutou (NPA) : l’art de l’appel indirect.

    « dégager Sarkozy et toute sa bande »

    – Commission exécutive confédérale de la #CGT :

    « Battre Nicolas Sarkozy en élisant un nouveau Président de la République est nécessaire. C’est contribuer à créer un contexte plus favorable aux revendications et au progrès social qui nécessiteront toujours des mobilisations syndicales. C’est réaffirmer la légitimité de l’action syndicale dans un pays démocratique. C’est ouvrir de nouvelles possibilités pour intervenir dans la vie de l’entreprise et de la cité »

    #SUD_Solidaires : tourner la page ?

    « L’Union syndicale Solidaires constate qu’il est temps de tourner la page de Nicolas Sarkozy »

    #FSU : pour la rupture.

    « La FSU considère qu’une réelle rupture avec la politique actuelle est une nécessité et que la construction d’alternatives en France comme en Europe est indispensable. Elle appelle à se mobiliser en ce sens » .

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°150 été 2016
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article817

  • Taillons un costard aux politicards !

    Depuis plus de deux mois, nous sommes des centaines de milliers qui luttons pour obtenir l’abrogation de la « #Loi_MEDEF et Cie ». Cette loi vient après bien d’autres mesures scélérates qui, toutes poursuivent le même objectif : rogner nos acquis sociaux, diminuer nos salaires, nous rendre plus précaires, plus flexibles, tout ça pour rendre les entreprises plus performantes et plus concurrentielles. A entendre les patrons et le gouvernement, les faillites, les licenciements, les fermetures d’usines, les délocalisations seraient de notre faute parce que nous serions trop payés, trop gâtés, parce que nous aurions trop d’avantages sociaux. Les entreprises n’ont pourtant jamais autant fait de bénéfices qu’aujourd’hui, mais les patrons et les actionnaires sont insatiables. Ils veulent plus, encore plus, toujours plus. Peu leur importe si nous avons de plus en plus de mal à boucler nos fins de mois, si le nombre de miséreux ne cesse d’augmenter.

    Dans les manifestations, lors des blocages, dans les piquets de grève, en discutant, en échangeant entre nous nous redécouvrons que nous appartenons au même monde, que nous sommes tous des travailleurs exploités, méprisés, humiliés. En parlant, en décidant et en agissant ensemble, nous réapprenons l’entraide et la solidarité et surtout nous découvrons notre puissance. Cette énergie qui émane de notre union, capable de faire reculer et d’effrayer les patrons et les gouvernements, seule l’action directe permet de l’exprimer. Dans ce mouvement se sont développées avec plus d’ampleur que par le passé des pratiques d’assemblées populaires et d’auto-organisation, c’est cette dynamique qu’il faut encourager, c’est la seule à pouvoir mener à la justice sociale et à la société libertaire.

    N’oublions pas que de nombreux dirigeants d’organisations syndicales et politiques ont appelé à voter pour ce gouvernement. Celui-là même qui met en œuvre une répression totalitaire pour imposer la logique d’exploitation capitaliste. Ainsi apparaît au su et à la vue de tout le monde ces vérités évidentes : les élections ne servent qu’à élire nos maîtres et les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Pour défendre nos intérêts, pour faire aboutir nos revendications, ne faisons confiance qu’à nos propres forces, qu’à l’action directe. Ne confions plus notre sort à des politiciens qui sont déconnectés de notre réalité. Nous ne travaillons pas en costume-cravate mais en bleu de travail, en blouse, en tablier, avec des toques, des calots et des charlottes. Alors tous ensemble taillons leur un costard !

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°150 été 2016
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article817

  • GESTION DE #CRISE

    D’après les sondages, plus de 70% des de la population générale en France est contre la « #loi_travail ». Ce pourcentage est certainement encore plus élevé parmi les travailleurs. Comble d’ironie, même les organisations représentant les PME, les artisans ou les indépendants (soit environ 80 % des patrons), se sont prononcées fortement contre. Pour eux, cette loi est purement une #loi_MEDEF. Pour une fois que nous sommes d’accord… Bref, en dehors du MEDEF, des technocrates du PS et, en sous-main de ceux de LR et assimilés, des indifférents et de quelque autres personnes, une écrasante majorité est contre cette loi, le dit et souvent le manifeste. C’est par une gestion écœurante, reposant sur trois principes parfaitement anti-démocratiques que le gouvernement espère bien nous l’imposer.

    PREMIER PRINCIPE : LE CLIENTELISME

    Il parait que les caisses de l’Etat sont vides. Pas quand il s’agit d’étouffer le mouvement social. Il se passe peu de jours sans que le gouvernement n’arrose financièrement tel ou tel secteur : après les « mesures pour les jeunes » , il y a eu la forte revalorisation des salaires de la police (pour se l’attacher encore plus), puis l’augmentation du salaire des 800 000 enseignants (pour empêcher qu’ils entrent dans la mobilisation), puis les millions pour la SNCF (avec intervention du gouvernement dans la gestion du conflit interne, à l’encontre du PDG pour limiter la crise), et d’autres encore. Ajoutons à cela des promesses pour d’autres secteurs, comme celle faite aux routiers de ne pas leur appliquer la nouvelle réglementation sur les heures supplémentaires.

    DEUXIEME PRINCIPE : LA VIOLENCE

    Depuis les manifestations contre la guerre d’Algérie, jamais des manifestations n’avaient été aussi sauvagement réprimées. Ainsi, à St Malo, des collégiens, rassemblés plus que pacifiquement devant leur collège pour protester contre sa fermeture, ont été violemment chargés par la police. 11 ont été pris en charge par les pompiers, 3 hospitalisés. Ils ont de 12 à 15 ans. Pour la préfecture, la violence policière était tout à fait « proportionnée » à la situation et légitime. C’est tout dire, et ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres.

    Comme si cette violence policière de rue ne suffisait pas, ce gouvernement a fait passer un nombre proprement ahurissant de lois de plus en plus répressives. Sans oublier que, depuis des mois, il nous impose un état d’urgence.

    TROISIEME PRINCIPE : LE MENSONGE

    La fracture entre le discours (sur les valeurs de la République, les libertés, le droit de grève ou celui de manifester, le progrès social…) et la pratique est telle qu’on a l’impression de revivre en boucle la séance du parlement, où le ministre Cahuzac, les yeux dans les yeux et droit dans ses bottes maintenait dans son discours qu’il n’avait jamais fraudé le fisc quand en pratique il savait très bien de quelle manière gigantesque il l’avait fait.

    Ajoutons à cela la honteuse tentative de victimisation de la police : publier que 300 policiers auraient été blessés (avec leur harnachement, il est difficile de croire, qu’en dehors de quelque cas, il puisse s’agir de choses d’importance) tout en faisant l’impasse complète sur les milliers de blessés, souvent graves (comas, yeux explosés, blessures profondes…) que ces mêmes policiers ont fait parmi les manifestants constitue une tentative repoussante de manipulation de l’opinion.

    #Clientélisme, #violence, #mensonge permanent… c’est la « normalité » du pouvoir.

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°150 été 2016
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  • Repli identitaire, les clichés volent en éclat :
    #narcissisme_identitaire et #délire_religieux

    Dans les milieux les plus médiatisés, ceux qui « donnent le ton » à la société parce qu’ils exercent une sorte de monopole de la parole, une sociologie de bazar, imprégnée d’un avatar du déterminisme marxiste et d’une bonne couche de post-modernisme s’est peu à peu imposée pour expliquer de façon exclusive des trajectoires individuelles.

    Tout son raisonnement, dont les développements verbeux et les ratiocinations ne sont là que pour faire illusion, se résume en une vision simplette de l’être humain : l’individu n’existerait pas dans sa complexe unicité ; il ne relèverait que d’un destin catégoriel car il n’aurait pas la moindre parcelle de libre-arbitre.

    A l’occasion de ce qu’il est convenu d’appeler la « radicalisation » , terme ne signifiant absolument rien en soi, une multitude de discours reprenant cette ligne idéologique réductrice s’est déversée dans les médias, cherchant à induire une déformation massive du réel chez tous ceux qu’ils abreuvent. On ne manquera pas d’être troublé par le constat que cet illusionnisme, qui méprise tout ce que chaque personne peut avoir d’unique, est aussi la pierre angulaire du fait religieux.

    Le repli communautaire, en particulier, nous est présenté comme une conséquence inévitable de « causes sociales » . Ainsi, dans un très mauvais texte, remis en ligne sur internet au lendemain des attentats de Bruxelles, peut-on lire :

    « Si ce repli existe bel et bien, ses causes sociales en font un phénomène qui n’a rien de spécifiquement ‘communautaire’, mais qui se révèle au contraire absolument universel : c’est le repli stratégique, le réflexe de survie naturel, normal, légitime, de toute personne subissant une violence et voulant s’en préserver. » (1)

    Lorsque pour protester contre la condamnation de Rosa Parks – laquelle, le premier décembre 1955, en Alabama, en plein régime légal d’apartheid, avait fort justement refusé de laisser sa place dans un autobus à un passager blanc – un boycott de la compagnie d’autobus s’organise dans toute la ville, dure 381 jours et s’élargit sur la création d’un large mouvement des droits civiques à l’échelle de tout un pays ; lorsque les lycéens de Soweto de 1976 meurent pour briser les limites de leur bantoustan ; lorsque les beurs de 1983 manifestaient pour le mélange… étaient-ils dans le repli communautaire ? Bien évidemment, non. Tout au contraire, tous étaient conscients de la nécessité d’une extension solidaire. Comme l’écrit « Jeune Afrique » à propos de Soweto, la lutte

    « s’étend à d’autres banlieues noires autour de Johannesburg et, très vite, à quasiment l’ensemble du pays. Fait significatif, des étudiants et élèves blancs manifestent à leur tour au centre de Johannesburg et expriment leur solidarité aux émeutiers de Soweto où les forces de sécurité continuent à faucher des vies. Le 21 juin on parle, officiellement, de 140 morts, dont deux blancs. » (2)

    Affirmer que le repli que l’on observe de nos jours serait « naturel », « normal » et encore plus « universel » constitue donc une escroquerie historique, puisque l’histoire prouve que le choix inverse a souvent été fait.

    Penser que le phénomène actuel du djihadisme est la conséquence inexorable de causes sociales est tout aussi faux. Deux enquêtes, rendues publiques en mars 2016, viennent encore démontrer ce que l’on savait déjà, à savoir qu’il n’existe pas de rapport absolu entre les « causes sociales » et l’adhésion au « radicalisme » . Les djihadistes et leurs recruteurs, montrent ces enquêtes, sont recrutés dans tous les milieux sociaux, on y trouve beaucoup d’individus qui ont intégré les couches moyennes, pas mal d’entre eux ayant fait des études supérieures. Certains sont même des cadres très supérieurs : ainsi trouve-t-on parmi les principaux recruteurs de djihadistes Aziz Zaghnane, directeur marketing de Lee Hecht Harrison - filiale ibérique du de la multinationale Adecco, un des leaders mondiaux dans son domaine. Fils d’un radiologue, fan de hip-hop Aziz a fait ses études dans une école catholique et percevait un salaire annuel de 90 000 euros. Pas vraiment le portait d’un « désaffilié » ….

    Les causes sociales ne se situent donc qu’à un rang d’explication secondaire. C’est si vrai que les journalistes, habitués à diffuser le prêt-à-penser dominant imposé par la sociologie déterministe, s’en sont trouvés tout retournés dans leurs certitudes lorsqu’ils ont du commenter ces deux études. Ainsi, dans « Le Monde » on évoque, manifestement avec une pointe de regret, la faiblesse des « clichés » :

    « Les clichés auraient volontiers imaginé ces jeunes abîmés par le chômage, caïds infatigables, mais ils étaient vendeur, veilleur de nuit, employé de la sécurité sociale »

    … bref, ils étaient comme un peu tout le monde (3).

    Quant aux journalistes de « Libé » , pourtant spécialistes des contorsions idéologiques post-modernes, ils ont cherché à dresser un « portrait robot » … mais ils n’y sont pas arrivées, et pour cause :

    « Les candidats français au djihad ont des parcours et des origines culturelles si hétérogènes qu’il est presque devenu impossible d’en dresser le portrait-robot. » (4)

    Rendons justice aux journalistes : certainement sans le vouloir, en utilisant les expressions de « clichés » et « portrait-robot » , ils ont parfaitement caractérisé le caractère réducteur de la sociologie déterministe. Un individu, quoi que nous en dise celle-ci, ne s’explique pas par un « cliché » ou un « portrait robot » .

    Il n’y a pas de lutte de classe dans la ceinture du kamikaze

    Il y a donc, dans la sociologie déterministe, quelque chose de formidablement faux, c’est la négation de l’humanité de chacun au profit de son assignation à une catégorie et, il y a un résultat formidablement totalitaire, c’est que ces assignations épousent les contours les plus autoritaires du communautarisme national ou religieux. Tout cela est produit au moyen d’une argumentation effroyablement falsificatrice qui, comme on l’a vu, nie la mémoire des luttes émancipatrices passées et impose une vision délirante du présent. Cela lui confère une aptitude certaine à servir de credo à tous les totalitarismes et c’est bien là, dans cette universalité politicienne, que s’explique le succès médiatique de sa diffusion.

    Concernant la gauche et l’extrême gauche, c’est ce même type de mécanisme qui fut à l’œuvre pendant 70 ans pour cacher puis pour justifier les crimes du communisme lorsqu’il fut devenu impossible de les occulter. Ce mécanisme est maintenant à l’œuvre dans la volonté sournoise de faire entrer dans un cadre idéologique marxisant non seulement le repli communautaire mais également le djihadisme. C’est pourquoi les gauchistes affirment, contre toute vérité, que

    « le jeune djihadiste français est un ‘désaffilié’. Entendons qu’il n’est pas intégré dans l’ordre social, voire qu’il en est exclu » (5),

    ce qui leur permet, après avoir avancé l’imbécile idée d’une « islamisation de la radicalité » de faire entrer de force, au mépris des réalités, le djihadisme dans une espèce de lutte de classes qui, pour être dévoyée, serait quand même quelque part du côté du bien (celui des dominés / ex-colonisé / anti-impérialistes) contre celui du mal (celui des dominants / ex-colonisateurs / impérialistes).

    Freud, le narcissisme identitaire et le délire religieux

    Cette dialectique intellectuellement misérable vient cacher deux notions clefs qui permettent de comprendre la situation : le narcissisme identitaire et le délire religieux.

    On a reproché à Freud, qui a vécu la montée du nazisme, de n’avoir pas produit d’ouvrage antifasciste, mais Freud, quand il écrit « Malaise dans la culture » , fait mieux que ça_ : il produit une analyse de l’aliénation identitaire, une analyse valable pour n’importe quel groupe et pour n’importe quelle communauté, analyse qu’il y a tout lieu de relire aujourd’hui.

    Pour Freud les différences de règles et de tabous entre communautés, si minimes soient-elles, confèrent deux avantages qui assurent la cohésion interne du groupe. Le premier est ce qu’il nomme de façon évocatrice le « narcissisme identitaire » , le deuxième est celui de satisfaire les pulsions agressives. Le narcissisme identitaire est pour Freud une pulsion libidinale détournée quant à son but (ainsi, on emploie le mot d’ « amour » pour dire qu’on apprécie son club de foot, sa région, son entreprise, sa patrie...). A des degrés variables, cet amour pour sa communauté induit la haine de ce qui lui est extérieur. Dans un blog du Monde un psy reprend cette idée :

    « A cet égard, l’idée de ‘loups solitaires’ n’est pas probante, l’adhésion à un groupe est nécessaire. C’est ce que la psychanalyse appelle le « contrat narcissique groupal » (6).

    Un film des années 70, « Lacombe Lucien » (7), racontait la trajectoire brève et sanglante d’un jeune paysan sans aucun idée politique devenu collabo après le débarquement allié. Ce comportement improbable – mais qui a existé – ne trouve sa cohérence que dans ce « contrat narcissique » . On voyait donc le héros éponyme satisfaire à la fois son besoin de reconnaissance dans le milieu gestapiste et ses pulsions agressives, comme celle de se venger de son ancien maître d’école qui l’avait méprisé.

    C’est parce que la religion, qui satisfait ce narcissisme identitaire, est à la fois aliénation communautaire et délire collectif, qu’elle prend une dimension encore plus importante dans la société.

    En 1927 dans « L’avenir d’une illusion » Freud pointe déjà que

    « la partie la plus importante de l’inventaire psychique d’une civilisation, ce sont ses idées religieuses » .

    Un peu plus tard, en 1930, dans « Malaise dans la civilisation » il reviendra longuement sur comment la religion porte préjudice à la liberté individuelle car

    « elle impose à tous de la même façon sa propre voie pour l’acquisition du bonheur et la protection contre la souffrance. Sa technique consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon délirante l’image du monde réel, ce qui présuppose l’intimidation de l’intelligence »

    Intimidation de l’intelligence, négation de la valeur de la vie, déformation totale du réel,… voilà des clefs de lecture de la situation que « sociologues », journalistes et politiciens feraient bien de méditer.

    (1) http://lmsi.net/Qui-a-peur-du-communautarisme
    (2) http://www.jeuneafrique.com/175602/politique/16-juin-1976-bain-de-sang-soweto.
    (3) http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/03/17/a-orleans-le-djihad-pour-tuer-l-ennui_4884442_1653578.html
    (4) http://www.liberation.fr/france/2016/03/21/depuis-la-france-68-chemins-pour-le-jihad_1441133
    (5) https://blogs.mediapart.fr/jam/blog/010415/reflexions-lacaniennes-sur-le-djihadisme
    (6) http://colblog.blog.lemonde.fr/2015/03/05/fethi-benslama-au-dela-du-terrorisme-le-daechisme
    (7) « Lacombe Lucien » , film de Louis Malle, 1974.

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°150 été 2016
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article817