• Science en accès libre : les pirates du savoir

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/31/science-en-acces-libre-les-pirates-du-savoir_4892784_1650684.html

    Officiellement, Alexandra Elbakyan, 27 ans, réside à Almaty, sa ville natale dans le Kazakhstan. En réalité, elle vit sans doute quelque part en Russie. Sa vie et ses déplacements sont désormais secrets : en octobre 2015, un tribunal fédéral de New York l’a déclarée coupable de piratage d’articles scientifiques appartenant à l’éditeur anglo-néerlandais Elsevier.

    Informaticienne spécialisée dans les projets futuristes de liaison directe cerveau-ordinateur, Alexandra Elbakyan est aussi, depuis 2011, la créatrice et l’animatrice du site Sci-Hub, qui propose le téléchargement libre et gratuit de tous les articles scientifiques disponibles sur Internet.

    Or, ils proviennent en grande partie des sites des grands éditeurs scientifiques internationaux comme Elsevier, l’allemand Springer ou l’américain Wiley, qui en détiennent les droits de distribution exclusifs et qui les vendent très cher – un particulier paie en moyenne 32 dollars (28,50 euros) par article, et les grandes bibliothèques doivent souscrire une multitude d’abonnements, coûtant des millions de dollars par an.

    La jeune Kazakhe reconnaît que depuis sa condamnation, sa situation n’est pas idéale. « Là où je suis, je ne me sens pas menacée, mais je dois faire attention », confie-t-elle au Monde. Elle ne voyage plus aux Etats-Unis, ni dans aucun pays ayant un traité d’extradition avec Washington. Un changement majeur pour cette étudiante brillante, fréquemment invitée en Europe et en Amérique pour des stages et des conférences.

    Le partage, une pratique courante

    Au cours de l’été 2015, elle a téléphoné et écrit au juge new-yorkais pour revendiquer son action :

    « Quand j’étais étudiante au Kazakhstan, je n’avais accès à aucun des articles dont j’avais besoin pour mes recherches. 32 dollars, c’est complètement fou quand on doit lire des dizaines ou des centaines d’articles pour sa recherche. »

    Elle explique que, grâce à Internet, le partage gratuit d’articles est une pratique courante dans les communautés scientifiques du monde entier. Elle a largement usé de ce système artisanal pendant ses études, puis elle en a fait profiter les autres : « Les gens ont toujours été reconnaissants. Sci- Hub ne fait qu’automatiser ce processus, et est immédiatement devenu populaire. »

    Et pour cause... Les grands éditeurs ne versent pas un centime aux auteurs ni à leurs pairs qui se chargent de la lecture et de la correction. Si un auteur souhaite que son article soit distribué gratuitement pour avoir plus de lecteurs, c’est lui qui doit payer l’éditeur, souvent plus de 2 000 dollars – un arrangement qu’Alexandra Elbakyan qualifie de « racket ».

    Le juge new-yorkais ne se laisse pas convaincre. Il fait saisir et désactiver l’adresse Sci-hub.org (le domaine « .org » est géré par Public Interest Registry, une association américaine). Il ordonne à la jeune femme de cesser toute activité sur le site. Il condamne aussi LibGen (Library Genesis), un site russe de livres piratés qui collabore avec Sci-Hub et dont les administrateurs sont restés anonymes. Selon l’avocat américain d’Elsevier, le jugement d’octobre n’est qu’une première étape. L’éditeur demande des dommages et intérêts gigantesques.

    Une offre de qualité professionnelle

    Nullement intimidée, l’informaticienne contre-attaque. Dès le mois de décembre 2015, elle rouvre son site dans le nom de domaine « .io », sous juridiction britannique, avec une adresse IP correspondant à un hébergeur de Saint-Pétersbourg (Russie). Le nouveau site est aussi accessible via le réseau sécurisé TOR, qui permet de naviguer sur Internet en restant anonyme et intraçable.En quelques semaines, Sci-Hub retrouve des millions de visiteurs par mois, venant en priorité de Chine, d’Inde, d’Iran, de Russie, mais aussi des Etats-Unis...

    Au fil du temps, Alexandra Elbakyan a réussi à construire une offre de qualité professionnelle. Dans sa version 2016, Sci-Hub propose un moteur de recherche capable de retrouver n’importe quel article scientifique grâce à sa référence standard, ou à un mot-clé.
    Si l’article est encore inconnu, le système va le chercher subrepticement sur le site de l’éditeur, en se faisant passer pour un abonné légitime. Puis il en envoie une copie au demandeur, et une autre au site LibGen, qui la stocke sur ses serveurs clandestins.
    Ainsi, explique-t-elle, « l’article sera toujours présent sur Internet, même s’il arrive quelque chose à Sci-Hub ». Lorsqu’un autre utilisateur demandera le même article, Sci-Hub ira simplement le chercher chez LibGen. En mars 2016, la « bibliothèque libre » de LibGen compte 48 millions d’articles ; quatre fois plus qu’Elsevier...

    « Plus ambitieux » que Google Books

    La pirate kazakhe affirme qu’elle a une vie en dehors de Sci-Hub – elle travaille comme programmeuse Web et a repris des études en histoire et philosophie des sciences.Cela dit, elle reconnaît que la gestion de son site est très prenante : « J’ai beaucoup de sympathisants, mais ils ne sont pas bien organisés. Ils m’envoient des dons, mais pour le reste, leur engagement n’est pas sérieux. (...) Au total, j’effectue probablement plus de travail que les éditeurs. »

    Malgré sa solitude, elle s’est fixé un objectif qu’elle décrit sans fausse modestie : « Collecter la totalité de la littérature scientifique et éducative, et la rendre accessible au monde entier. Comme Google Books, peut-être encore plus ambitieux. »

    Une mission moins utopique qu’il n’y paraît. Car l’aventure d’Alexandra Elbakyan s’inscrit dans un vaste mouvement au sein de la communauté scientifique : l’« Open Access », qui prône l’accès libre et gratuit à l’ensemble de la littérature scientifique, et commence à s’imposer dans certaines disciplines. Hors de Sci-Hub, de nombreux chercheurs de tous les pays s’échangent déjà gratuitement leurs articles sans en référer à quiconque, par e-mail, Facebook, Twitter ou Reddit...

    D’autres ont fait de Sci-Hub le sujet de leurs travaux de recherche, contribuant à sa notoriété. En France, Guillaume Cabanac, maître de conférences en informatique à l’université de Toulouse, a publié en 2015 « la première étude quantitative des catalogues des plateformes LibGen et Sci-Hub ».

    Catalyseur pour l’« Open Access »

    Au Canada, le bibliothécaire Ryan Regier a organisé, en février à Toronto, une conférence sur le « piratage savant » : « J’ai commencé à m’y intéresser quand j’ai constaté que dans mon université, des chercheurs et des étudiants travaillaient sur des articles qu’ils ne s’étaient pas procurés à la bibliothèque. »

    S’il ne souhaite pas se solidariser ouvertement avec Alexandra Elbakyan, il espère que Sci-Hub servira de catalyseur pour faire progresser le mouvement Open Access. Selon lui, « Sci-Hub a déjà changé la donne, en devenant la plus grande bibliothèque scientifique du monde ». Et le système de recherche et de livraison des articles inventé par Alexandra Elbakyan est « lus simple, plus efficace et plus exhaustif que ceux des grandes bibliothèques, engoncées dans leurs traditions bureaucratiques ».

    Techniquement, le fonctionnement du site est étroitement lié aux bibliothèques universitaires. « Les requêtes sont re-routées via des réseaux universitaires. Le site de l’éditeur voit qu’elles arrivent d’une université, et non pas d’un utilisateur de Sci-Hub », explique l’informaticienne sans donner de détails.

    On peut imaginer plusieurs scénarios pour ce contournement-détournement. Des hackers placeraient un virus sur le serveur universitaire, qui laisserait alors entrer des requêtes non autorisées. Autre possibilité : quand un chercheur se connecte au réseau de son université depuis l’extérieur, son identifiant et son mot de passe pourraient être interceptés puis réutilisés à son insu.

    Complicité de bibliothécaires sympathisants

    Selon des enquêtes commanditées par les éditeurs, Sci-Hub s’approvisionnerait en mots de passe sur des sites clandestins qui vendent au marché noir des fichiers de données personnelles obtenues frauduleusement, par exemple avec des e-mails piégés ou de faux sites Web imitant la page d’accueil d’une bibliothèque.

    Il y a enfin une troisième théorie : Sci-Hub bénéficierait de la complicité de bibliothécaires sympathisants, qui l’aideraient à rerouter secrètement les connexions illicites à travers leurs réseaux. Si elle existe, cette pratique est à haut risque, car les éditeurs surveillent étroitement leur trafic, et signalent les anomalies aux universités concernées. Ils peuvent aussi bloquer temporairement un utilisateur qui télécharge trop d’articles.

    Au-delà du monde de la recherche, Sci-Hub est soutenu par des associations de défense des libertés sur Internet et des collectifs de la gauche alternative. Après le verdict du tribunal de New York, un groupe informel baptisé Custodians a ainsi publié une lettre ouverte en seize langues appelant à la mobilisation en faveur d’Alexandra Elbakyan.
    L’un de ses initiateurs, Marcell Mars, informaticien et artiste numérique basé à Zagreb, en Croatie, explique l’importance de Sci-Hub dans son entourage : « C’est devenu un outil indispensable pour les institutions de recherche situées à la périphérie du monde capitaliste géographiquement ou socialement. Ici, les profs de fac s’en servent sans arrêt, certains donnent directement les liens Sci- Hub à leurs étudiants ».

    Des partisans dans l’establishment

    Il se dit surpris de l’impact de sa lettre ouverte : « Des gens travaillant dans des universités prestigieuses nous demandent ce qu’ils peuvent faire pour Sci-Hub. Je leur réponds qu’ils doivent l’utiliser le plus possible, même s’ils n’en ont pas vraiment besoin. Et surtout, je leur dis de le faire au grand jour, sans se cacher. »

    Sci-Hub a même des partisans au cœur de l’establishment scientifique occidental. Ulrich Dirnagl, professeur de médecine et chef du service de neurologie de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin, le dit sans détour : « Je ne sais pas quoi penser de cette femme en Russie, mais elle a réalisé un miracle. Pendant des années, je recevais des mails de chercheurs vivant à Cuba ou en Roumanie, qui me demandaient de leur envoyer nos articles gratuitement. C’est illégal, mais je le faisais volontiers. Or, depuis quelque temps, ils ont cessé de me solliciter. Je me demandais pourquoi, mais quand j’ai découvert Sci-Hub, j’ai compris : ils se servent directement ! »

    Début mars, le professeur Dirnagl a annoncé aux membres de son service que désormais, ils devraient publier leurs travaux en Open Access. « Je leur ai aussi parlé de Sci-Hub, révèle-t-il. La plupart ne connaissaient pas, je leur ai dit de le tester. Si les chercheurs des pays riches commencent à l’utiliser, le système actuel va s’écrouler. »
    En tant que responsable des publications de l’hôpital berlinois, le neurologue va bientôt rencontrer les dirigeants d’Elsevier, pour « leur parler de Sci-Hub, et leur demander s’ils vont changer de stratégie ». Si leurs réponses sont intéressantes, il les publiera sur Internet, en vue de faire connaître le site d’Alexandra Elbakyan à un nouveau public.

  • La fragilité utile du noyau des cellules

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/28/la-fragilite-utile-du-noyau-des-cellules_4891267_1650684.html

    Si la tête passe, tout passe. Le dicton bien connu à propos du faufilement d’un chat à travers un trou de souris, est-il valable pour les cellules du corps humain  ? Telle est la surprenante question étudiée par deux équipes et dont les réponses indépendantes publiées dans Science du 25 mars renversent des certitudes bien établies en biologie.

    C’est peu connu, mais les milliards de cellules qui constituent notre corps bougent sans cesse. Ces petits sacs mous de quelques dizaines de micromètres de diamètre contenant notamment nos chromosomes sont certes moins agiles qu’un chat mais elles se déplacent  : les cellules de la peau pour former des tissus, les cellules immunitaires pour repérer et isoler des corps étrangers, les métastases qui ­attaquent d’autres ­organes… Toutes doivent se faufiler, à la vitesse de sénateur de quelques micromètres par minute, entre leurs consœurs et pour cela elles font montre de sacrées capacités de contorsionnistes, en passant par des trous vingt fois moins larges qu’elles.

    Problème, la «  tête  » de ces cellules est souvent plus grosse que ces trous. Par «  tête  », on entend le noyau de la cellule, un compartiment interne qui contient les chromosomes et qui est un vrai coffre-fort, protégé par une double membrane (alors que la cellule n’en a qu’une) assez rigide.

    Nouveau concept

    Or, contrairement à ce que tout le monde pensait, cette forteresse est en fait très fragile. La double enveloppe peut se rompre sous l’effet du fort confinement mécanique et permettre à la cellule de mieux se déformer pour passer. C’est ce qu’ont observé pour la première fois l’équipe de Jan Lammerding (http://science.sciencemag.org/content/early/2016/03/25/science.aad7297) – université Cornell (Ithaca,New York) et Centre de génomique du cancer des Pays-Bas – ainsi que celle de Mathieu Piel (http://science.sciencemag.org/content/early/2016/03/23/science.aad7611) – Institut Curie, université Pierre-et-Marie-Curie, CNRS et Inserm.

    Elles ont étudié respectivement des cellules cancéreuses et des cellules immunitaires passant à travers des conduits artificiels gravés dans du plastique. Elles ont constaté que des protéines présentes exclusivement dans le noyau se retrouvent dans toute la cellule. Et inversement que des molécules hors du noyau se collent à l’ADN. Cela n’avait jamais été vu, sauf dans la phase de division cellulaire (mitose).
    C’est pour le moins surprenant car « tout le monde aurait pensé que cela serait fatal à une cellule », souligne Jan Lammerding. En effet, l’enveloppe protège l’ADN des agressions « extérieures », notamment du système qui s’en prend, hors du noyau, à l’ADN de virus et qui pourrait se retourner contre les chromosomes.

    En outre, la cellule fonctionne aussi grâce au contrôle des concentrations chimiques entre l’intérieur du noyau et son extérieur (le cytoplasme). Que l’enveloppe du noyau vienne à casser et tout cet équilibre s’effondre, menaçant a priori la cellule. Sauf que les chercheurs n’ont pas observé ces effets catastrophiques. Au contraire, ils ont constaté qu’au bout de quelques minutes l’enveloppe se répare !
    « Se rendre compte que cette barrière entre le noyau et le cytoplasme est fragile et doit être constamment entretenue et réparée est tout à fait nouveau en biologie », se réjouit Mathieu Piel. « Etant donné le nombre de ruptures du noyau que nous observons, nous restons intrigués par la manière dont les cellules tolèrent ces dégâts », explique Jan Lammerding.

    Un noyau dur mais cassant

    De quoi ouvrir de nouvelles pistes de recherche autour d’un phénomène somme toute fréquent. Ces ruptures ne seraient-elles pas impliquées dans des réponses i nflammatoires, des maladies auto- immunes ou le vieillissement prématuré des cellules ? En effet, la mise en contact rapide du ‐ cytoplasme avec l’ADN peut conduire à de tels effets délétères en conduisant la cellule à surréagir ou à multiplier les atteintes aux chromosomes.

    Autre suggestion, « tuer les cellules qui migrent, c’est peut-être une bonne idée pour lutter contre le cancer », imagine Mathieu Piel en songeant aux cellules méta statiques. Il faudrait les cibler en bloquant leur système de réparation par exemple, tout en n’atteignant pas celui d’autres cellules saines comme les cellules immunitaires. Jan Lammerding a reçu un financement pour explorer cette nouvelle voie.
    Quoi qu’il en soit, la nature semble avoir trouvé un moyen de résoudre un dilemme. Si le noyau adoptait une structure souple, les cellules se faufileraient facilement mais les chromosomes seraient trop secoués et risqueraient des mutations. S’il était trop dur, l’ADN serait protégé mais le mouvement entravé. La solution ? Un noyau dur mais cassant, capable de se réparer. Le chat retombe sur ses pattes.

  • Des nombres premiers pas si aléatoires que ça

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/21/des-nombres-premiers-pas-si-aleatoires-que-ca_4887242_1650684.html

    Belle surprise dans le monde fascinant des nombres premiers, ces sortes de briques élémentaires des mathématiques. Tout nombre entier peut en effet s’écrire comme un produit unique de nombres premiers, ces nombres divisibles seulement par 1 et eux-mêmes, comme 5, 7, 11, 29, 73… Il y en a une infinité et, au quotidien, ils servent notamment dans la sécurité des transactions électroniques.

    Ils semblaient donc bien connus, mais un duo de mathématiciens de l’université Stanford (Californie), Robert Lemke Oliver et Kannan Soundararajan, viennent de leur découvrir une propriété nouvelle et étonnante. Si un nombre premier finit par un 1, il y a plus de chance que le nombre premier suivant se termine par un 3 ou un 7 que par un 1 ou un 9 (aucun nombre premier plus grand que 5 ne se termine par 0, 2, 4, 5, 6 ou 8). Les paires (1,1) – c’est-à-dire deux nombres premiers successifs se terminant par 1 –, (3,3) ou (7,7) sont également moins fréquentes que les (9,1), (1,7) (...)

    Résultat solide

    En fait, dans les années 1850, le Russe Pafnouti Tchebychev avait déjà trouvé un biais dans la répartition, mais bien plus faible que celui qui vient d’être observé par les Américains. Ce mathématicien avait constaté qu’il y avait légèrement plus de nombres premiers se terminant par 3 et 7 que par 1 et 9. Parmi les 10 premiers millions de nombres premiers, il y a ainsi 0,021 % de plus de 7 que de 9. Rien à voir avec l’écart exhibé par les Américains qui trouvent qu’il y a 83,6 % de plus de paires (9,1) que de paires (1,1), par exemple !

    « Ce résultat est très intéressant, car il nous apprend une chose assez inattendue sur les nombres premiers. Il est étonnant que personne ne l’ait repéré avant ! », remarque Jean-Paul Delahaye, professeur à l’université Lille-I.

    « En fait, l’anomalie avait déjà été repérée par d’autres avant nous, mais sans l’expliquer et sans explorer les très grands nombres », indique Robert Lemke Oliver. Avec son collègue, il a non seulement poussé loin les simulations numériques (jusqu’au 400 milliardième nombre premier) mais aussi expliqué rigoureusement cet effet.

    L’anomalie a été trouvée par hasard, à la suite de l’exposé d’un confrère sur des tirages aléatoires de pièces. « Quand j’ai observé cette différence pour la première fois, j’étais sous le choc, mais ‐ confiant car la simulation est facile à faire », se souvient Robert Lemke Oliver. Même si le résultat n’a pas encore été soumis à une revue scientifique et seulement mis en ligne sur arXiv.org le 11 mars, il paraît solide. Terence Tao, spécialiste australo-américain de la théorie des nombres et médaille Fields, en a même détaillé les rouages sur son blog, apportant une première caution à ce travail.

    Le résultat, de l’aveu même des chercheurs, ne devrait pas avoir de conséquences pratiques – en chiffrement par exemple – mais, selon Robert Lemke Oliver, « il ouvre des pistes pour aller chercher d’autres biais au cœur des nombres premiers ou dans d’autres ensembles ».

  • Physique : effervescence autour d’une particule mystère

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/21/physique-effervescence-autour-d-une-particule-mystere_4887196_1650684.html

    « On est dans le brouillard  !  », sourit le physicien des particules Yves Sirois, chercheur au CNRS. Il ne dit pas ça parce qu’il est à la neige, dans les Alpes italiennes. C’est seulement l’impression qu’il a eue, avec d’autres, le 17 mars en fin de journée, en écoutant les exposés dans une salle archicomble de cette station de La Thuile, où se tiennent les 51es Rencontres de Moriond, conférence annuelle originale de physique théorique mêlant exposés et détente, jeunes chercheurs et aînés plus chevronnés.

    Le brouillard vient d’une excitation quasi sans précédent pour… une bosse. Rien à voir là encore avec le ski, mais avec un défaut apparu sur les courbes de résultats de deux expériences, Atlas et CMS, installées sur l’anneau du LHC, l’accélérateur de particules de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Cette machine, le 4 juillet 2012, avait trouvé le boson de Higgs, la pièce manquante du puzzle décrivant toutes les particules élémentaires connues.

    Mais le travail a continué pour faire encore plus fort. Au printemps 2015, l’énergie du «  canon  » du CERN a augmenté de 60 % pour forcer la matière ordinaire à créer des choses extraordinaires. Le 15 décembre 2015, les premiers bilans des deux expériences enregistrant l’effet de ces collisions ont soulevé l’enthousiasme  : de l’inattendu avait pointé le bout de son nez. C’est la fameuse bosse qui secoue tant les physiciens-skieurs de La Thuile et d’ailleurs. Plus de 263 articles ont été mis en ligne sur arXiv.org depuis le 15 décembre pour expliquer cette anomalie.

    (...) « Certains disent que cet appétit des théoriciens est un signe de mauvaise santé car il n’y a pas encore de découverte et plein d’articles. Je trouve au contraire que c’est plutôt sain. On ne va quand même pas se taire jusqu’à atteindre le seuil requis », s’emporte ironiquement Yann Mambrini (CNRS), de l’université Paris-Sud, qui a posté son explication le jour même du 15 décembre !

    Qu’y a-t-il dans le sac à dos de ces skieurs de bosses ? « Il n’est pas bien compliqué de rendre compte de cet excès, mais à première vue cette nouvelle particule ne semble pas apporter le moindre élément de réponse aux questions importantes sur lesquelles nous butons, comme la matière noire, l’énergie noire... », résume Christophe Grojean, théoricien du synchrotron allemand DESY, à Hambourg.

    Pas bien compliqué, c’est vite dit, tant les propositions passent au-dessus de nos têtes. Quelles que soient les propositions, le paysage qui se dessine est radicalement nouveau : des particules jamais vues à la pelle ou presque, des forces également différentes des quatre actuelles, des dimensions supplémentaires pour notre espace...

    « Le goût et la couleur de quelque chose »

    Il se dégage cependant un modèle consensuel, qu’Alessandro Strumia a comparé ironiquement à une Fiat 750. Les gluons qui assurent la cohésion des protons (les constituants des atomes) entrant en collision pourraient fusionner pour former cette grosse particule qui se désintégrerait très vite. Cette cuisine de gluons nécessite en outre d’autres particules encore à découvrir. Certains imaginent aussi que la désintégration ne crée pas seulement une paire de photons, mais aussi d’autres particules indétectables qui seraient la fameuse matière noire que tout le monde attend... Le gros intrus serait alors un médiateur entre le visible et l’invisible. « Tout est un peu tiré par les cheveux. Aucune version minimale des modèles n’est suffisante. Il manque quelque chose ! », constate Abdelhak Djouadi (CNRS), théoricien à l’université Paris-Sud et au CERN.

    Certes, le 17 mars, les exposés d’Atlas et de CMS n’ont pas permis de trancher en faveur d’une découverte, mais ils ont renforcé les convictions en apportant de nouvelles analyses. « Tout est au vert ! Ça a le goût et la couleur de quelque chose », savoure Yves Sirois, impliqué sur CMS, avant d’ajouter aussitôt : « Mais ça peut disparaître. » Il est vrai que les deux expériences indépendantes trouvent la bosse au même endroit. Que lorsque CMS ajoute quelques données de plus, la bosse monte et les fluctuations statistiques baissent. Que de nouvelles bosses à plus haute énergie se profilent. Et que dans les « vieilles » données à plus faible énergie, une minibosse à 750 GeV aussi a été vue, mais toujours en dessous des standards statistiques requis...

    A partir de fin avril, le programme de recherche sera intense, avec la reprise des collisions au LHC après la pause hivernale. D’abord, multiplier les « tirages » pour s’assurer statistiquement que l’anomalie est bien là. Ensuite, observer d’autres modes de disparition de cette grosse particule mystère. Le feu d’artifice en deux photons n’est pas le seul. D’autres paires, plus exotiques, sont attendues et permettront de cerner la bête. Enfin, déterminer une propriété-clé du nouveau venu : son « spin », ou comment, en quelque sorte, il tourne sur lui-même. Il se pourrait que la particule à 750 GeV soit d’un type jamais vu. Et qui ne s’expliquerait que par un espace avec plus de trois dimensions...

    Alessandro Strumia s’est montré sanglant en conclusion : « Si c’est confirmé, de nouvelles données tueront des modèles, et après ce massacre la bonne théorie et ses conséquences fondamentales émergeront. » Réponse très probable avant juillet. Deux à trois fois plus de données seront suffisantes pour en finir avec les facéties statistiques et vérifier si la bosse persiste, pour sauter très haut.

    • énorme lobby de Philippe Minard, après son article dans Médiapart, auprès des ministères et des élus, malheureusement complètement décalé avec la réalité de la recherche

      mieux vaut lire

      http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/07/pour-une-science-ouverte-a-tous_4878011_1650684.html

      Chercheurs de toutes les disciplines, nous pensons que la littérature scientifique peut sauver des vies, à la condition absolue de son entière et immédiate disponibilité pour tous. Parmi d’autres, le cas du virus Ebola en est un exemple avéré. toutes les disciplines, de la médecine à l’anthropologie, de la biologie à l’économie, de l’épidémiologie à la gestion interculturelle, du droit à l’éthique, auraient dû pouvoir être mobilisées sans délai et sans barrière, pour permettre une réaction adaptée à la complexité et à l’urgence de la situation  : détecter l’épidémie, élaborer un traitement, déployer un plan d’urgence, concevoir une stratégie préventive pour l’avenir, mais aussi prendre en compte la complexité des situations culturelles locales et gérer l’après-épidémie, notamment en abordant la question des survivants et de leur réintégration dans la société…

    • Le vrai titre de l’article est
      L’exploration négligée de la #foutaise
      http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/07/l-exploration-negligee-de-la-foutaise_4877956_1650684.html

      Visiblement, le gros mot du titre n’a pas eu droit à la une, mais, pour se rattraper, Pierre Barthélémy en a utilisé deux autres dans le début de l’article (en veillant à la parité, en ce 8 mars…)

      Le matériau à la disposition des chercheurs est colossal. Et le corpus ne cesse de s’enrichir à chaque jour qui passe. Pourtant, peu de scientifiques ont jusqu’ici exploré le continent immense de ce que les Américains nomment le bullshit – littéralement la « merde de taureau » – et que l’on traduirait en français par « connerie  » ou « couille en barre » si ces expressions triviales avaient leur place dans ces vénérables colonnes.

      Précisons que la « connerie » en question ne désigne pas la bêtise des abrutis mais uniquement celle de leurs propos. Il n’y a pour ainsi dire pas de science de la foutaise, et des chercheurs canadiens ont décidé de combler – au moins en partie – cette lacune avec une étude publiée en décembre 2015 dans la ­revue Judgment and Decision Making.

      Un échantillon « objectivement stupide »
      Cette équipe a surtout voulu répondre aux deux questions suivantes  : sommes-nous capables de repérer les âneries, et quelles sont les personnes qui ont le plus de chances de s’y laisser piéger  ? Pour ce faire, elle a mis sur pied une série de quatre expériences au...

      Le reste derrière #paywall

      #prétérition (ou plutôt, postérition si ça existait ;-)

    • (...) Mais, pour tester l’impact des billevesées, encore fallait-il en avoir un échantillon « objectivement stupide » sous la main ! Les auteurs de l’étude ont eu recours à deux programmes générant de manière aléatoire des phrases vides de sens mais grammaticalement correctes, à partir de mots vagues et à la mode.
      Un des logiciels en question mouline les mots utilisés, sur son compte Twitter, par le gourou américain Deepak Chopra, roi de l’aphorisme fumeux et inventeur de la « médecine quantique ».
      La machine peut ainsi vous pondre des phrases suggérant une profondeur en réalité inexistante, comme par exemple « Une simple particule co-crée des faits potentiels » ou « La réalité perceptrice transcende la barrière des molécules ».

      80 % des participants piégés

      Dans la première des quatre expériences, après avoir répondu à un questionnaire et à des tests aux réponses contre-intuitives, les « cobayes » se voyaient présenter dix phrases « bullshitesques ». Ils devaient prendre un moment pour réfléchir à leur signification et les noter sur une échelle de la réceptivité aux propos débiles créée spécialement pour l’occasion. Plus de 80 % des participants ont trouvé ces phrases assez profondes si ce n’est plus...

      Au cours des trois autres expériences, les chercheurs ont complexifié l’exercice en ajoutant des phrases réelles de Deepak Chopra et des phrases réellement profondes. Ce qui n’a pas changé grand-chose : les foutaises ont de beaux jours devant elles. selon l’étude, les personnes les plus susceptibles de ne pas les détecter réussissent moins bien aux tests cognitifs, sont plus ouvertes aux théories conspirationnistes, aux médecines alternatives, aux croyances religieuses et paranormales.

      L’affaire n’en est pas restée là. Dans une réponse publiée en janvier par la même revue, le chercheur australien Craig Dalton émet une objection méthodologique en expliquant que certaines des phrases générées par les automates, bien que vides de sens pour les Occidentaux, peuvent en prendre un pour les personnes ouvertes aux systèmes de pensée orientaux.

      On attend désormais sur le sujet l’avis du philosophe belge Jean-Claude Van Damme, dont on n’a pas oublié le profond « Les cacahuètes, c’est le mouvement perpétuel à la portée de l’homme ».

  • http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/01/eve-ne-serait-pas-nee-de-la-cote-d-adam_4874060_1650684.html

    Cela s’appelle le baculum, mot latin qui signifie «  bâton » ou « sceptre  ». De nombreux mammifères mâles en sont pourvus et notamment nos plus proches cousins, les chimpanzés et les gorilles. Il s’agit d’un os inclus dans le pénis qui, lors de la copulation, se révèle pratique pour obtenir une érection rapide, sans attendre que se mette en branle tout le système hydraulique sur lequel la reproduction humaine repose.

    Je trouve qu’il y a parfois des domaines de recherche extrêmement pointus.