Les vies bouleversées de 286 travailleurs migrants par les travaux du village olympique
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Les vies bouleversées de 286 travailleurs migrants par les travaux du village olympique
En 2021, un foyer a été détruit à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pour faire place au futur village olympique. Depuis, les 300 habitants tentent de faire entendre leur voix pour obtenir un relogement qui les satisfasse.
Par Laura Salabert et Clara Seren-Rosso
Encore un an avant l’ouverture des Jeux olympiques (JO) de Paris, mais Boubacar Diallo sait déjà qu’il n’en gardera qu’un souvenir amer. Arrivé du Mali dans les années 1990, cet ouvrier dans le BTP est un résident historique du foyer de travailleurs migrants, place Pleyel, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). En 2021, il a été forcé de quitter les lieux. Le chantier des JO s’accélère et la résidence, située en plein cœur du futur village olympique, est rasée. Le foyer était vétuste – il se dégradait à vue d’œil –, mais Boubacar Diallo s’y sentait bien. « C’était une forteresse », se souvient-il, en repensant à la salle commune où se tenaient des cours de français et où les résidents se relayaient pour préparer des repas collectifs, dans de grandes casseroles. Le circuit de solidarité y était bien rodé : entre 20 et 30 euros par semaine et par personne dans le pot commun permettaient à ceux qui n’avaient pas encore touché leur paie de manger à leur faim. Adef Habitat, le gestionnaire immobilier du foyer, s’était engagé auprès des habitants à le rénover. Jusqu’à cette réunion de mars 2019 où ils sont informés de sa destruction, sans possibilité de négociation.
« A ce moment-là, on ne nous proposait aucune solution de déménagement. On était juste mis dehors », se remémore Boubacar Diallo. Les résidents se mobilisent alors pour trouver une solution de relogement avant l’expulsion, prévue initialement en octobre 2019 avant d’être retardée par la crise sanitaire. Des associations, habitants audoniens et élus, commencent à manifester leur soutien. Soucieuse de son image, la Solideo, l’établissement public chargé des infrastructures des JO, accepte en février 2020 de financer un logement temporaire en préfabriqués, à 2,5 km au sud de l’ancien foyer.
En poussant la porte de sa nouvelle chambre en mars 2021, Bakary Diakité a compris qu’il faudrait faire une croix sur le confort dans ce foyer provisoire. La seule fenêtre de la pièce donne sur un carrefour, à quelques mètres du périphérique. Même vitres fermées et stores baissés, le vrombissement de chaque voiture dérange. « En pleine nuit, c’est très bruyant. Les gens qui crient, les voitures… Je dors très mal », explique le Malien de 36 ans. Joliment peints, facilement identifiables à d’autres immeubles du quartier : de l’extérieur, les préfabriqués se fondent dans le décor. Mais les espaces communs sont insalubres car rarement nettoyés, les odeurs et les déchets s’accumulent dans les escaliers, dans les couloirs… Et il n’est plus possible de cuisiner ensemble : seule une petite salle d’une vingtaine de mètres carrés est disponible pour se réunir. A cela s’ajoute une mauvaise isolation, au point que certains résidents redoutent l’été. Ils se souviennent avoir vécu un cauchemar pendant la canicule en 2022. Et cet inconfort a un prix : 447 euros par mois, pour 18 m2, sans possibilité de toucher d’APL. De son côté, la Solideo se défend de tout défaut de construction qui « a fait l’objet d’un permis conforme aux normes », selon la chargée de communication de l’entreprise. Alors que les ouvrages de remplacement devaient être livrés au cours de l’année 2022, les retards s’accumulent. « Maintenant, on nous parle d’un emménagement en 2024 », déplore Bakary Diakité, dont le relogement est prévu non loin de son ancien quartier à Pleyel. La seconde résidence, située près de la gare RER de Saint-Ouen, est accessible depuis début avril, après un an de retard.
« On voulait revenir sur site après les JO parce qu’on a appris qu’il serait réhabilité en logements sociaux et en bureaux. Mais on nous l’a refusé », explique Boubacar Diallo. Au-delà de son emplacement, ce relogement est loin d’être « exemplaire », selon Aïssatou Mbodj-Pouye, anthropologue et chercheuse au CNRS. Notamment parce que les résidents non déclarés du foyer – membres de la famille, amis ou victimes de marchands de sommeil – sont laissés sur la touche. « Souvent à Paris ou Montreuil, les personnes logées par les résidents sont prises en compte pour le relogement. Là, ça n’a pas été le cas. » Ils étaient environ 400 dans le foyer place Pleyel.
Autre sujet de discorde : les plans des deux nouvelles résidences à Saint-Ouen n’ont plus rien à voir avec le modèle du foyer de Pleyel, cher aux habitants. Les appartements avec plusieurs chambres et de grands espaces communs laissent place à de petits studios exigus de 15 m2, avec un seul salon de 20 m2 pour tout le bâtiment. En somme, « les JO, c’est l’aubaine » pour accélérer le plan national lancé depuis plusieurs années, visant à mettre un terme à la vie en collectivité dans les foyers, explique Marianna Kontos, urbaniste et membre du comité de vigilance JO 2024. Après les Jeux, les prix des services vont augmenter en Seine-Saint-Denis, estime en outre Marianna Kontos. Cette dernière dénonce une « volonté de transformer socialement et durablement le quartier ».
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