• Le sort des « 30 » de Greenpeace devant la justice internationale

    Seuls devant les juges du Tribunal international du droit de la mer (TIDM), à Hambourg, les Pays-Bas ont plaidé pendant trois heures, mercredi 6 novembre, en faveur de Greenpeace. Les bancs de la Russie sont restés vides. Moscou refuse de laisser cette juridiction des Nations unies, chargée depuis 1994 de faire respecter la Convention sur le droit de la mer (1982), s’ingérer dans l’affaire de l’Arctic-Sunrise.

    Le 19 septembre, le brise-glace affrété par Greenpeace et battant pavillon néerlandais avait été arraisonné par les autorités russes, saisi puis amarré dans le port de Mourmansk. Les militants avaient tenté la veille d’accrocher une banderole sur la plate-forme pétrolière et gazière de Prirazlomnaïa, dans la mer de Barents, exploitée par Rosneft, société d’Etat russe, et d’autres compagnies pétrolières.

    Mais la manifestation pacifique a mal tourné. Cinq jours plus tard, les trente membres d’équipage, de dix-huit nationalités différentes, étaient débarqués et emprisonnés dans cette ville portuaire du nord-ouest de la Russie pour « piraterie » d’abord, puis pour « hooliganisme ». Ils pourraient être bientôt transférés dans une prison de Saint-Pétersbourg.

    LES MILITANTS RISQUENT, À CE JOUR, JUSQU’À 15 ANS DE PRISON

    A Hambourg, les Pays-Bas ont demandé aux juges d’ordonner d’urgence une mainlevée sur l’Arctic-Sunrise, et la libération des 28 militants de Greenpeace et des deux photographes qui formaient l’équipage. Conseiller juridique du ministère des affaires étrangères néerlandais, Liesbeth Lijnzaad reproche à la Russie d’avoir arraisonné et immobilisé illégalement l’Arctic-Sunrise et détenu l’équipage du navire sans le consentement de l’Etat de pavillon, les Pays-Bas.

    Elle assure que la Russie « a violé les droits de l’homme de cet équipage, notamment la liberté de circulation » et que « le différend s’aggrave et s’étend ».

    Car en Russie, la procédure pénale se poursuit et les militants risquent, à ce jour, jusqu’à 15 ans de prison. Ainsi, le 28 septembre, le bateau était perquisitionné par les autorités russes, sans le consentement des Pays-Bas. Le 8 octobre, le capitaine du navire était condamné à une amende de 20 000 roubles (500 euros environ) pour refus d’obtempérer lorsque les garde-côtes russes lui ont demandé de stopper son navire.

    DES MEMBRES DE GREENPEACE SUR LA MOSKOVA

    Enfin, la justice russe a refusé de libérer l’équipage sous caution, procédure pourtant prévue par le droit international. Pour La Haye, il y a urgence. « L’Etat général du navire se dégrade, assurent les Néerlandais. Il s’agit d’un brise-glace vieillissant qui nécessite une maintenance intensive (...…). Il en découle naturellement un risque pour l’environnement, dont des fuites d’hydrocarbure » et, ajoutent les Pays-Bas, « ce risque réel est aggravé par les conditions météorologiques difficiles qui règnent et par l’état de la glace dans l’Arctique ».

    Conseiller des Pays-Bas, René Lefeber a demandé aux magistrats d’ordonner que « l’Arctic-Sunrise puisse regagner Amsterdam avant que le soleil de l’Arctique se couche et que l’hiver arrive ». Pendant que M. Lefeber plaidait à Hambourg, des militants de Greenpeace naviguaient à bord de canots pneumatiques sur la Moskova, à Moscou, déployant leurs banderoles pour la « libération des 30 » détenus.

    Quelles sont les chances des Pays-Bas dans cette affaire ? La Russie n’a dit mot, mais les courriers entre Moscou et La Haye figurent désormais au dossier et certains pourraient peser dans la décision des juges. Moscou rappelle ainsi que l’Arctic-Sunrise a violé la zone de sécurité de 3 milles établie autour de la plate-forme pétrolière, et assure que « le navire accélérait et changeait continuellement de cap, se livrant ainsi à des manœuvres dangereuses » dans la zone économique exclusive (zone sur laquelle un Etat côtier peut conduire souverainement des activités) de la Russie.

    2013, ANNÉE DE L’AMITIÉ ENTRE LA RUSSIE ET LES PAYS-BAS

    La veille de l’arraisonnement, les Russes avaient informé les Néerlandais que les actes de Greenpeace présentaient « le caractère d’activités terroristes ». Le tribunal devrait rendre sa décision le 22 novembre.

    S’il peut ordonner la libération de l’équipage et le retour du brise-glace à son port d’attache, il n’a, en revanche, pas les moyens d’obliger Moscou à appliquer ses décisions.

    Simon Olleson, avocat de Greenpeace dans cette affaire, rappelle que « le tribunal n’a aucun moyen de forcer la Russie à coopérer », mais un refus de Moscou pourrait lui coûter cher « sur le plan diplomatique ». Ironie de l’histoire, 2013 a été déclarée Année de l’amitié entre la Russie et les Pays-Bas. Il leur reste deux mois pour trouver une issue à l’affaire de l’Arctic-Sunrise.

    Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)