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Faits sociaux en vrac

  • Islamophobie : la construction d’un « problème musulman » | Marwan Mohammed

    http://sociologie.revues.org/2108

    Cette notion d’islamophobie (...), nous la définissions avec Abdellali Hajjat (Hajjat & Mohammed, 2013) comme un processus complexe d’altérisation qui s’appuie sur le signe de l’appartenance réelle ou présumée à la religion musulmane. Par altérisation, nous pointons le fait de réduire l’agir social des musulmans, réels ou présumés, à un agir religieux essentialisé, en effaçant ou en atrophiant la pluralité et la complexité identitaires et communautaires de cette population. (…) Nous considérons que l’islamophobie est l’une des conséquences de la construction d’un « problème musulman » dont l’enjeu fondamental est la légitimité présentielle des musulmans, notamment ceux issus de l’immigration post‑coloniale sur le territoire national ou certains de ses espaces. (…)
    En France, depuis le début des années 1980, cette croyance en l’existence d’un « problème musulman » se décline de manière moins brutale, au gré de controverses publiques connectant de multiples enjeux : un problème « d’intégration » au regard de la reproduction intergénérationnelle d’une certaine religiosité jugée incompatible avec les conceptions majoritaires de la citoyenneté ou de l’identité nationale ; un problème de modernité en raison de présumées incompatibilités des musulmans avec la démocratie, la laïcité ou l’égalité entre les sexes ; une peur du débordement démographique articulée au « mythe de l’islamisation » (Liogier, 2012) ; un problème de sécurité centré sur la construction d’une menace terroriste de référence islamiste (Bigo, Deltombe & Bonelli, 2008). Les débats publics reposent sur une dichotomisation et une essentialisation radicales de l’islam et des musulmans. Les discours et la mise en image participent de la construction d’un « islam imaginaire », tour à tour opposé à la « République », à « l’État », à la « laïcité » ou à la « Nation » (Deltombe, 2005). Les « musulmans », quant à eux, s’ils ne sont pas opposés aux « Français », sont fréquemment divisés en deux grandes catégories : les « intégristes » (« islamistes » ou « fondamentalistes ») d’un côté et les « modérés » de l’autre (Geisser, 2003). Un binarisme et des logiques d’essentialisation, en total décalage avec la nuance ou la complexité qu’apportent les études en sciences sociales, de plus en plus nombreuses, sur le fait musulman. (…)
    Un cadrage aux effets politiques et sociaux concrets, notamment sur la vie quotidienne de millions de musulmans réels ou présumés. En effet, les solutions politiques suggérées ou apportées au « problème musulman » en Europe, au moins depuis le 11 septembre 2001, penchent nettement vers une logique de contrôle, d’exclusion ou de disciplinarisation (Fournier, 2013 ; McGoldrick, 2006). Valérie Amiraux rappelle ici que l’accumulation des controverses publiques liées à l’islam en Europe a eu pour effet de systématiser l’interdiction légale ou la réprobation publique des vêtements islamiques féminins. La sauvegarde des valeurs nationales, qui seraient fragilisées par l’irruption publique de référentiels musulmans (vestimentaires, institutionnels, cultuels, etc.) passe désormais par leur disqualification symbolique et sociale et leur encadrement juridique. En France, cela prend la forme du bannissement des filles ou des mères voilées de l’école publique, des femmes en niqab de l’espace public, et plus largement, par le déploiement d’une volonté de rejet – fortement genré (Deeb, 2010 ; Mirza, 2013) – de toute expression de l’islam dans le monde du travail, dans l’univers du « care » ou à l’université. Avec Abdelalli Hajjat, nous avons parlé de processus de discrimination légale par capillarité dans la mesure où les arguments juridiques et politiques au fondement des premières interdictions sont réinvestis dans les nouveaux espaces sociaux dans lesquels se développent de nouvelles mobilisations de type prohibitionniste. (…)

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