• Pierre et Jean. Mourrir dans les EPHAD au temps du macronat

    « Sur le visage de Pierre, un simple masque à oxygène, du style de ceux qu’on imagine vous tomber sur la tête dans un avion en cas de turbulences, sinon, deux perfusions, une à chaque bras, et enfin, à ses côtés, une machine sur laquelle apparaissait la trace lumineuse, régulière, de sa respiration. Le squelette de Pierre respire sous mes yeux. Ses yeux sont grand ouverts. Pierre marmonne quelques mots sous son masque, des mots incompréhensibles, je lui caresse la tête, je lui serre la main, je lui demande de serrer ma main en retour, il serre. Tout autour, un grand calme. Un arbre derrière la fenêtre. Je contemple les ramures de l’arbre. Je vais du squelette aux ramures, des ramures au squelette. Je pense qu’il n’y aura pas de respirateur pour lui, parce qu’on manque de respirateurs, parce que manque de place en réanimation, parce qu’il est trop vieux, parce qu’il est trop affaibli, encore une fois, comment savoir ? La dame chargée de l’asepsie m’a expliqué avant que j’entre dans la chambre que le virus attaquait les poumons, si bien que les échanges gazeux se faisaient de moins en moins bien. Je ne lui ai pas demandé pour le respirateur pour Pierre, je n’ai pas osé, son regard, le regard du médecin, je ne sais pas, je n’ai pas demandé mais j’ai pensé au respirateur qui manquait peut-être à Pierre pendant tout le temps de la visite. À partir de quand le tri des malades devient-il criminel ? À partir de quand demander aux soignants de gérer une pénurie pareille devient un crime ? »

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