Une autre histoire de la Sécurité sociale, par Bernard Friot & Christine Jakse (Le Monde diplomatique, décembre 2015)
►http://www.monde-diplomatique.fr/2015/12/FRIOT/54395
Les allocations familiales, l’assurance-maladie, les retraites et la couverture des accidents du travail du régime général ont ceci de renversant que la collecte des cotisations ne dépend ni de l’Etat ni du patronat, mais d’une caisse gérée par des représentants syndicaux. La puissance du régime général est redoutable : selon l’estimation de l’Assemblée consultative provisoire en août 1945 (1), il socialise dès le départ le tiers de la masse totale des salaires. Ce système unique sera effectif de 1946 jusqu’au milieu des années 1960. Entre-temps, il aura fait l’objet d’un travail de sape systématique.
Pour l’histoire officielle, tout paraît simple. L’affaiblissement de la droite et des patrons, les cinq millions d’adhérents de la CGT, le « plan complet de sécurité sociale » prévu par le Conseil national de la Résistance et l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui l’institue auraient ouvert un boulevard aux architectes du régime général. C’est une fable. La mise en œuvre concrète s’avère herculéenne. Avec Pierre Laroque, directeur de la sécurité sociale au ministère, Croizat supervise l’installation du nouveau système en lieu et place du méli-mélo préexistant : un millefeuille de couvertures par profession, par branche, par catégorie de salariés, par type de risque, auxquelles s’ajoutent les mutuelles et les caisses syndicales et patronales (2). L’unification repose sur les seuls militants de la CGT, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) s’étant déclarée hostile à la caisse unique. Les crocs-en-jambe ne manquent pas. Quand les militants dénichent un local vide pour héberger une nouvelle caisse, il arrive qu’une administration le préempte (3).