• Assemblée pour la Palestine
    وحدة الشعوب للتحرير
    Internationalists United !

    https://paris-luttes.info/assemblee-pour-la-palestine-17540

    Ce qui est en train de se passer en Palestine n’est pas un épisode de plus dans un conflit « complexe ». C’est un #génocide en direct après 75 ans de #colonisation. Nous refusons de continuer passivement à débattre de comment condamner les horreurs. Nous refusons de laisser les haines antisémites et islamophobes se nourir de la situation. Nous refusons de rester spectateur.ice.s.

    Nous devons nous lever massivement pour la dignité de toutes ces vies.

    Au Caire, pour la premiere fois depuis 10 ans, la foule a surgit sur la place Tahrir symbole des révolutions arabes de 2011 pour crier sa solidarité avec la Palestine. De Londres à Baghdad, en passant par New York et Amman, les manifestations massives nous rappellent la flamme d’une décennie de soulèvements qui ne s’est toujours pas éteinte.

    La France, en plus de son « soutien inconditionnel » à #Israel et son appel à une intervention de la « coalition internationale », est parmi les rares pays à interdire les manifestations de #solidarité avec le peuple palestinien.

    Après l’extermination des peuples indigènes des Amériques, après la traite des esclaves, après la Shoah, les gouvernements occidentaux, en soutenant sans réserve Israel, se rendent à nouveau responsables des pires atrocités coloniales, des pires massacres racistes.

    Les hypocrisies coalisées nous rendent malade. Celles des états occidentaux qui se présentent comme leaders du monde libre et démocratique mais financent les atrocités d’Israel, saccagent le Moyen-Orient, pillent l’Afrique et Abya Yala. Celle du régime russe qui condamne les attaques d’Israel tout en colonisant l’Ukraine. Celle du régime iranien qui soutient la Palestine mais massacre les révoltés en Iran, en Irak ou en Syrie. Celles des régimes arabes qui instrumentalisent les malheurs du peuple palestinien pour leurs propres intérêts et répriment les #réfugié.e.s palestinien.ne.s dans les camps au Liban ou en Syrie.

    Que le #Hamas, une force plus que réactionnaire, représente aujourd’hui l’espoir d’une #libération_nationale est bien le signe des échecs et des trahisons de la #gauche « progressiste ».

    Tous les gouvernements, sans distinction, nous ont trahis. N’en laissons aucun nous diviser. Notre unité, celle des peuples révoltés, est à construire. Elle sera notre force. Elle est notre seul espoir.

    Nous ne pouvons pas choisir une force impérialiste, autoritaire ou colonisatrice au profit d’une autre. La liberation n’est pas divisible ! Nous nous opposons à toutes les violences qui maintiennent l’ordre établi et mutilent les vies. Celles du patriarcat qui tuent les femmes, et les dissident.e.s sexuelles. Celles du #racisme qui frappe les juif.ve.s et les personnes noires depuis plusieurs siècles. Celles du capitalisme qui, partout, se nourrit de la détresse, de l’exploitation, de la mort et de la guerre.

    Contre le génocide en cours à Gaza et pour la #libération de la Palestine nous appelons à ouvrir un front uni depuis le centre de la bête, ici en Occident. Une coalition entre les marges des empires et les dissident.e.s des centres pour contribuer au combat mondial pour la vie et la dignité.

    Les victoires historiques contre les colonialismes en Irlande, au Vietnam, en Algérie ou contre l’apartheid en Afrique du Sud ont été obtenues par les insurgé.e.s sur leurs terres. Mais ces peuples ont aussi arraché leur libération en gagnant dans les centres des empires, quand une partie suffisamment grande de la population de ces centres a exigé la fin de la guerre, de la colonisation ou de l’apartheid. À notre tour d’agir !

    Pour un mouvement puissant contre l’occupation et l’#apartheid, il nous faut créer des espaces ouverts d’auto-organisation, faire éclater l’énergie populaire, multiplier les brèches.

    Personne n’est libre tant que nous ne le sommes pas tous.tes.

    Si ce front est capable de se lever aujourd’hui pour Gaza, il pourra le faire demain contre les bombes des régimes russe et syrien en Syrie, contre celles de la Turquie sur le Kurdistan. Il pourra soutenir les féministes en Iran et à Abya Yala, les révolutionnaires au Soudan ou en Algérie, les luttes des Arménien.ne.s et des Ouïghours, la résistances des Mapuche et des Sahraouis. C’est ce que signifie l’entraide entre révolté.e.s. C’est ce que nous appelons l’#internationalisme des peuples.

    Se battre pour la Palestine, c’est se battre pour le monde.

    Si vous voulez agir mais ne savez pas quoi faire, si vous avez la rage et vous ne voulez plus vous sentir impuissant.e.s, si vous voulez vous mettre en mouvement au lieu de regarder la mort les écrans, rejoignez-nous !

    Nous appelons à une assemblée autonome et transnationale en région parisienne, à Montreuil le jeudi 9 novembre à 18h30 à l’espace AERI au 57 rue Etienne Marcel 93100

  • Chlordécone : intervention de Solidaires au rassemblement du 28 octobre 2023 à Paris
    L’Union syndicale Solidaires condamne fermement l’inaction des gouvernements précédents et de l’actuel face à la gestion scandaleuse de cette catastrophe sanitaire qu’est le chlordécone. Le gouvernement ne peut plus fermer les yeux. Il se doit de réagir et de prendre toutes les mesures nécessaires en commençant par répondre aux revendications et demandes de la population antillaise.

    Les coupables de cet empoisonnement doivent être condamné-es, qu’il s’agisse des pouvoirs publics mais aussi du lobby de la mono-culture de la banane coupable de pressions multiples pour proroger l’utilisation du Chlordécone, au moins jusqu’en 1993.

    En effet, le chlordécone est un pesticide coriace non biodégradable qui n’est pas près de disparaître. Considéré comme extrêmement nocif, ce pesticide n’a plus été utilisé aux États-Unis dès 1976. Il aura fallu attendre 1990 pour qu’il soit interdit dans l’Hexagone. Mais par dérogation ministérielle et sur pression des planteurs békés antillais, il a continué d’être utilisé en Guadeloupe et en Martinique 3 années supplémentaires.

    Ce pesticide a donc été utilisé sur les bananiers dans les Antilles françaises entre 1972 et 1993, au minimum 17 années de trop.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/10/25/chlordecone-verite-et-reparations/#comment-59286

    #santé #colonisation

  • Tanzanie : le président allemand demande « pardon » pour les massacres de l’époque coloniale

    Le chef de l’Etat allemand, Frank-Walter Steinmeier, a demandé « pardon » mercredi 1er novembre pour les exactions commises par les forces coloniales de son pays en #Tanzanie, lors d’une visite à Songea, lieu d’un massacre de Maji-Maji au début du XXe siècle. « Je m’incline devant les victimes de la domination coloniale allemande. Et en tant que président allemand, je voudrais demander pardon pour ce que les Allemands ont fait subir ici à vos ancêtres », a-t-il déclaré, selon le texte d’un discours diffusé par ses services en #Allemagne.

    "allemands" et pas État allemand, pas de génocide, vraiment ? @klaus

    #colonisation #colonialisme #génocide #hereros

  • « La question du passé colonial est le dernier “tabou” de l’histoire de France des XIXᵉ et XXᵉ siècles »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/30/la-question-du-passe-colonial-est-le-dernier-tabou-de-l-histoire-de-france-d

    Les deux historiens Nicolas Bancel et Pascal Blanchard plaident pour la création d’un musée des colonisations, comme il en existe dans d’autres pays européens, qui permettrait de relativiser les mémoires antagonistes et d’intégrer à l’histoire des millions de personnes qui s’en sentent exclues.
    L’histoire coloniale est désormais à l’agenda des débats publics. Et si les débats sont très polarisés – entre les tenants d’une vision nostalgique du passé et les apôtres du déclin (de plus en plus entendus, comme le montre la onzième vague de l’enquête « Fractures françaises ») et les décoloniaux les plus radicaux qui assurent que notre contemporanéité est tout entière issue de la période coloniale –, plus personne en vérité ne met aujourd’hui en doute l’importance de cette histoire longue, en France, de cinq siècles.
    Loin des conflits mémoriaux des extrémistes, l’opinion semble partagée entre regarder en face ce passé ou maintenir une politique d’amnésie, dont les débats qui accompagnèrent les deux décrets de la loi de 2005 sur les « aspects positifs de la colonisation » furent le dernier moment d’acmé. Vingt ans après, les politiques publiques sur le sujet sont marquées par… l’absence de traitement collectif de ce passé, dont l’impossible édification d’un musée colonial en France est le symptôme, au moment même où va s’ouvrir la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts.

    Si l’#histoire_coloniale n’est pas à l’origine de l’entièreté de notre présent, ses conséquences contemporaines sont pourtant évidentes. De fait, les récents événements au Niger, au Mali et au Burkina Faso signent, selon Achille Mbembe, la « seconde décolonisation », et sont marqués par les manifestations hostiles à la France qui témoignent bien d’un désir de tourner la page des relations asymétriques avec l’ancienne métropole. En vérité, malgré les assurances répétées de la volonté des autorités françaises d’en finir avec la « Françafrique », les actes ont peu suivi les mots, et la page coloniale n’a pas véritablement été tournée.

    Relation toxique

    La France souffre aussi d’une relation toxique avec les immigrations postcoloniales et les #quartiers_populaires, devenus des enjeux politiques centraux. Or, comment comprendre la configuration historique de ces flux migratoires sans revenir à l’histoire coloniale ? Comment comprendre la stigmatisation dont ces populations souffrent sans déconstruire les #représentations construites à leur encontre durant la colonisation ?

    https://archive.ph/cLr0N

    #france #colonisation #racisme #musée

  • La Question d’Israël, Olivier Tonneau
    https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/161023/la-question-disrael

    La violence qui s’abat sur Gaza appelle à une condamnation sans faille d’Israël. Elle suscite également pour l’Etat hébreu une haine qui exige, en revanche, d’être soumise à l’analyse.

    Ce texte mûrit depuis des années. J’aurais préféré ne pas l’écrire en des temps de fureur et de sang mais sans l’effroi de ces derniers jours, je ne m’y serais peut-être jamais décidé.
    Effroi devant les crimes du #Hamas : j’ai repris contact avec Noam, mon témoin de mariage perdu de vue depuis des années qui vit à Tel Aviv, pour m’assurer qu’il allait bien ainsi que ses proches. Effroi devant les cris de joie poussés par tout ce que mon fil Facebook compte d’ « #antisionistes », puis par le communiqué du #NPA accordant son soutien à la résistance palestinienne quelques moyens qu’elle choisisse – comme si la #guerre justifiait tout et qu’il n’existait pas de #crimes_de_guerre.
    Effroi, ensuite, face aux réactions des #médias français qui, refusant absolument toute contextualisation de ces crimes, préparaient idéologiquement l’acceptation de la répression qui s’annonçait. Effroi face à cette répression même, à la dévastation de #Gaza. Effroi d’entendre Netanyahou se vanter d’initier une opération punitive visant à marquer les esprits et les corps pour des décennies, puis son ministre qualifier les #Gazaouis d’animaux. Ainsi les crimes commis par le Hamas, que seule une mauvaise foi éhontée peut séparer des violences infligées par le gouvernement d’extrême-droite israélien aux #Palestiniens, servent de prétexte au durcissement de l’oppression qui les a engendrés. Effroi, enfin, face au concert d’approbation des puissances occidentales unanimes : les acteurs qui seuls auraient le pouvoir de ramener #Israël à la raison, qui d’ailleurs en ont la responsabilité morale pour avoir porté l’Etat Hébreu sur les fonts baptismaux, l’encouragent au contraire dans sa démence suicidaire.

    Je veux dans ce texte dire trois choses. Les deux premières tiennent en peu de mots. D’abord, ceux qui hurlent de joie face au #meurtre_de_civils ont perdu l’esprit. Je n’ose imaginer ce qui se passe dans celui de victimes d’une oppression soutenue ; quant aux #militants regardant tout cela de France, ils ont en revanche perdu toute mon estime. Cependant – c’est la deuxième chose – si la qualification des actes du #Hamas ne fait aucun doute, un crime s’analyse, même en droit, dans son contexte. Or si la responsabilité des agents est toujours engagée, elle ne délie nullement Israël de sa responsabilité écrasante dans la mise en œuvre d’occupations, de répressions, de violences propres à susciter la haine et la folie meurtrière. Qui plus est, Israël étant dans l’affaire la puissance dominante a seule les moyens de transformer son environnement. Le gouvernement Israélien est cause première de la folie meurtrière et premier responsable de l’accélération du cycle infernal. Qu’il y eût une troisième chose à dire, c’est ce qui m’est apparu en lisant dans un tweet de Louis Boyard : 
    « Il est hors de question que je me penche sur la question d’Israël (…). L’Etat d’Israël est une terre « volée » à la Palestine qu’ils le veuillent ou non ».

    Ce sont là propos parfaitement banals de la part des antisionistes d’aujourd’hui. Ils ont le mérite de dire crûment que la critique d’Israël, au-delà des actes barbares commis par son gouvernement, porte sur le fondement même de l’Etat hébreu dont on aurait tout dit une fois rappelé qu’il s’est fondé sur le « vol » d’une terre. Cette attitude est à mes yeux irresponsable et même choquante. Comment ne pas entendre l’écho assourdissant de la vieille « question juive » dans la formule « question d’Israël » ? Aussi l’enjeu principal de ce texte, qui exige un développement d’une certaine longueur, est cette question même.

    ... « la #colonisation travaille à déciviliser le #colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la #haine_raciale, au relativisme moral » (Aimé Césaire)

    ... « La référence permanente au génocide des Juifs d’Europe et l’omniprésence de ces terribles images fait que, si la réalité du rapport de forces rend impossible l’adoption des comportements des victimes juives, alors on adopte, inconsciemment ou en général, les comportements des massacreurs du peuple juif : on marque les Palestiniens sur les bras, on les fait courir nus, on les parque derrière des barbelés et des miradors, on s’est même servi pendant un cours moment de Bergers Allemands. » #Michel_Warschawski

    ... le gouvernement israélien ne fonde pas sa sécurité sur le désarmement du Hamas mais sur le traumatisme des Palestiniens dans leur ensemble, ces « animaux » auxquels on promet un châtiment qui rentrera dans l’histoire – comme s’il était temps de leur offrir, à eux aussi, l’impérissable souvenir d’un holocauste....

    ... « Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus » (Ahron Bregman)

    ... si deux millions de pieds-noirs ont pu retraverser la Méditerranée, deux cent cinquante mille colons peuvent repasser la ligne verte : c’est une question de volonté politique.

    #toctoc #nationalisme #génocide #déshumanisation_de_l’autre #juifs #israéliens #Intifada #11_septembre_2001 #Patriot_Act #histoire #utopie #paix #Henry_Laurens #Edward_Saïd #Maxime_Rodinson #Ahron_Bregman #Henryk_Erlich #Emmanuel_Szerer #Bund #POSDR #URSS #fascisme #nazisme #Vladimir_Jabotinsky #sionisme #Etats-Unis #Grande-Bretagne #ONU #Nakba #Arthur_Koestler #Albert_Memmi #libération_nationale #Shlomo_Sand #Ilan_Pappe #apartheid #loi_militaire #antisémitisme #diaspora_juive #disapora #religion #fascisme_ethniciste

  • A Rafah, le procureur de la Cour pénale internationale appelle au respect des lois de la guerre [et puis s’en va]
    https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/30/a-rafah-le-procureur-de-la-cour-penale-internationale-appelle-au-respect-des

    Dimanche 29 octobre, le Britannique s’est rendu pour une brève déclaration au poste- frontière de Rafah, seul point de passage de la bande de #Gaza vers le monde extérieur, via l’Egypte, dans les pas du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui, le 20 octobre, avait plaidé, sur place, pour l’accès de l’aide humanitaire à Gaza. La #CPI avait ouvert une enquête en 2021 sur la #guerre de 2014 dans l’enclave, et sur la #colonisation des territoires palestiniens occupés, dont Jérusalem-Est. Mais les investigations n’ont guère progressé. #Israël conteste à la Cour – dont il n’est pas membre– toute compétence.
    M. Khan ne souhaitait pas s’aliéner Washington, principal allié d’Israël, en dépit de l’insistance des #Palestiniens. En décembre 2022, Raji Sourani, figure du Centre palestinien pour les droits de l’homme, une organisation qui documente les exactions depuis des années, avait épinglé le procureur sur les lenteurs du dossier. Depuis, le militant est retourné à Gaza, d’où il envoie quelques rares tweets pour dénoncer le « nettoyage ethnique » en cours et « le génocide ».

    Le 26 octobre, le ministre des affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Riyad Al-Maliki, a rencontré Karim Khan à La Haye, où siège la CPI, pour l’assurer de sa coopération, sans toutefois dire publiquement si elle s’étendait au massacre commis par le Hamas, le 7 octobre. Filmé dimanche devant la porte de Rafah, le procureur a assuré qu’il aurait « vraiment voulu pouvoir entrer à Gaza et aussi aller en Israël ».

    Depuis le 7 octobre, juristes, diplomates, ONG et experts de l’#ONU ont critiqué ses silences. Ainsi, sur X (anciennement Twitter), le juriste de l’organisation palestinienne des droits de l’homme Al-Haq, Ahmed Abofoul, qui a perdu plusieurs proches à Gaza depuis le 7 octobre, a demandé au procureur de réagir. En 2018, à la suite de « menaces » de poursuites de la CPI, le gouvernement israélien avait renoncé à déplacer de force la population de Khan Al-Ahmar, un village bédouin au sud de Jérusalem.

    Beaucoup reprochent à la Cour « une justice à deux vitesses », en particulier depuis le début de la guerre en Ukraine, où il n’a fallu qu’un an à M. Khan pour lancer un mandat d’arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine. « Des critiques qui pourraient encore se faire entendre » à l’Assemblée générale de l’ONU, selon un diplomate. Le président de la CPI devait y présenter, lundi 30 octobre, son rapport annuel.

    #U.S.A #crimes_de_guerre #crimes_contre_l'humanité

  • #Rima_Hassan : « Nous subissons une #punition_collective »

    Pour Rima Hassan, juriste et fondatrice de l’Observatoire des camps de réfugiés, ce qui se passe à #Gaza est un « #carnage », qui relève d’une logique de « #génocide ». Elle dénonce le #cynisme de #Nétanyahou et la #récupération du #Hamas.

    Rima Hassan, 30 ans, est une Palestinienne dont toute la vie s’est déroulée en exil. Apatride jusqu’à ses 18 ans, aujourd’hui française, elle suit la guerre depuis la Jordanie, où elle séjourne actuellement pour une recherche à travers plusieurs pays sur les camps de réfugié·es palestinien·nes. Juriste autrice d’un mémoire de master en droit international sur la qualification du crime d’apartheid en Israël, dans une approche comparative avec l’Afrique du Sud, cette fondatrice de l’Observatoire des camps de réfugiés dénonce aujourd’hui un « génocide » et la #responsabilité d’#Israël dans la création du Hamas. Elle répond par téléphone à Mediapart samedi après-midi, alors que toutes les communications avec Gaza étaient coupées depuis la veille au soir.

    Mediapart : Qu’avez-vous comme informations sur ce qu’il se passe depuis vendredi soir à Gaza ?

    Rima Hassan : Les seules informations dont je dispose sont celles des journalistes d’Al Jazeera. C’est un carnage qui est en train de se passer. Jusqu’ici, l’#armée_israélienne prévenait tout de même avant de bombarder : #Tsahal larguait des centaines de petits coupons de papier sur la population gazaouie, pour avertir et donner quelques heures aux civils pour évacuer. Mais cette nuit-là, d’après Al Jazeera, il n’y a même pas eu d’annonce. Ce sont des #attaques_indiscriminées, par tous les moyens dont dispose l’armée israélienne. Il faudra mettre en perspective le nombre de responsables du Hamas tués par rapport au nombre de #victimes_civiles. D’après l’UNRWA, l’agence de l’ONU d’aide aux réfugiés palestiniens, 1,2 million de personnes de la bande Gaza ont par ailleurs déjà été déplacées.

    Ce qui se passe est inédit, paralysant, il est très compliqué de réfléchir. Depuis vendredi en fin de journée, on ne peut plus joindre personne dans la bande de Gaza.

    Comment qualifier les événements ?

    Cela relève du génocide. On n’a pas encore les chiffres précis, les Palestiniens ne sont plus en mesure de compter leurs morts. Ce vendredi 27 octobre était de toute façon une nuit sans précédent en termes d’intensification des #bombardements, dans l’un des territoires les plus densément peuplés au monde.

    Mais au-delà des morts, c’est tout ce qui entoure cette offensive qui caractérise le génocide : le fait de ne pas laisser de passages sûrs accessibles aux civils pour pouvoir fuir les combat, d’empêcher les humanitaires de passer, de ne pas prévenir les lieux qu’on cible, et le #blackout. En coupant toutes les communications, les autorités israéliennes veulent minimiser l’écho international de ce qui s’est passé dans la nuit de vendredi à samedi à Gaza. Je rappelle que 34 journalistes ont été tués dans le territoire depuis le 7 octobre.

    On fait tout pour concentrer une population sur un même espace, et précisément au moment où une résolution est adoptée à la majorité à l’ONU en faveur d’un cessez-le feu, on intensifie les bombardements, tout en bloquant tous les canaux de #communication : tout est mobilisé pour que les dégâts soient maximaux.

    Israël a tué bien plus à Gaza depuis le 7 octobre qu’au cours des vingt dernières années.

    Estimez-vous qu’il y a une intention génocidaire ?

    Il suffit d’écouter les déclarations des officiels israéliens. L’#animalisation du sujet palestinien est constante, de la même manière que les Juifs et les Tutsis étaient comparés à des animaux. Toutes les catégories des groupes ayant fait l’objet de #massacres ont été déshumanisées dans le but de justifier leur exclusion de la communauté humaine ; c’était un préalable à leur #extermination. « Nous combattons des #animaux_humains », a dit le ministre israélien de la défense #Yoav_Gallant le 9 octobre…

    Les médias israéliens répandent en outre l’idée qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza : les civils tués sont assimilés au Hamas, à des terroristes – dans ces circonstances, un #dommage_collatéral n’est pas très grave. Les propos tenus sont sans ambiguïté : « #incinération_totale », « Gaza doit revenir à Dresde », « annihiler Gaza maintenant », etc. Voilà ce qu’a pu dire jeudi #Moshe_Feiglinun, ancien membre de la Knesset, sur un plateau télé.

    On a entendu dire également par #Benyamin_Nétanyahou que les Palestiniens pouvaient être accueillis dans le #Sinaï [territoire égyptien frontalier d’Israël et de la bande de Gaza – ndlr], ce qui renvoie, là aussi, à une logique de #disparition : c’est une population indésirable que l’on souhaite exclure.

    Toute cela s’inscrit dans une logique colonialiste de la part d’Israël, depuis sa création. Depuis longtemps on observe, chez les officiels israéliens, une constante à déshumaniser les Palestiniens, qui, bien avant le 7 octobre 2023, ont été comparés à des #cafards ou à des #sauterelles. « Les Palestiniens seront écrasés comme des sauterelles (…) leurs têtes éclatées contre les rochers et les murs », disait le premier ministre israélien #Yitzhak_Shamir en 1988. « Lorsque nous aurons colonisé le pays, il ne restera plus aux Arabes qu’à tourner en rond comme des cafards drogués dans une bouteille », avait déclaré le chef d’état-major #Raphael_Eitan en 1983 d’après le New York Times.

    Les massacres du 7 octobre ont été perçus comme quelque chose d’explosif. En termes de vies civiles perdues, c’est sans précédent. Mais il faut rappeler que cela s’inscrit dans un #conflit_colonial_asymétrique, où les #réfugiés_palestiniens ont vu l’abolition de leur #droit_au_retour, où les Palestiniens de #Cisjordanie vivent sous #colonisation et sous #occupation, où les Palestiniens citoyens d’Israël se sont vu octroyer un statut de seconde zone après un régime militaire jusqu’en 1967, et où les Palestiniens de Gaza vivent un #blocus illégal depuis dix-sept ans.

    Quelle est l’importance du facteur religieux ?

    Ce n’est pas un #conflit_religieux. Même si l’on a au pouvoir des gens liés à une #radicalité_religieuse, du côté du pouvoir israélien comme du Hamas. On observe une #dérive_religieuse dans les extrêmes des deux sociétés.

    La population palestinienne ne fait pas de reproche aux Israéliens pour ce qu’ils sont – des Juifs –, mais pour ce qu’ils font : la colonisation.

    Rappelons que les personnes à l’origine de la fondation de l’État d’Israël étaient des laïques, et non pas des religieux. L’identité palestinienne a par ailleurs toujours été multiconfessionnelle.

    Il est inconcevable de confisquer une souffrance palestinienne vieille de 75 ans avec la #récupération qui est faite aujourd’hui par le Hamas. Pour nous, c’est la #double_peine.

    Côté israélien, c’est d’un #cynisme sans nom : c’est Nétanyahou lui-même qui a soutenu le Hamas, car l’organisation islamiste était perçue comme rivale du #Fatah [parti nationaliste palestinien fondé par Yasser Arafat – ndlr]. Voilà ce qu’il déclarait par exemple en mars 2019, comme l’a rappelé récemment un article d’Haaretz : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et transférer de l’argent au Hamas. » Israël a une responsabilité majeure dans la création de l’organisation islamiste. Ce sont les autorités israéliennes qui ont nourri le monstre.

    Nous subissons avec ce blocus une punition collective. Nous qui utilisons le droit international et la voie diplomatique, qui nous battons depuis des dizaines d’années pour un État laïque, nous nous trouvons face à des autorités qui ont soutenu le Hamas... et qui aujourd’hui nous bombardent.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/291023/rima-hassan-nous-subissons-une-punition-collective
    #Palestine #7_octobre_2023 #déshumanisation #religion #à_lire

  • Un cas d’école de génocide | Raz Segal
    https://cabrioles.substack.com/p/un-cas-decole-de-genocide-raz-segal

    · Note de Cabrioles : Nous aurions aimé ces denières semaines trouver les forces nécessaires pour visibiliser la situation palestinienne tout en réalisant un dossier sur la pandémie dans le contexte colonial palestinien.

    Nous aurions sûrement traduit des articles de The Pandemic and #Palestine_, le numéro du _Journal of Palestine Studies de 2020 dédié à la #pandémie. Peut-être des extraits de l’interview que sa coordinatrice Danya Qato avait donné à nos camarades de Death Panel. Fouiller dans les articles de Nadia Naser-Najjab qui a donné une conférence The Darkest Side of #Covid-19 in Palestine et publiera en 2024 un livre intitulé Covid-19 in Palestine, The Settler Colonial Context. Enfin nous vous aurions invité à relire l’interview de Danya Cato traduite en 2020 dans À l’encontre et cet article d’ACTA paru en avril 2020 : Le peuple palestinien entre pandémie, harcèlement colonial et autodéfense sanitaire.

    Mais ces forces nous font pour le moment défaut. Pour autant nous ne pouvons nous taire sur ce qui se passe au Moyen Orient ces dernières semaines. Notre voix est faible, mais dans ces moments d’effondrement général il semblerait que chaque voix compte. La pandémie de Covid-19 nous a mis face à deux phénomènes majeurs : la production industrielle de l’insensibilisation à la mort de masse et la complaisance abyssale de la #gauche avec l’#antisémitisme.

    Le premier a de multiples racines dont les principales sont le #colonialisme et le #racisme meurtrier qui structurent le #capitalisme_racial et ses ressorts eugénistes. Racisme, #validisme et #eugénisme sont historiquement inextricables. Les plus de 300 morts par jour de novembre 2020 à avril 2021, et les dizaines de milliers qui ont précédées et suivies, ont pu être d’autant plus facilement acceptées et oubliées qu’elles touchaient d’abord les #classes_populaires racisées, et que depuis des années nous avions été habitué·es au décompte des morts dans la #méditerranée de personnes en exil. En les déshumanisant, en en faisant un rebut.

    Le second phénomène, l’antisémitisme au sein de la gauche, nourrit les rapprochements et dangers les plus corrosifs à force d’être nié par celle-ci. Nous avons vu de larges pans de la gauche et des mouvements #révolutionnaires défilés aux côté d’antisémites assumés, prendre leur défense, relativiser le génocide des Juifves d’Europe. Nous avons vu nombres de camarades se rapprocher de formations fascisantes en suivant cette voie. À travers l’antisémitisme la #déshumanisation des Juifves opère en en faisant non un rebut mais un groupe prétendument homogène qui détiendrait le pouvoir, suscitant des affects de haine d’autant plus féroces.

    Ces deux phénomènes ont explosé ces dernières semaines. À l’#animalisation des palestinien·nes en vue de leur #nettoyage_ethnique est venue répondre la culpabisation par association de toute la #population_israélienne, si ce n’est de tous les Juifves de la terre, aux massacres perpétués par le gouvernement d’#extrême-droite de l’État d’#Israël et les forces capitaliste occidentales.

    La projet de #colonisation de la Palestine est né des menées impérialistes de l’#occident capitaliste et de l’antisémitisme meurtrier de l’#Europe. Ils ne pourront être affrontés séparément. Les forces fascisantes internationales qui prétendent désormais sauver le capitalisme des désastres qu’il a produit par un #nationalisme et un #suprémacisme débridé, se nourrissent de l’intensification de tous les racismes - #islamophobie, antisémitisme, #négrophobie, #antitsiganisme, #sinophobie…- en vue de capturer les colères et de désigner comme surplus sacrifiables des parts de plus en plus larges de la population.

    En #France l’extrême-droite joue habilement de l’islamophobie et de l’antisémitisme structurels, présents jusque dans les rangs de la gauche radical, en potentialisant leurs effets par un jeu de miroirs explosif.

    Face à cela il nous faut un front uni qui refuse la déshumanisations des morts et des #otages israelien·nes tout en attaquant le #système_colonial qui domine et massacrent les palestinien·nes. Il nous faudra également comprendre l’instrumentalisation historique des Juifves et de l’antisémitisme par l’#impérialisme_occidental dans la mise en place de ce système.

    Nous n’avons pas trouvé les forces pour faire ce dossier. Nous republions donc ce texte important de l’historien israélien Raz Segal paru il y a maintenant deux semaines dans la revue Jewish Current. Deux semaines qui semblent aujourd’hui une éternité. Il nous faut nous organiser pour combattre de front la montée incendiaire de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Et faire entendre haut et fort :

    Un #génocide est en cours en Palestine.
    Tout doit être fait pour y mettre un terme.

  • #Of_Land_and_Bread

    « #B'Tselem – le centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les #territoires_occupés – a promu en 2007 un projet qui consistait à donner des caméras vidéo aux Palestinien.ne.s en Cisjordanie afin qu’ils/elles puissent documenter les violations des droits de l’homme qu’ils étaient contraint.e.s de subir sous l’occupation israélienne. Ces #enregistrements_vidéo bruts capturent de la manière la plus simple et la plus efficace les abus quotidiens et implacables commis à répétition par les colons illégaux et l’armée contre les Palestinien.ne.s. Au fil des ans, tous ces films sont devenus des #archives vivantes et malheureusement en constante expansion des #abus incessants et de la violence dont souffre la population palestinienne et avec lesquels elle doit vivre. Of Land and Bread rassemble certains de ces courts métrages dans un long métrage documentaire qui n’est indéniablement pas facile à regarder. La brutalité des colons et de l’armée n’épargne personne. Et pourtant, il est nécessaire de voir pour bien saisir et comprendre l’ampleur du cycle sans fin des violations des droits de l’homme auxquelles les Palestinien.ne.s sont confronté.e.s, alors que le monde regarde obstinément de l’autre côté. »


    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/59534_0
    #film #documentaire #film_documentaire #Cisjordanie #Palestine #colonisation #Israël #terre #armée_israélienne #violence #humiliations #destruction #brutalité #arrestations_arbitraires #menaces #insultes #provocation #documentation #droits_humains #archive #à_voir

  • 23/10/2023
    Israeli think tank lays out a blueprint for the complete ethnic cleansing of Gaza – Mondoweiss
    https://mondoweiss.net/2023/10/israeli-think-tank-lays-out-a-blueprint-for-the-complete-ethnic-cleansin

    #nakba

    Update, October 24, 2023

    After this article was originally published, the Israeli outlet Calcalist reported on a separate plan for the ethnic cleansing of Gaza that is being circulated by the Israeli Intelligence Ministry headed by Gila Gamliel. The leaked document was reportedly created for an organization called “The Unit for Settlement – Gaza Strip” and was not meant for the public.

    In the plan being proposed by the Intelligence Ministry, Palestinians in Gaza would be displaced from Gaza to the northern Egyptian Sinai peninsula. In the report, the ministry described different options for what comes after an invasion of Gaza and the option deemed as “liable to provide positive and long-lasting strategic results” was the transfer of Gaza residents to Sinai. The move entails three steps: the creation of tent cities southwest of the Gaza Strip; the construction of a humanitarian corridor to “assist the residents”; and finally, the building of cities in northern Sinai. In parallel, a “sterile zone”, several kilometers wide, would be established within Egypt, south of the Israeli border, “so that the evacuated residents would not be able to return”. 

    In addition, similar to the plan described in the original story below, the document calls for cooperation with other countries, in fact “as many as possible” so that they may “absorb” the Palestinians who have been uprooted from Gaza. Among the countries mentioned as possible sites for Palestinians from Gaza are Canada, European countries such as Greece and Spain, and North African countries. 

    Original article

    The Hamas attack on Israeli towns surrounding Gaza on October 7 has provided a pretext for an unprecedented, genocidal revenge campaign by Israel involving the massacre of now nearly 5,000 Palestinians, including over 2,000 children – and that may only be the beginning. Now, an Israeli think tank with ties to Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu is promoting plans for the complete ethnic cleansing of Gaza. 

    On October 17, the Misgav Institute for National Security & Zionist Strategy published a position paper advocating for the “relocation and final settlement of the entire Gaza population.” The report advocates exploiting the current moment to accomplish a long-held Zionist goal of moving Palestinians off the land of historic Palestine. The report’s subtitle makes it clear: “There is at the moment a unique and rare opportunity to evacuate the whole Gaza Strip in coordination with the Egyptian government.” 

    The Misgav Institute is headed by former Netanyahu National Security Advisor Meir Ben Shabbat, who remains influential in Israeli security circles.

  • Chlordécone : vérité et réparations !

    Manifestation samedi 28 octobre à Paris,
    à 14 heures au kiosque de la Place de la Nation
    en soutien aux mobilisations qui se dérouleront
    en Martinique du 22 au 28 octobre 2023

    Le chlordécone, insecticide interdit depuis 1975 aux États-unis, n’a jamais été utilisé en France hexagonale mais a été utilisé aux Antilles au moins jusqu’en 1994 dans les plantations de bananes, et a empoisonné toute la population antillaise, qu’elle vive en Guadeloupe, en Martinique ou ailleurs du fait de déplacements forcés.

    Ce pesticide a aussi pollué les terres, et donc la production agricole, la mer, l’eau et, ce, pour plusieurs siècles !

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/10/25/chlordecone-verite-et-reparations

    #santé #colonisation

  • Guerre Israël-Hamas : « Les dirigeants israéliens n’ont pas compris que, dans une guerre asymétrique, le faible finit en général par l’emporter sur le fort », Sophie Bessis
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/24/guerre-israel-hamas-les-dirigeants-israeliens-n-ont-pas-compris-que-dans-une

    Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, nombre d’esprits que l’on pouvait jusqu’ici qualifier de raisonnables somment les uns et les autres de choisir leur camp. La seule attitude raisonnable est de refuser une telle injonction et de tenter de comprendre, sachant que comprendre n’équivaut pas à justifier. Car de quoi parle-t-on ? Si le Hamas s’était contenté d’enfoncer le mur de sécurité israélien et d’attaquer les casernes de Tsahal [l’armée israélienne], son opération aurait été légitime, quelle que soit la répugnance que peut inspirer un mouvement de nature fondamentaliste et totalitaire, car il aurait pulvérisé la certitude qu’a Israël de sa toute-puissance et l’aurait peut-être ramené au principe de réalité. Mais le #massacre de centaines de #civils israéliens ne peut être considéré comme un acte de résistance à l’occupant et doit être condamné sans réserves.

    L’histoire des luttes de libération du XXe siècle nous enseigne que le refus des colonisateurs de négocier avec leurs responsables considérés comme les plus modérés a radicalisé ces derniers ou a laissé la voie libre à leurs éléments les moins disposés au compromis. Toutes ces luttes ont montré que le désespoir des dominés, l’absence de perspectives engendrée par l’entêtement des occupants à occuper ont fini par convaincre les premiers que la violence seule pouvait les libérer. Ils sont alors devenus des terroristes.

    C’est ainsi que l’on a qualifié entre autres le Vietcong, le Front de libération national algérien et, jusqu’en 1993, l’Organisation de libération de la #Palestine, avant de les reconnaître comme des interlocuteurs obligés. Il faut rappeler à cet égard qu’au cours des dernières décennies, le Mossad [les services de renseignement extérieur israéliens] a systématiquement assassiné des dirigeants palestiniens sinon les plus modérés, du moins les plus politiques, à l’instar d’Abou Jihad [en 1988], laissant il est vrai aux franges les plus extrémistes du mouvement palestinien, comme le groupe d’Abou Nidal, le soin d’éliminer ceux qu’il épargnait.

    Le retour du refoulé colonial

    Le vocabulaire des situations coloniales est d’une affligeante monotonie : quand la violence répond à la violence parce que toutes les autres routes ont été coupées, celle de l’oppresseur est passée sous silence et celle de l’opprimé devient l’emblème du mal et de la cruauté qui caractérisent son essence et sa culture.

    Malheureusement, les prises de position unilatérales des dirigeants occidentaux en faveur d’Israël ont toutes relevé de cette rhétorique du pire. Leurs déclarations semblent en outre indiquer que ce n’est pas seulement les massacres de masse commis par le Hamas qu’ils ont condamné, c’est l’idée même qu’une action armée palestinienne puisse être menée contre l’Etat hébreu. Le Hamas ne s’est pas contenté de cette dernière et a, par l’ampleur de ses tueries, donné à Israël l’occasion de décupler l’hubris qui caractérise depuis des décennies sa politique et qui a atteint des sommets ces dernières années. Comment expliquer une telle partialité sinon par un retour bruyant du refoulé colonial de ces puissances à l’imperium désormais contesté ?

    L’#histoire, à cet égard, est friande de paradoxes. Alors que, durant des siècles, la figure du #juif a représenté en Europe l’intrusion sur son sol de l’Orient, Israël est aujourd’hui le bastion avancé de l’#Occident au cœur même d’un #Orient vu comme de plus en plus menaçant. C’est ce bastion que les Occidentaux entendent défendre coûte que coûte sans voir qu’à manquer de justice ils encouragent la folle dérive de leur protégé et entretiennent le feu au lieu de tenter de l’éteindre. Pas un seul d’entre eux n’a évoqué l’urgente nécessité de remettre la question politique de la #colonisation au cœur de l’actualité. Les moins frileux se contentent d’appeler à rechercher des « solutions » et à accroître l’aide humanitaire à une population ici écrasée sous les bombes, là survivant sous la botte d’une armée d’occupation et livrée aux exactions des #colons qu’elle protège.

    Illusoire protection

    Leur silence sur les raisons profondes de la dévastation en cours est devenu à ce point inacceptable qu’il a réussi la prouesse de dresser contre eux les régimes arabes les moins recommandables, de l’#Egypte à l’#Arabie_saoudite, d’ordinaire prêts à accepter toute instruction de Washington contre quelques milliards de dollars ou des livraisons d’armes supplémentaires. Cela ne suffit plus. Eux aussi, si dictatoriaux soient-ils, doivent tenir compte d’opinions publiques dont l’#antisionisme est porté par cette nouvelle guerre à l’incandescence. Que ce dernier se mue trop souvent en haine du juif est déplorable, et la récente dégradation d’un mausolée juif en Tunisie, que le pouvoir a laissé faire, montre la progression de ce mal.

    Mais ici aussi, il convient de revenir en arrière. Depuis sa création, aidé en cela une fois de plus par l’Occident, Israël s’est érigé en seule incarnation du peuple juif – une notion en soi problématique – qu’il entendait réunifier, tout juif ayant aux yeux de ses dirigeants pour devoir de le défendre sans conditions. Nombre d’entre eux se sont pliés à ce commandement. D’autres s’y refusent, plus nombreux qu’on ne le croit. Mais tous seront en danger tant qu’on les confondra avec un Etat dont la politique coloniale devient au fil des ans d’une brutalité sans limites.

    Convaincu depuis sa création que la force prime sur le droit, désormais aveuglé par sa soif de #vengeance et par l’illusoire protection que lui offrent ses alliés occidentaux dont les interventions dans la région ont depuis plus d’un siècle davantage fait partie des problèmes que de leur solution, l’Etat israélien est aujourd’hui entre les mains d’extrémistes qui n’ont rien à envier à leurs ennemis jurés du Hamas. Les deux se ressemblent dans la mesure où les deux voient dans l’anéantissement de l’autre la seule condition de leur survie.

    Ce que les dirigeants israéliens n’ont cependant pas compris, c’est que, dans une guerre asymétrique, le faible finit en général par l’emporter sur le fort. A oublier cette leçon, ils risquent de rééditer la fin tragique du Samson de la Bible qui, dans le même geste, ensevelit les Philistins sous les décombres de leur demeure et se suicida.

    Sophie Bessis est historienne et politiste. Son dernier ouvrage paru est « Je vous écris d’une autre rive. Lettre à Hannah Arendt » (Elyzad, 2021)

    #Hamas #Israël #exterminisme

  • #Judith_Butler : Condamner la #violence

    « Je condamne les violences commises par le #Hamas, je les condamne sans la moindre réserve. Le Hamas a commis un #massacre terrifiant et révoltant », écrit Judith Butler avant d’ajouter qu’« il serait étrange de s’opposer à quelque chose sans comprendre de quoi il s’agit, ou sans la décrire de façon précise. Il serait plus étrange encore de croire que toute #condamnation nécessite un refus de comprendre, de #peur que cette #compréhension ne serve qu’à relativiser les choses et diminuer notre #capacité_de_jugement ».

    Les questions qui ont le plus besoin d’un #débat_public, celles qui doivent être discutées dans la plus grande urgence, sont des questions qui sont difficiles à aborder dans les cadres existants. Et même si l’on souhaite aller directement au cœur du sujet, on se heurte à un cadre qui fait qu’il est presque impossible de dire ce que l’on a à dire. Je veux parler ici de la violence, de la violence présente, et de l’histoire de la violence, sous toutes ses formes. Mais si l’on veut documenter la violence, ce qui veut dire comprendre les #tueries et les #bombardements massifs commis par le Hamas en Israël, et qui s’inscrivent dans cette histoire, alors on est accusé de « #relativisme » ou de « #contextualisation ». On nous demande de condamner ou d’approuver, et cela se comprend, mais est-ce bien là tout ce qui, éthiquement, est exigé de nous ? Je condamne les violences commises par le Hamas, je les condamne sans la moindre réserve. Le Hamas a commis un massacre terrifiant et révoltant. Telle a été et est encore ma réaction première. Mais elle n’a pas été la seule.

    Dans l’immédiateté de l’événement, on veut savoir de quel « côté » sont les gens, et clairement, la seule réaction possible à de pareilles tueries est une condamnation sans équivoque. Mais pourquoi se fait-il que nous ayons parfois le sentiment que se demander si nous utilisons les bons mots ou comprenons bien la situation historique fait nécessairement obstacle à une #condamnation_morale absolue ? Est-ce vraiment relativiser que se demander ce que nous condamnons précisément, quelle portée cette condamnation doit avoir, et comment décrire au mieux la ou les formations politiques auxquelles nous nous opposons ?

    Il serait étrange de s’opposer à quelque chose sans comprendre de quoi il s’agit, ou sans la décrire de façon précise. Il serait plus étrange encore de croire que toute condamnation nécessite un refus de comprendre, de peur que cette compréhension ne serve qu’à relativiser les choses et diminuer notre capacité de jugement. Mais que faire s’il est moralement impératif d’étendre notre condamnation à des #crimes tout aussi atroces, qui ne se limitent pas à ceux mis en avant et répétés par les médias ? Quand et où doit commencer et s’arrêter notre acte de condamnation ? N’avons-nous pas besoin d’une évaluation critique et informée de la situation pour accompagner notre condamnation politique et morale, sans avoir à craindre que s’informer et comprendre nous transforme, aux yeux des autres, en complices immoraux de crimes atroces ?

    Certains groupes se servent de l’histoire de la violence israélienne dans la région pour disculper le Hamas, mais ils utilisent une forme corrompue de raisonnement moral pour y parvenir. Soyons clairs. Les violences commises par #Israël contre les Palestiniens sont massives : bombardements incessants, assassinats de personnes de tous âges chez eux et dans les rues, torture dans les prisons israéliennes, techniques d’affamement à #Gaza, expropriation radicale et continue des terres et des logements. Et ces violences, sous toutes leurs formes, sont commises sur un peuple qui est soumis à un #régime_colonial et à l’#apartheid, et qui, privé d’État, est apatride.

    Mais quand les Groupes Solidarité pour la Palestine de Harvard (Harvard Palestine Solidarity Groups) publient une déclaration disant que « le régime d’apartheid est le seul responsable » des attaques mortelles du Hamas contre des cibles israéliennes, ils font une erreur et sont dans l’erreur. Ils ont tort d’attribuer de cette façon la #responsabilité, et rien ne saurait disculper le Hamas des tueries atroces qu’ils ont perpétrées. En revanche, ils ont certainement raison de rappeler l’histoire des violences : « de la #dépossession systématique des terres aux frappes aériennes de routine, des #détentions_arbitraires aux #checkpoints militaires, des séparations familiales forcées aux #assassinats ciblés, les Palestiniens sont forcés de vivre dans un #état_de_mort, à la fois lente et subite. » Tout cela est exact et doit être dit, mais cela ne signifie pas que les violences du Hamas ne soient que l’autre nom des violences d’Israël.

    Il est vrai que nous devons nous efforcer de comprendre les raisons de la formation de groupes comme le Hamas, à la lumière des promesses rompues d’Oslo et de cet « état de mort, à la fois lente et subite » qui décrit bien l’existence des millions de Palestiniens vivant sous #occupation, et qui se caractérise par une #surveillance constante, la #menace d’une détention sans procès, ou une intensification du #siège de #Gaza pour priver ses habitants d’#eau, de #nourriture et de #médicaments. Mais ces références à l’#histoire des Palestiniens ne sauraient justifier moralement ou politiquement leurs actes. Si l’on nous demandait de comprendre la violence palestinienne comme une continuation de la violence israélienne, ainsi que le demandent les Groupes Solidarité pour la Palestine de Harvard, alors il n’y aurait qu’une seule source de #culpabilité_morale, et même les actes de violence commis par les Palestiniens ne seraient pas vraiment les leurs. Ce n’est pas rendre compte de l’autonomie d’action des Palestiniens.

    La nécessité de séparer la compréhension de la violence omniprésente et permanente de l’État israélien de toute justification de la violence est absolument cruciale si nous voulons comprendre quels peuvent être les autres moyens de renverser le #système_colonial, mettre fin aux #arrestations_arbitraires et à la #torture dans les prisons israéliennes, et arrêter le siège de Gaza, où l’eau et la nourriture sont rationnés par l’État-nation qui contrôle ses frontières. Autrement dit, la question de savoir quel monde est encore possible pour tous les habitants de la région dépend des moyens dont il sera mis fin au système colonial et au pouvoir des colons. Hamas a répondu de façon atroce et terrifiante à cette question, mais il y a bien d’autres façons d’y répondre.

    Si, en revanche, il nous est interdit de parler de « l’#occupation », comme dans une sorte de Denkverbot allemand, si nous ne pouvons pas même poser le débat sur la question de savoir si le joug militaire israélien sur la région relève du #colonialisme ou de l’#apartheid_racial, alors nous ne pouvons espérer comprendre ni le passé, ni le présent, ni l’avenir. Et beaucoup de gens qui regardent le carnage dans les médias sont totalement désespérés. Or une des raisons de ce #désespoir est précisément qu’ils regardent les #médias, et vivent dans le monde sensationnel et immédiat de l’#indignation_morale absolue. Il faut du temps pour une autre #morale_politique, il faut de la patience et du courage pour apprendre et nommer les choses, et nous avons besoin de tout cela pour que notre condamnation puisse être accompagnée d’une vision proprement morale.

    Je m’oppose aux violences que le Hamas a commises, et ne leur trouve aucune excuse. Quand je dis cela, je prends une position morale et politique claire. Je n’équivoque pas lorsque je réfléchis sur ce que cette condamnation implique et présuppose. Quiconque me rejoint dans cette position se demande peut-être si la condamnation morale doit reposer sur une compréhension de ce qui est condamné. On pourrait répondre que non, que je n’ai rien besoin de connaître du Hamas ou de la Palestine pour savoir que ce qu’ils ont fait est mal et pour le condamner. Et si l’on s’arrête là, si l’on se contente des représentations fournies par les médias, sans jamais se demander si elles sont réellement utiles et exactes, et si le cadre utilisé permet à toutes les histoires d’être racontées, alors on se résout à une certaine ignorance et l’on fait confiance aux cadres existants. Après tout, nous sommes tous très occupés, et nous n’avons pas tous le temps d’être des historiens ou des sociologues. C’est une manière possible de vivre et de penser, et beaucoup de gens bien-intentionnés vivent effectivement ainsi, mais à quel prix ?

    Que nous faudrait-il dire et faire, en revanche, si notre morale et notre politique ne s’arrêtaient pas à l’acte de condamnation ? Si nous continuions, malgré tout, de nous intéresser à la question de savoir quelles sont les formes de vie qui pourraient libérer la région de violences comme celles-ci ? Et si, en plus de condamner les crimes gratuits, nous voulions créer un futur dans lequel ce genre de violences n’aurait plus cours ? C’est une aspiration normative qui va bien au-delà de la condamnation momentanée. Pour y parvenir, il nous faut absolument connaître l’histoire de la situation : l’histoire de la formation du Hamas comme groupe militant, dans l’abattement total, après Oslo, pour tous les habitants de Gaza à qui les promesses de gouvernement autonome n’ont jamais été honorées ; l’histoire de la formation des autres groupes palestiniens, de leurs tactiques et de leurs objectifs ; l’histoire enfin du peuple palestinien lui-même, de ses aspirations à la liberté et au #droit_à_l’autodétermination, de son désir de se libérer du régime colonial et de la violence militaire et carcérale permanente. Alors, si le Hamas était dissous ou s’il était remplacé par des groupes non-violents aspirant à la #cohabitation, nous pourrions prendre part à la lutte pour une Palestine libre.

    Quant à ceux dont les préoccupations morales se limitent à la seule condamnation, comprendre la situation n’est pas un objectif. Leur indignation morale est à la fois présentiste et anti-intellectuelle. Et pourtant, l’indignation peut aussi amener quelqu’un à ouvrir des livres d’histoire pour essayer de comprendre comment un événement comme celui-ci a pu arriver, et si les conditions pourraient changer de telle sorte qu’un avenir de violence ne soit pas le seul avenir possible. Jamais la « contextualisation » ne devrait être considérée comme une activité moralement problématique, même s’il y a des formes de contextualisation qui sont utilisées pour excuser ou disculper. Est-il possible de distinguer ces deux formes de contextualisation ? Ce n’est pas parce que certains pensent que contextualiser des violences atroces ne sert qu’à occulter la violence ou, pire encore, à la rationaliser que nous devrions nous soumettre à l’idée que toute forme de contextualisation est toujours une forme de #relativisme_moral.

    Quand les Groupes Solidarité pour la Palestine de Harvard disent que « le régime d’apartheid est le seul responsable » des attaques du Hamas, ils souscrivent à une conception inacceptable de la responsabilité morale. Il semble que pour comprendre comment s’est produit un événement, et ce qu’il signifie, il nous faille apprendre l’histoire. Cela veut dire qu’il nous incombe tout à la fois d’élargir la perspective au-delà de la terrible fascination du moment et, sans jamais nier l’horreur, de ne pas laisser l’#horreur présente représenter toute l’horreur qu’il y a à représenter, et nous efforcer de savoir, de comprendre et de nous opposer.

    Or les médias d’aujourd’hui, pour la plupart d’entre eux, ne racontent pas les horreurs que vivent les Palestiniens depuis des décennies, les bombardements, les tueries, les attaques et les arrestations arbitraires. Et si les horreurs des derniers jours ont pour les médias une importance morale plus grande que les horreurs des soixante-dix dernières années, alors la réaction morale du moment menace d’empêcher et d’occulter toute compréhension des #injustices_radicales endurées depuis si longtemps par la Palestine occupée et déplacée de force.

    Certains craignent, à juste titre, que toute contextualisation des actes violents commis par le Hamas soit utilisée pour disculper le Hamas, ou que la contextualisation détourne l’attention des horreurs perpétrées. Mais si c’est l’horreur elle-même qui nous amenait à contextualiser ? Où commence cette horreur et où finit-elle ? Si les médias parlent aujourd’hui de « guerre » entre le Hamas et Israël, c’est donc qu’ils proposent un cadre pour comprendre la situation. Ils ont, ainsi, compris la situation à l’avance. Si Gaza est comprise comme étant sous occupation, ou si l’on parle à son sujet de « prison à ciel ouvert », alors c’est une autre interprétation qui est proposée. Cela ressemble à une description, mais le langage contraint ou facilite ce que nous pouvons dire, comment nous pouvons décrire, et ce qui peut être connu.

    Oui, la langue peut décrire, mais elle n’acquiert le pouvoir de le faire que si elle se conforme aux limites qui sont imposées à ce qui est dicible. S’il est décidé que nous n’avons pas besoin de savoir combien d’enfants et d’adolescents palestiniens ont été tués en Cisjordanie et à Gaza cette année ou pendant toutes les années de l’occupation, que ces informations ne sont pas importantes pour comprendre ou qualifier les attaques contre Israël, et les assassinats d’Israéliens, alors il est décidé que nous ne voulons pas connaître l’histoire des violences, du #deuil et de l’indignation telle qu’est vécue par les Palestiniens.

    Une amie israélienne, qui se qualifie elle-même d’« antisioniste », écrit en ligne qu’elle est terrifiée pour sa famille et pour ses amis, et qu’elle a perdu des proches. Et nous devrions tous être de tout cœur avec elle, comme je le suis bien évidemment. Cela est terrible. Sans équivoque. Et pourtant, il n’est pas un moment où sa propre expérience de l’horreur et de la perte de proches ou d’amis est imaginé comme pouvant être ce qu’une Palestinienne éprouve ou a éprouvé de son côté après des années de bombardement, d’incarcération et de violence militaire. Je suis moi aussi une Juive, qui vit avec un #traumatisme_transgénérationnel à la suite des atrocités commises contre des personnes comme moi. Mais ces atrocités ont aussi été commises contre des personnes qui ne sont pas comme moi. Je n’ai pas besoin de m’identifier à tel visage ou à tel nom pour nommer les atrocités que je vois. Ou du moins je m’efforce de ne pas le faire.

    Mais le problème, au bout du compte, n’est pas seulement une absence d’#empathie. Car l’empathie prend généralement forme dans un cadre qui permette qu’une identification se fasse, ou une traduction entre l’expérience d’autrui et ma propre expérience. Et si le cadre dominant considère que certaines vies sont plus dignes d’être pleurées que d’autres, alors il s’ensuit que certaines pertes seront plus terribles que d’autres. La question de savoir quelles vies méritent d’être pleurées fait partie intégrante de la question de savoir quelles sont les vies qui sont dignes d’avoir une valeur. Et c’est ici que le #racisme entre en jeu de façon décisive. Car si les Palestiniens sont des « #animaux », comme le répète Netanyahu, et si les Israéliens représentent désormais « le peuple juif », comme le répète Biden (englobant la diaspora juive dans Israël, comme le réclament les réactionnaires), alors les seules personnes dignes d’être pleurées, les seules qui sont éligibles au deuil, sont les Israéliens, car la scène de « guerre » est désormais une scène qui oppose les Juifs aux animaux qui veulent les tuer.

    Ce n’est certainement pas la première fois qu’un groupe de personnes qui veulent se libérer du joug de la #colonisation sont représentées comme des animaux par le colonisateur. Les Israéliens sont-ils des « animaux » quand ils tuent ? Ce cadre raciste de la violence contemporaine rappelle l’opposition coloniale entre les « civilisés » et les « animaux », qui doivent être écrasés ou détruits pour sauvegarder la « civilisation ». Et lorsque nous rappelons l’existence de ce cadre au moment d’affirmer notre condamnation morale, nous nous trouvons impliqué dans la dénonciation d’une forme de racisme qui va bien au-delà de l’énonciation de la structure de la vie quotidienne en Palestine. Et pour cela, une #réparation_radicale est certainement plus que nécessaire.

    Si nous pensons qu’une condamnation morale doive être un acte clair et ponctuel, sans référence à aucun contexte ni aucun savoir, alors nous acceptons inévitablement les termes dans lesquels se fait cette condamnation, la scène sur laquelle les alternatives sont orchestrées. Et dans ce contexte récent qui nous intéresse, accepter ce cadre, c’est reprendre les formes de #racisme_colonial qui font précisément partie du problème structurel à résoudre, de l’#injustice intolérable à surmonter. Nous ne pouvons donc pas refuser l’histoire de l’injustice au nom d’une certitude morale, car nous risquerions alors de commettre d’autres injustices encore, et notre certitude finirait par s’affaisser sur un fondement de moins en moins solide. Pourquoi ne pouvons-nous pas condamner des actes moralement haïssables sans perdre notre capacité de penser, de connaître et de juger ? Nous pouvons certainement faire tout cela, et nous le devons.

    Les actes de violence auxquels nous assistons via les médias sont horribles. Et dans ce moment où toute notre attention est accaparée par ces médias, les violences que nous voyons sont les seules que nous connaissions. Je le répète : nous avons le droit de déplorer ces violences et d’exprimer notre horreur. Cela fait des jours que j’ai mal au ventre à essayer d’écrire sans trouver le sommeil, et tous les gens que je connais vivent dans la peur de ce que va faire demain la machine militaire israélienne, si le #discours_génocidaire de #Netanyahu va se matérialiser par une option nucléaire ou par d’autres tueries de masse de Palestiniens. Je me demande moi-même si nous pouvons pleurer, sans réserve aucune, pour les vies perdues à Tel-Aviv comme pour les vies perdues à Gaza, sans se laisser entraîner dans des débats sur le relativisme et sur les #fausses_équivalences. Peut-être les limites élargies du deuil peuvent-elles contribuer à un idéal d’#égalité substantiel, qui reconnaisse l’égale pleurabilité de toutes les vies, et qui nous porte à protester que ces vies n’auraient pas dû être perdues, qui méritaient de vivre encore et d’être reconnues, à part égale, comme vies.

    Comment pouvons-nous même imaginer la forme future de l’égalité des vivants sans savoir, comme l’a documenté le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, que les militaires et les colons israéliens ont tué au minimum 3 752 civils palestiniens depuis 2008 à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Où et quand le monde a-t-il pleuré ces morts ? Et dans les seuls bombardements et attaques d’octobre, 140 enfants palestiniens ont déjà été tués. Beaucoup d’autres trouveront la mort au cours des actions militaires de « #représailles » contre le Hamas dans les jours et les semaines qui viennent.

    Ce n’est pas remettre en cause nos positions morales que de prendre le temps d’apprendre l’histoire de la #violence_coloniale et d’examiner le langage, les récits et les cadres qui servent aujourd’hui à rapporter et expliquer – et interpréter a priori – ce qui se passe dans cette région. Il s’agit là d’un #savoir_critique, mais qui n’a absolument pas pour but de rationaliser les violences existences ou d’en autoriser d’autres. Son but est d’apporter une compréhension plus exacte de la situation que celle proposée par le cadre incontesté du seul moment présent. Peut-être d’autres positions d’#opposition_morale viendront-elles s’ajouter à celles que nous avons déjà acceptées, y compris l’opposition à la violence militaire et policière qui imprègne et sature la vie des Palestiniens dans la région, leur droit à faire le deuil, à connaître et exprimer leur indignation et leur solidarité, à trouver leur propre chemin vers un avenir de liberté ?

    Personnellement, je défends une politique de #non-violence, sachant qu’elle ne peut constituer un principe absolu, qui trouve à s’appliquer en toutes circonstances. Je soutiens que les #luttes_de_libération qui pratiquent la non-violence contribuent à créer le monde non-violent dans lequel nous désirons tous vivre. Je déplore sans équivoque la violence, et en même temps, comme tant d’autres personnes littéralement stupéfiées devant leur télévision, je veux contribuer à imaginer et à lutter pour la justice et pour l’égalité dans la région, une justice et une égalité qui entraîneraient la fin de l’occupation israélienne et la disparition de groupes comme le Hamas, et qui permettrait l’épanouissement de nouvelles formes de justice et de #liberté_politique.

    Sans justice et sans égalité, sans la fin des violences perpétrées par un État, Israël, qui est fondé sur la violence, aucun futur ne peut être imaginé, aucun avenir de #paix_véritable – et je parle ici de paix véritable, pas de la « #paix » qui n’est qu’un euphémisme pour la #normalisation, laquelle signifie maintenir en place les structures de l’injustice, de l’inégalité et du racisme. Un pareil futur ne pourra cependant pas advenir si nous ne sommes pas libres de nommer, de décrire et de nous opposer à toutes les violences, y compris celles de l’État israélien, sous toutes ses formes, et de le faire sans avoir à craindre la censure, la criminalisation ou l’accusation fallacieuse d’antisémitisme.

    Le monde que je désire est un monde qui s’oppose à la normalisation du régime colonial israélien et qui soutient la liberté et l’autodétermination des Palestiniens, un monde qui réaliserait le désir profond de tous les habitants de ces terres de vivre ensemble dans la liberté, la non-violence, la justice et l’égalité. Cet #espoir semble certainement, pour beaucoup, impossible ou naïf. Et pourtant, il faut que certains d’entre nous s’accrochent farouchement à cet espoir, et refusent de croire que les structures qui existent aujourd’hui existeront toujours. Et pour cela, nous avons besoin de nos poètes, de nos rêveurs, de nos fous indomptés, de tous ceux qui savent comment se mobiliser.

    https://aoc.media/opinion/2023/10/12/condamner-la-violence

    ici aussi : https://seenthis.net/messages/1021216

    #à_lire #7_octobre_2023 #génocide

    • Palestinian Lives Matter Too: Jewish Scholar Judith Butler Condemns Israel’s “Genocide” in Gaza

      We speak with philosopher Judith Butler, one of dozens of Jewish American writers and artists who signed an open letter to President Biden calling for an immediate ceasefire in Gaza. “We should all be standing up and objecting and calling for an end to genocide,” says Butler of the Israeli assault. “Until Palestine is free … we will continue to see violence. We will continue to see this structural violence producing this kind of resistance.” Butler is the author of numerous books, including The Force of Nonviolence: An Ethico-Political Bind and Parting Ways: Jewishness and the Critique of Zionism. They are on the advisory board of Jewish Voice for Peace.

      https://www.youtube.com/watch?v=CAbzV40T6yk

  • Guerre Israël-Hamas : à la faveur de la guerre, les colons israéliens accélèrent le dépeuplement de collines de Cisjordanie

    Des centaines de #Bédouins #palestiniens sont chassés de leurs terres. Une stratégie de déplacement orchestrée par les colons depuis 2017 et qui s’accélère de façon quasiment invisible depuis le 7 octobre.

    Il est parti à pied avec sa chemise sur le dos pour tout bagage, un chapeau en toile, son épouse, leurs enfants et leurs chèvres. Abed Kaabneh a abandonné sa demeure et ses biens : les colons et les soldats israéliens qui l’ont chassé avec ses voisins palestiniens du hameau de Wadi Al-Sik, en _Cisjordanie_occupée, le 12 octobre, ne leur ont pas laissé le temps d’emporter quoi que ce soit. Ce fut un petit déplacement forcé de population, presque invisible : 180 Bédouins palestiniens guidant 1 700 bêtes à travers les collines, jusqu’à la première ville qui les accueillerait.

    Leur sort ne pèse rien en #Israël, qui se consume dans son deuil après l’attaque menée par le Hamas, le 7 octobre. Quant aux Palestiniens, leurs yeux sont rivés sur #Gaza sous les bombes, ils ont peu de temps pour plaindre ces frères infortunés. « Les #colons se sont vengés contre nous de ce que le Hamas a fait dans le Sud, juge M. Kaabneh, et nous avons revécu l’histoire de nos grands-parents », le traumatisme fondateur de ces familles, la Nakba (« catastrophe »), durant laquelle près de la moitié des Palestiniens ont été chassés ou ont fui leurs terres, durant la guerre qui a accompagné la naissance de l’Etat d’Israël, en 1948.

    Le hameau d’Abed Kaabneh n’est pas un cas isolé. Depuis le 7 octobre, des colons israéliens, protégés et parfois assistés par l’armée, profitent du désordre actuel pour dépeupler des collines de #Cisjordanie. Ils ont presque achevé de vider de leur population clairsemée des crêtes montagneuses qui plongent dans la vallée du Jourdain à l’est de la route Allon, une traînée d’asphalte d’une trentaine de kilomètres, qui serpente dans ces paysages contorsionnés de calcaire blanc et d’épineux, et d’où la vue porte très loin, vers les montagnes de Jordanie. La première communauté avait été chassée dès l’été 2022. Cinq autres ont suivi, durant l’été, puis après l’attaque du Hamas.

    « Un militaire nous a donné une heure pour partir »

    Les mêmes agressions sont perpétrées, à un rythme inédit, dans le nord de la vallée du Jourdain et dans les collines du sud d’Hébron : des régions reculées, difficilement accessibles et contrôlées par l’armée israélienne. Depuis le début de la guerre, 545 personnes issues de 13 communautés d’éleveurs bédouins ont été contraintes au départ en Cisjordanie, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. Le 19 octobre, plusieurs organisations de défense des droits humains israéliennes ont adressé une lettre à des diplomates occidentaux les appelant à aider « à stopper le nettoyage ethnique de bergers et fermiers palestiniens dans la vallée du Jourdain ».

    https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/21/guerre-israel-hamas-a-la-faveur-de-la-guerre-les-colons-israeliens-acceleren
    https://archive.ph/EJgmi

    #expulsions #colonisation #nettoyage_ethnique

    • « Les gens n’en peuvent plus » : à Jénine, « la petite Gaza », épicentre des tensions en Cisjordanie
      https://www.francetvinfo.fr/monde/palestine/reportage-les-gens-n-en-peuvent-plus-a-jenine-la-petite-gaza-epicentre-

      Au moment où les regards du monde entier sont tournés vers Gaza, avec la question des otages et d’une possible opération terrestre, Israël mène un autre front de la guerre. Des combats ont régulièrement lieu au nord des Territoires palestiniens, en particulier à Jénine, surnommée « la petite Gaza ». Car cette ville de Cisjordanie est un haut lieu de la résistance armée palestinienne, où l’armée israélienne effectue des incursions permanentes. Depuis le début de l’année, plus de 60 personnes ont été tuées, aussi bien des militants que des civils.

      Le cimetière « des martyrs du camp de réfugiés de #Jénine » est devenu malgré lui un passage obligé. Des pierres tombales encore blanches sont posées au sol, avec des drapeaux palestiniens et des portraits de jeunes gens armés. Ismail, un jeune habitant du camp, nous fait visiter. Il l’assure : tout le monde, ici, vient pleurer un père, un frère, un cousin ou une connaissance.
      « Je connais celui-ci, celui-là. Lui, nous étions dans la même équipe de foot, énumère Ismail. Ici, les Palestiniens sont en deuil permanent, surtout depuis deux ans. Il n’y a même plus de place pour que les martyrs soient enterrés. Alors un autre cimetière a dû être construit un peu plus bas. » Certaines des tombes ont même été creusées en avance, pour anticiper.

      « Quand ils viennent ici, ils se vengent » : en Cisjordanie, les #camps de #réfugiés palestiniens pris pour cible par l’armée israélienne
      https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/reportage-quand-ils-viennent-ici-ils-se-vengent-en-cisjordanie-les-camp

  • #Guerre #Israël - #Hamas : l’engrenage infernal

    Une #catastrophe_humanitaire se déroule sous nos yeux dans la bande de Gaza tandis qu’Israël bombarde l’enclave et prépare une #riposte_militaire. Nos invités ont accepté d’échanger dans notre émission « À l’air libre » alors que cette guerre les touche. Ou les terrasse.

    Les invités :
    #Nadav_Lapid, réalisateur ;
    #Karim_Kattan, écrivain ;
    #Jonathan_Hayoun, réalisateur ;
    #Rony_Brauman, médecin, essayiste.

    https://www.youtube.com/watch?v=Z0OWMbWxhpg


    https://www.mediapart.fr/journal/international/171023/guerre-israel-hamas-l-engrenage-infernal

    #Gaza #7_octobre_2023 #à_lire #à_voir #vidéo
    #désespoir #désastre #impuissance #inquiétude #préoccupation #émotions #rage #médias #couverture_médiatique #couverture_politique #staus_quo #question_palestinienne #pogrom #mots #bombardements #eau #électricité #essence #réfugiés #déplacés_internes #IDPs #destruction #siège #catastrophe #Nakba #nouvelle_Nakba #évacuation #nourriture #famine #déportation #humiliation #paix #justice #droit_international #communauté_internationale #déshumanisation #sentiment_de_sécurité #sécurité #insécurité #apartheid #colonisation #nettoyage_ethnique #1948 #territoires_occupés #système_d'apartheid #double_régime_juridique #occupation_militaire #colonisation_civile #transferts_forcés_de_population #stratégie_de_désespoir #no_futur #actes_désespérés #lucidité #courage #étonnement #responsabilité #rationalisation #espoir #impasse #choc_électrique #trahison #traumatisme #terreur #cauchemar #cauchemar_traumatique #otages #libération_des_otages #guerre #autodestruction #suicide_national

    • Opinion. “Il est peu probable que l’Occident donne indéfiniment un blanc-seing à Israël”
      https://www.courrierinternational.com/article/opinion-il-est-peu-probable-que-l-occident-donne-indefiniment

      Les massacres commis par le Hamas dans le sud d’#Israël semblent avoir fait basculer les opinions publiques occidentales dans un soutien indéfectible à Tel-Aviv, estime ce journaliste israélien. Mais, à mesure que la situation des Palestiniens s’aggravera à #Gaza et en #Cisjordanie, ce soutien pourrait s’amenuiser.

      Le massacre de plus de 1 000 civils israéliens et l’enlèvement de dizaines d’autres servent désormais de base efficace à la diplomatie israélienne. Des pans importants des opinions publiques occidentales ont été révulsés par les tueries du 7 octobre et ont basculé. Mais pour combien de temps ?
      Pour le journaliste Amos Harel, du quotidien israélien de gauche Ha’Aretz, “il est peu probable que l’Occident donne indéfiniment un blanc-seing à Israël. L’État juif sait que la fenêtre d’action qui s’offre à lui n’est pas illimitée. Comme par le passé, il est difficile de synchroniser horloge militaire et horloge politique.”

      Pis, estime Amos Harel, deux États parmi les plus vieux pays arabes signataires d’un traité de paix avec Israël, l’#Égypte en 1979 et la #Jordanie en 1994, craignent de faire les frais de la contre-offensive israélienne, d’autant plus que la population du royaume hachémite est majoritairement d’origine palestinienne.
      “Jusqu’ici, cette dernière s’est montrée loyale envers Amman. Mais est-ce que cela durera indéfiniment ?”

      Enfin, la couverture médiatique de l’opération du #Hamas et de ses suites a relégué au second plan un autre problème : la Cisjordanie est également en proie aux violences. Près de 50 Palestiniens ont été tués la semaine dernière par des soldats israéliens et des colons juifs d’extrême droite.
      “La vraie menace réside en Cisjordanie, et il n’est pas certain que, malgré les slogans lancés par l’#extrême_droite présente au gouvernement, les #diplomaties_occidentales y soutiennent une répression israélienne d’une ampleur de Bouclier défensif [lancée par Ariel Sharon en avril 2002], qui avait vu Tsahal écraser et réoccuper les zones administrées par l’Autorité palestinienne”, soit 39 % des territoires autonomes #palestiniens de Cisjordanie.

  • In questo mondo : qualche riflessione su #Io_Capitano

    Rappresentare il dolore, la pena e la povertà degli altri è sempre un compito delicato e complicato. La migrazione oggi, resa illegale dalla legislazione europea e spettacolarizzata dai media, è il caso più evidente. L’empatia è apparentemente generata solo quando l’anonimato dei corpi stranieri può essere individualizzato per essere raccontato. Poteri e relazioni strutturali più ampie sono solitamente allontanati dal racconto, ridotti a vaghi riconoscimenti. La storia richiede l’identificazione dell’individuo. O, almeno, questo è ciò che ci insegna la nostra cultura.

    Tutto ciò è stato istituzionalizzato sia nella filosofia politica che nei romanzi che raccontano le nostre vite. Tuttavia, è una prospettiva che ci lascia con una povertà di spiegazioni e di comprensione. Nel recente film di Matteo Garrone, Io Capitano, incontriamo tali domande e problemi. Il viaggio di Seydou e del suo amico Moussa dal Senegal attraverso il Sahel e la Libia, e poi il Mediterraneo, è intensamente raccontato in tutti i suoi strazianti dettagli. Seydou, indotto dai suoi rapitori libici a guidare un barcone verso l’Europa, sperimenta tutte le remore morali della sua responsabilità. Nonostante tutto, riesce nella sua impresa. È un eroe e c’è un (temporaneo) lieto fine. Ma sappiamo che non è così. Oltre alle torture in Libia, questi migranti affrontano anche le condizioni di quasi schiavitù in Italia. Senza documenti e protezione, sono soggetti alla condizione di non avere il diritto di avere diritti. Il sogno europeo è spesso un incubo. Intrappolata in questi meccanismi, ulteriormente codificati e rafforzati dal razzismo strutturale, questa non è certo una narrazione che può essere facilmente trasmessa. Soprattutto, se siamo onesti, essa rivela la nostra responsabilità primaria nel racconto. Nel caso del film di Garrone, la costruzione dell’Africa come luogo di estrazione umana e materiale a beneficio dell’Occidente – dalla schiavitù e l’inizio della modernità atlantica ai metalli preziosi dei nostri gioielli e cellulari – riguarda in ultima analisi la costituzione coloniale del presente. Il migrante moderno non è solo un rifugiato economico o uno sgradito portatore di crisi, ma rappresenta piuttosto il ritorno di quella storia repressa.

    Quindi, cosa sto dicendo? Il film di Garrone non avrebbe dovuto essere realizzato? È un fallimento politico ed etico (e quindi estetico)? Le cose non sono mai così semplici. La consolazione delle alternative binarie, persino del ragionamento dialettico, sfugge. Per il momento, siamo bloccati con la narrazione individualizzata, con scelte e orizzonti ridotti a una comprensione soggettiva del mondo che oscura forze più profonde e relazioni più ampie. Il trucco è lavorare su questa imposizione in modo tale da spingerci oltre questi parametri. La risposta umanista all’eroe migrante è insufficiente. Dopo tutto, ci conferma nella nostra formazione del sentimento, quella stessa formazione che ha prodotto il ‘migrante’ contemporaneo attraverso la nostra colonizzazione delle risorse umane e materiali del pianeta.

    Non c’è una formula ovvia o un’alternativa pronta. Si tratta, pensando con il cinema, di un’estetica cinematografica che ci prepara a un’altra etica in cui la nostra posizione e il nostro punto di vista sono messi in discussione, interrotti, persino emarginati o aggirati. Il metodo non può che risiedere nella pratica cinematografica stessa.

    Ho in mente due film che affrontano il percorso etico ed estetico proposto in Io Capitano. Uno è diretto nel suo stile ‘documentaristico’ come il film di Garrone: Cose di questo mondo (2002) di Michael Winterbottom. L’altro, di Abderrahmane Sissako, Aspettando la felicità (2002), suggerisce un modo poetico di riconfigurare le brutali imposizioni della modernità. Mi limito al film di Winterbottom, più vicino per stile e intenti a quello di Garrone, dove entrambi i registi europei affrontano l’alterità di altri mondi che la loro (mia) cultura ha inquadrato e ora punisce. Nel film In This World seguiamo due afghani, Jamal e Enayatullah, provenienti dal campo profughi di Shamshatoo, vicino a Peshawar, nel nord-ovest del Pakistan, mentre cercano di raggiungere Londra attraversando Iran, Kurdistan, Turchia, Italia e Francia. Enayatullah muore per soffocamento nel container che porta loro e altri migranti da Istanbul via mare a Trieste. Jamal alla fine riesce ad arrivare a Londra. La ruvida bellezza del paesaggio, la violenza dei confini e l’avidità dei trafficanti sono presenti in tutta la loro crudezza.

    Anche il giovanissimo Jamal è un eroe semplicemente per essere sopravvissuto a tutte le avversità. Tuttavia, le relazioni sociali che si creano lungo il percorso, dalla vita familiare allargata a Peshawar alla solidarietà in Kurdistan e all’amicizia nella ‘giungla’ di Calais, ci fanno costantemente entrare in un mondo più ampio. Il singolo viaggiatore non è semplicemente parte della migrazione moderna: il campo di Peshawar è presentato all’inizio del film come il prodotto dell’aggressione prima sovietica e poi americana e alleata, dove sono state spesi quasi 8 miliardi di dollari nel 2001 per sganciare delle bombe sull’Afghanistan. Le brutali semplicità della geopolitica trasformano un’odissea personale in una riorganizzazione radicale delle mappe del mondo moderno: dal basso, dai margini, dal silenzio di altre storie. Anche la mia narrazione non riesce a marcare la differenza. Ciò che si nasconde nel linguaggio cinematografico è un eccesso che allude a qualcosa in più della spiegazione verbale. L’immagine contiene sempre un supplemento in più del semplice svolgimento del racconto. Lasciarla per così dire respirare, sottraendoci alla linearità della narrazione, dissemina una complessità in cui la poetica sostiene una politica più opaca ma profonda (lo stesso si può dire del film di Sissako).

    Riflettendo sul film di Matteo Garrone, delle cui opere cinematografiche resto un ammiratore, sia l’idealizzazione della vita familiare in Senegal sia l’impeto incessante della narrazione che ci spinge verso il Mediterraneo e l’Europa ci negano quello spazio: le sue ambiguità e complessità. Le immagini sono drammatiche, i sentimenti ben intesi, ma la sua estetica resta bloccata da un’etica che ha il fiato corto, che non è disposta a scavare più a fondo e nemmeno a lasciare che il migrante abiti una storia e un mondo che non è semplicemente nostro da raccontare.

    Chiaramente, non esiste una soluzione. Solo un viaggio critico perpetuo. Nel continuum coloniale del presente i nostri fallimenti, una volta riconosciuti e registrati, segnano ulteriori percorsi da perseguire.

    http://www.technoculture.it/author/i-chambers
    #film #douleur #empathie #migrations #colonisation #présent_colonial #colonialité_du_présent #Afrique #esthétique #éthique #continuum_colonial

  • Luttes anticoloniales : hier et aujourd’hui

    Objet d’instrumentalisations, soumis à une mémoire désaccordée, l’anticolonialisme connut son point d’incandescence au mitan du siècle dernier. S’il croise les théories décoloniales et anti-impérialistes, c’est à partir d’un autre ancrage dans l’histoire et dans l’espace social, qui invite à se décentrer de l’État-nation et du narratif identitaire. Son actualité tient à l’inachèvement de la décolonisation et à la pertinence des espoirs qu’il nourrit.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/10/19/luttes-anticoloniales-hier-et-aujourdhui

    #international #colonisation

  • Conflit israélo-palestinien : le piège des mots dans un contexte passionnel

    Comment parler du conflit israélo-palestinien dans le contexte si passionnel engendré par les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 sur les populations civiles israéliennes ? Les mots ont tant de poids que la meilleure boussole reste le droit international.

    Les mots pèsent extrêmement lourds à l’aune de la tragique actualité israélo-palestinienne. Un mot de trop, ou un mot de moins, et vous voilà accusé d’être partie prenante d’un côté, ou de l’autre. Comment appréhender ce lexique, cette sémantique si inflammable, si potentiellement connotée, qu’elle neutralise la parole, et paralyse les émotions ? Surtout dans ce contexte d’atrocités commises par le Hamas sur les civils israéliens (plus de 1 200 morts, selon le porte-parole de l’armée israélienne ce 13 octobre, dont au moins 13 Français, a annoncé Emmanuel Macron ce jeudi lors de son allocution télévisée), et de bombardements massifs par l’État israélien des zones peuplées de civils à Gaza en représailles (avec 1 537 personnes mortes, selon le dernier bilan des autorités locales publié vendredi). Sans oublier que plus de 423 000 personnes ont été contraintes de fuir leurs domiciles dans la bande de Gaza selon l’ONU, et que l’armée israélienne a ordonné ce vendredi matin l’évacuation vers le Sud de plus d’un million d’habitants du nord de la bande de Gaza. Il est maintenant l’"heure de la guerre", a déclaré le chef de l’armée israélienne.
    Qu’est-ce que le Hamas ?

    La présidente du groupe LFI à l’Assemblée, Mathilde Panot, qui a refusé de qualifier le Hamas de "groupe terroriste" à l’Assemblée, s’est attirée les foudres du gouvernement, comme de ses partenaires de gauche : les députés socialistes se sont désolidarisés de la préparation d’un contre-budget de la Nupes. Au Royaume-Uni, la BBC essuie elle aussi une pluie de critiques suite à son choix de ne pas utiliser le mot "terroriste" pour qualifier le Hamas. “‘Terrorisme’ est un mot lourd de sens, que les gens utilisent à propos d’un groupe qu’ils désapprouvent sur le plan moral. Ce n’est tout simplement pas le travail de la BBC de dire aux gens qui soutenir et qui condamner, qui sont les gentils et les méchants”, a argumenté John Simpson, chef de la rubrique internationale, le 11 octobre.

    Qu’est-ce que le Hamas ? Son nom est l’acronyme arabe de "Mouvement de la résistance islamique". Spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, l’historien Henry Laurens souligne la parenté de ce mouvement, apparu en 1988, avec le Hezbollah, qui utilise aussi le terme de "résistance islamique" : "Il est d’abord née dans l’expérience libanaise, et ensuite dans l’expérience palestinienne. C’est un mouvement nationaliste, il ne se bat pas et ne commet pas d’attentats à l’extérieur de la frontière. D’autre part, il a une idéologie sunnite, c’est un rejeton des Frères musulmans qui a pris cette forme-là lors de la première Intifada."

    Effectivement, comme l’explique le spécialiste du droit international François Dubuisson, enseignant-chercheur à l’Université libre de Bruxelles (ULB), cette doctrine fondée sur la charia distingue le Hamas du mouvement laïc du Fatah, fondé en 1959 par Yasser Arafat notamment, qui s’inscrivait plutôt dans le panarabisme et la gauche anti-impérialiste : "Le Hamas est un mouvement qui a assez rapidement mis au centre de ses actions à la fois la lutte armée et les actions terroristes à partir du milieu des années 1990, en particulier pour lutter contre le processus d’Oslo qu’il récusait totalement." Pour donner au conflit colonial le visage d’une guerre de religion et "contrecarrer la création d’un état palestinien", Benyamin Nétanyahou aurait favorisé le Hamas au détriment du Fatah, comme l’explique la journaliste Lahav Harkov dans un article de mars 2019 du Jerusalem Post cité par Libération. Un article rendant compte d’une réunion entre Netanyahu et des parlementaires de son parti : "le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a défendu le fait qu’Israël autorise régulièrement le transfert de fonds qataris vers Gaza, en affirmant que cela fait partie d’une stratégie plus large visant à maintenir la séparation entre le Hamas et l’Autorité palestinienne."

    a qualification de "terroriste", inopérante à l’aune du droit international ?

    Comme Israël, les États-Unis et il y a deux ans le Royaume-Uni, l’Union européenne a listé le Hamas comme "organisation terroriste". Une qualification qui, pour le juriste François Dubuisson, relève plutôt d’une stratégie de politique étrangère, dissociée de la définition juridique du terrorisme développée par l’Union européenne : "Cela permet par exemple d’adopter des mesures restrictives. On va identifier un certain nombre de personnes qu’on va interdire de séjour par exemple. On va éventuellement geler des fonds financiers. C’est sur cette base-là qu’on a suspendu à un moment donné le financement de l’Autorité palestinienne dès le moment où c’était le Hamas qui avait gagné les élections. Cette qualification "terroriste" est donc plutôt un outil politique. En tout cas, sur un plan plus sociologique, le mouvement Hamas est également un mouvement national palestinien, un mouvement politique, social, donc c’est difficile de le réduire uniquement à cette dimension terroriste."

    Pour l’historien Henry Laurens non plus, le mot "terrorisme" n’est pas vraiment signifiant à l’aune de la science politique : "Le terrorisme est plutôt une méthode qu’une essence, et puis, pratiquement, dès qu’il y a la moindre opposition, on la définit comme "terroriste". Le régime de Bachar al-Assad lutte contre les terroristes, le régime d’Abdel Fattah al-Sissi lutte contre les terroristes, etc. Il y a une phrase célèbre du général de Gaulle, dans sa conférence de novembre 1967, qui dit, de mémoire : ’Toute occupation suscite une résistance que les autres ensuite appellent terrorisme’."

    On se souviendra aussi après les accords d’Oslo du prix Nobel de la paix attribué en 1994 à Yasser Arafat, avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres ; quand le dirigeant du Fatah et de l’OLP avait pour beaucoup d’abord été considéré comme un terroriste.

    Henry Laurens, qui a publié en 2010 une analyse à la fois historique et juridique de la notion de terrorisme avec la juriste et universitaire française Mireille Delmas-Marty (Terrorisme, 2010, éditions du CNRS), pointe l’extrême difficulté, chez les juristes, à définir ce terme : "Normalement, un délit ou un crime correspond à une valeur. Le vol renvoie à la propriété, l’assassinat, à la vie. ’Terrorisme’, on ne voit pas très bien à quelle valeur cela renvoie en antagonisme... peut-être, à la rigueur, à la ’sécurité’ ou à la ’sûreté’".

    François Dubuisson confirme cette difficulté rencontrée par les juristes en droit international : "On a eu historiquement une opposition entre le camp occidental qui voulait avoir une définition assez large du terrorisme, et les pays du Sud qui voyaient les membres des mouvements de libération nationale comme des combattants de la liberté qu’on ne pouvait pas qualifier de terroristes. On a toujours eu une distorsion de ce fait-là."

    Dans ces dissensions qui existent entre les États du Sud et les Occidentaux, il y a aussi le fait que dans la définition juridique du terrorisme de l’Union européenne, un État ne puisse pas commettre des actes terroristes, quel que soit le comportement de ses forces armées, poursuit le juriste : "Il y a une sorte de légitimation par principe des actions d’un État, et plus facilement une disqualification par principe d’actes commis par des groupes armés qui peuvent être multidimensionnels. Il est évident que le Hamas a commis des actes de terrorisme et on peut qualifier les présents actes d’actes de terrorisme. Mais en même temps, le Hamas ne se résume pas à ça et pendant longtemps, il a d’ailleurs mené une politique beaucoup plus pragmatique."

    "Crimes", "crime contre l’humanité", "violations"… : pourquoi qualifier plutôt les actes ?

    Il est possible d’utiliser des périphrases très objectives pour désigner le Hamas, comme "mouvement islamiste", ou "commando", perpétrant des actes terroristes - le mot commando définissant simplement une unité militaire de petite taille qui commet des attaques, que ce soit d’une armée régulière ou d’un mouvement illégal. Mais comment alors appréhender ce mouvement dans la réalité de toute l’horreur et la barbarie des crimes perpétrés ? Pour l’historien Henry Laurens, il n’y a pas vraiment de définition appropriée du Hamas.

    En droit international, on va plutôt s’attacher à la qualification de certains actes, explique le juriste François Dubuisson : "Est-ce que les actes commis par un groupe sont des actes terroristes, ou en tout cas des actes contraires au droit international ? Il n’y a pas de convention internationale qui vise le type d’actes commis par le Hamas et qui le qualifierait spécifiquement de "terroriste". Pour cette raison, on va plutôt avoir recours aux qualifications de ’crimes de guerre’, ’violations du droit des conflits armés’. Évidemment, en s’attaquant très directement à des civils, il y a violation du droit de la guerre et éventuellement même crime contre l’humanité, qui vise, un cran plus haut, les attaques systématiques et généralisées contre une population civile."

    Interviewée par Le Monde, Françoise Bouchet-Saulnier, Conseillère stratégique en droit international humanitaire de Médecins sans Frontières (MSF), privilégie elle aussi la qualification des actes commis : "Il n’y a pas de définition des terroristes dans le droit des conflits. Mais celui-ci interdit le recours à des méthodes dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population (…). Prendre des civils en otage est un crime, cela fait partie des infractions graves aux conventions de Genève".

    Pourquoi tant de précautions oratoires, pourquoi couper les cheveux en quatre sur la sémantique ? Non pas pour minimiser ou relativiser les inqualifiables barbaries commises par le Hamas, mais bel et bien parce que, comme le souligne Françoise Bouchet-Saulnier dans ce même article du Monde : "Qualifier l’adversaire de terroriste, cela revient à dire qu’on ne discutera pas avec lui et que la seule chose qu’il mérite est d’être tué."

    Pourquoi un tel climat d’exacerbation ?

    Le déchainement de violence sur les réseaux sociaux en témoigne : le sujet du conflit israélo-palestinien est plus que jamais à vif, inflammable, passionnel, avec deux "camps" inconciliables, comme l’analyse François Dubuisson :

    "Chacun veut apparaître comme étant l’incarnation du bien et le meilleur moyen pour dire que l’autre est le camp du mal, pour le moment, c’est le concept de terrorisme, même si cela ne rend pas compte de la complexité de la situation. Oui, on peut dire que le mouvement du Hamas est une organisation terroriste, mais cela ne donne aucune réponse aux questions que l’on peut se poser sur la solution à essayer d’apporter au conflit : qu’est-ce qu’Israël peut faire pour empêcher le Hamas de continuer à mener ses actions ? Le fait qu’il soit une organisation terroriste ou pas, ne change rien à l’application des règles. On ne peut pas viser les civils, on ne va pas pouvoir raser Gaza. C’est un objectif inatteignable à la fois sur le plan pratique, mais aussi sur le plan juridique, avec les moyens qu’on devrait mettre en œuvre pour essayer d’éradiquer purement et simplement le Hamas : cela supposerait pratiquement de raser toute la bande de Gaza."

    Le juriste regrette que le contexte soit si passionnel, si manichéen, que, "sans avancer toute une série de mots un peu codifiés", on ne soit pas admis à entrer dans le débat, et que si l’on cherche à complexifier ce débat, on soit accusé de prendre, ou au contraire de ne pas prendre parti.

    Henry Laurens, lui, replace cette violence dans le contexte de "colonisation de refoulement" théorisé par la science historique et politique, "la pire des situations" : "Un peuple arrive et pousse l’autre. Du coup, celui qui a été poussé ne rêve que d’une seule chose, de mettre le premier à la mer, et celui qui est dans ce cas-là a peur qu’on le jette à la mer, et il devient violent. Un système de violence est engendré. C’était le cas par exemple de la France en Algérie, des Anglais au Kenya et en Rhodésie, c’est ce qu’on appelle techniquement de la colonisation de refoulement", explique-t-il, avant de souligner que les souvenirs mémoriels entraînés par ce jeu de violence des uns sur les autres accentue encore la violence qui, à son tour, exacerbe les passions et les tensions internes : "Je dis qu’ils sont au corps à corps depuis un siècle et plus. En un sens, l’État d’Israël est un double échec : un échec de la normalisation parce qu’on le met en situation permanente d’exceptionnalité, et il ne peut agir qu’en position d’exceptionnalité. Il y a aussi l’impossibilité d’être heureux. L’État d’Israël se trouve toujours en situation de violence. Vous pouvez essayer de croire que vous êtes, entre guillemets, normaux, mais vous êtes en situation de guerre en permanence et de peur en permanence, ce qui se se réplique sur la diaspora elle-même. Donc ça donne des choses tout à fait épouvantables sur le plan psychologique."
    Les autres mots du conflit

    "Tsahal"

    Ce terme est parfois utilisé par les médias. Henry Laurens y voit l’empreinte du "romantisme occidental" : "Cela fait plus sérieux ou plus exotique. Vous dites ’US Army’ au lieu d’"armée américaine", "check point" au lieu de "barrage routier" et ainsi de suite." Sauf que Tsahal sont les initiales de "Tsva Haganah Lé-Yisrael", qui signifie "Armée de défense d’Israël" : "Qualifier une armée uniquement d’"armée de défense" lorsqu’on sait qu’elle a envahi le Liban, la Syrie, occupe encore la Palestine, etc., c’est évidemment assez problématique. Généralement, quand on essaie d’avoir une approche plus neutre, on parle de l’"Armée israélienne", explique François Dubuisson.

    "Conflit armé"

    "Les débuts de la violence entre Juifs sionistes et Arabes palestiniens commencent en 1908. À partir de 1948, on a parlé de ’conflit israélo-arabe’ parce que ce qui était en tête de gondole, c’étaient des États arabes par rapport à Israël. À partir des années 1980, on est revenu à un ’conflit israélo-palestinien’. On dit ’conflit’ pour l’instant, mais ensuite on le scande en guerres : guerre de 48, guerre de 66, guerre de 67, guerre de 82, etc. Ou on fait l’inverse, on dit ’guerre’ et puis on le scande en conflits, remarque Henry Laurens.

    La guerre est, par définition, une lutte armée entre États, mais ils sont nombreux, notamment du côté des militants palestiniens, à récuser le mot conflit : selon eux, le terme mettrait sur le même plan la Palestine et Israël alors que, de leur point de vue, le conflit est totalement asymétrique avec un État occupant et une population occupée. Pourtant, juridiquement, le mot "conflit" est sans ambiguïté estime François Dubuisson : "Je dirais d’un point de vue plutôt scientifique ou simplement même juridique, qu’on l’utilise dans un sens assez neutre. Dès qu’il y a une opposition, en particulier armée, dans un cadre donné, on va très facilement parler de conflit, et ça reste la manière la plus simple d’y faire référence".

    "Territoires occupés"

    C’est le terme consacré en droit international et utilisé par l’ensemble de la communauté internationale, c’est l’appellation officielle dans toutes les résolutions des Nations unies : "À part Israël et parfois les États-Unis en fonction du président en place, qui vont utiliser des mots moins directs, tout le monde parle des territoires palestiniens occupés, qui qualifient Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. C’est en fait l’absence d’utilisation des mots ’territoires occupés’ qui est extrêmement connotée : quand on parle de ’territoires disputés’ ou qu’on parle de Judée et Samarie plutôt que de Cisjordanie, on veut épouser le point de vue israélien. Celui-ci consiste à dire qu’il ne reconnaît pas que ces territoires doivent bénéficier au peuple palestinien, que le peuple palestinien y jouit du droit à l’autodétermination et que ce serait des territoires dont le statut ne serait pas clairement défini et qui serait donc totalement ouverts à la négociation avec des revendications légitimes de souveraineté de la part d’Israël", explique le juriste François Dubuisson.

    En effet, la dénomination est officialisée dans la résolution 242 de l’ONU du 22 novembre 1967 : "Ils devraient être régis par les conventions de Genève mais Israël ne les respecte pas depuis longtemps, ne serait ce que parce que les conventions de Genève interdisent la colonisation. Or Israël, dans sa totalité, est un fait colonial, comme aurait dit mon maître Maxime Rodinson [historien et sociologue français, NDR]", souligne Henry Laurens.

    "Colonisation"

    Dans le contexte du début du XXᵉ siècle, la colonisation était normale, personne ne la niait, explique encore Henry Laurens : "La principale institution sioniste qui achetait des terres c’était le Jewish Colonization Association. Et puis est arrivé un moment où le mot "colonial" a commencé à devenir péjoratif, donc on a rayé le terme."

    Pour François Dubuisson, l’article 49 de la quatrième Convention de Genève, qui interdit l’installation de populations civiles de la puissance occupante en territoires occupés, est une interdiction assez claire : "Là aussi, il y a une interprétation très largement établie et reprise dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ou de l’Assemblée générale, qui considère que la politique israélienne d’établissement d’implantations juives est une politique de colonisation, et une politique qui est contraire à cette quatrième Convention de Genève."

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/conflit-israelo-palestinien-le-piege-des-mots-dans-un-contexte-passionne
    #à_lire #Israël #Palestine #7_octobre_2023 #Hamas #mots #vocabulaire #terminologie #droit_international #terrorisme #Tsahal #conflit_armé #Territoires_occupés #Colonisation

  • Le Moyen-Orient crie justice – La chronique de #Joseph_Andras

    Nous accueillons régulièrement l’écrivain Joseph Andras pour une chronique d’actualité qui affûte nos armes et donne du style à nos frustrations.

    Deux États bombardent deux peuples en cet instant. Au #Kurdistan syrien et en #Palestine. Chaque heure qui passe nous mine. Mais nos mots n’ont pas le moindre sens là-bas. S’ils en ont un, ça n’est qu’ici. Ceci oblige à parler droit, c’est-à-dire à parler juste. Tout intellectuel, disait Edward W. Saïd, a pour fonction de refuser « les formules faciles ». La rigueur est la seule chose qui reste quand le sang coule au loin.

    Deux populations colonisées

    Le Kurdistan est historiquement colonisé par les États turc, iranien, irakien et syrien. Le Kurdistan irakien, dirigé par un pouvoir corrompu et autoritaire, a gagné son autonomie et mène de nos jours une politique de collaboration zélée avec Ankara. Le Kurdistan syrien a conquis, par la voie révolutionnaire, une autonomie précaire et conduit, laborieusement, une politique inspirée par les principes post-marxistes du KCK, plateforme des forces révolutionnaires kurdes au Moyen-Orient. Le Kurdistan turc vit sous occupation et a vu ses résistants brutalement écrasés dans les années 2015 et 2016. Le Kurdistan iranien, acteur majeur du dernier soulèvement en date contre la dictature théocratique iranienne, vit lui aussi sous occupation. L’État turc, bâti sur la négation du génocide arménien, a longtemps nié l’existence même des Kurdes : leur langue était proscrite, leurs porte-paroles abattus ou incarcérés, leur culture traquée. Dans les années 1990, ce sont environ 4 000 villages et hameaux kurdes qui ont été rasés. « Nous avons opté pour la règle de la terreur et de l’anéantissement », a ainsi déclaré Hanefi Avci, un temps chef-adjoint du Bureau du renseignement de la Direction générale de la sûreté.

    La Palestine est, aux côtés, notamment, du Kurdistan et du #Sahara_occidental, l’une des dernières colonies de par le monde. Elle végète aujourd’hui, de l’aveu même de Tamir Pardo, ancien chef du Mossad, en situation d’apartheid. L’État israélien, officialisé après le génocide des Juifs d’Europe, s’est construit sur le nettoyage ethnique de la Palestine : s’il était besoin, nombre d’historiens israéliens l’ont confirmé. « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place… », a confié Ben Gourion dans sa correspondance, le 5 octobre 1937. Ce nettoyage ethnique reposait sur une idéologie coloniale, autrement dit raciste, arguant qu’il n’existait aucun peuple sur cette terre. Or un peuple existait et, depuis 1948, celui-ci est déplacé, spolié, massacré, assassiné, parqué, détenu en masse. La Cisjordanie et la bande de Gaza sont emmurées avec la collaboration des « démocraties » occidentales, étasunienne au premier chef. Les colonies dévorent chaque année toujours plus de terres. L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas – qui, selon Amnesty International, relève de l’« État policier » – n’a plus aucune légitimité aux yeux de la population palestinienne : elle n’est, pour reprendre les mots du militant socialiste israélien Michel Warschawski, qu’un « instrument au service de l’occupation ». L’actuel gouvernement de Netanyahu, ouvertement fasciste et raciste, a accompli l’exploit de jeter dans la rue des centaines de milliers d’opposants israéliens.
    Deux puissances coloniales alliées

    Trois jours après l’opération Déluge al-Aqsa co-orchestrée par le Hamas le 7 octobre, Erdoğan a dénoncé le siège de la bande de Gaza : « Où sont donc passés les droits de l’Homme ? » Et, de fait : l’ONU vient de rappeler que le droit international l’interdit en ce qu’il constitue une « punition collective » attentatoire aux civils. Gaza agonise sous le phosphore blanc en l’attente d’une possible invasion terrestre. Sauf que : Erdoğan est bien le dernier à pouvoir parler. La Turquie est « la plus grande prison au monde pour les journalistes » (Amnesty) et son gouvernement bombarde actuellement le Kurdistan syrien. Des infrastructures civiles sont à terre : hôpitaux, écoles, stations électriques, stations de pompage d’eau, barrages, silos à grain, fermes, stations services, installations pétrolières, usines… Deux millions de personnes sont privées d’eau et d’électricité. Les hôpitaux sont saturés ; on compte pour l’heure près de 50 morts, dont une dizaine de civils.

    Le prétendu soutien de l’État turc à la Palestine est une farce, grossière avec ça. La Turquie est le quatrième partenaire commercial d’Israël, avec un commerce bilatéral en hausse de 30 % en 2021. La ministre israélienne de l’Économie et de l’Industrie du gouvernement Bennett-Lapid a fait état, l’an dernier, de « l’engagement d’Israël à approfondir les liens économiques avec la Turquie ». L’État turc, membre clé de l’OTAN, a acheté des drones israéliens pour lutter contre le PKK, chef de file de la résistance socialiste kurde. En 2018, il a envahi le Kurdistan syrien fort d’une centaine de chars M60-A1 modernisés par l’industrie israélienne (et du concours d’anciens combattants de Daech) : le canton nord-syrien d’Afrîn, majoritairement kurde, vit depuis sous occupation militaire. Abdullah Öcalan, leader du PKK incarcéré depuis deux décennies, disait déjà en mars 1998 : « Les Turcs ont conclu un accord avec Israël pour tuer les Kurdes. »

    « Les Turcs ont conclu un accord avec Israël pour tuer les Kurdes.”
    Abdullah Öcalan, leader du PKK

    Au lendemain de l’opération ordonnée par le Hamas, Yeşil Sol Parti, le Parti de la gauche verte implanté en Turquie, a publié un communiqué titré : « La paix ne viendra pas au Moyen-Orient tant que les problèmes palestinien et kurde ne seront pas résolus ». Tout en réprouvant « le meurtre de civils » et « la torture de cadavres », l’organisation kurde a apporté son soutien à « la lutte du peuple palestinien pour la liberté » et condamné « l’occupation de la Palestine par Israël ». Quelle issue au carnage ? Une « solution démocratique et juste ». C’est que les résistances kurde et palestinienne sont liées par le sang versé depuis les années 1980 : le PKK et l’OLP ont combattu cote à cote contre l’occupation israélienne. Can Polat, cadre kurde de la révolution nord-syrienne, avait ainsi déclaré à l’écrivain palestinien Mazen Safi : « Le point important, mon frère et camarade, est que les facteurs qui nous lient sont mille fois plus importants que les facteurs qui nous divisent, en dépit des tyrans, des agents et des racistes. Victoire sur Jérusalem occupée. »
    Résister

    Résister à l’oppression est légitime. Y résister par les armes l’est aussi. Le droit international ne dit rien d’autre : la résolution 37/43 de l’Assemblée générale des Nations Unies a, le 3 décembre 1982, réaffirmé « la légitimité de la lutte des peuples pour l’indépendance, l’intégrité territoriale, l’unité nationale et la libération de la domination coloniale et étrangère, de l’occupation étrangère, par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée ».

    Les populations kurdes et palestiniennes ont déployé un nombre incalculable de modalités de lutte, non violentes et violentes : grèves de la faim, marches, recours juridiques et institutionnels, guérilla, attentats. L’ennemi, comme l’a indiqué Nelson Mandela dans Un long chemin vers la liberté, détermine toujours le cadre du combat. « Nous avons utilisé toutes les armes non violentes de notre arsenal – discours, délégations, menaces, arrêts de travail, grèves à domicile, emprisonnement volontaire –, tout cela en vain, car quoi que nous fassions, une main de fer s’abattait sur nous. Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c’est l’oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l’opprimé d’autres recours que d’utiliser les méthodes qui reflètent celles de l’oppresseur. » Le « pacifisme » de Mandela, longtemps présenté comme « terroriste » par les puissances capitalistes, est un mythe. Les États coloniaux turc et israélien qualifient à leur tour la résistance de « terrorisme ».
    La fin et les moyens

    Résister est légitime. Mais il est des moyens de résistance qui le sont moins. Le PKK s’engage de longue date à ne frapper que les cibles militaires et policières. Quand, par malheur, un civil perd la vie au cours d’une opération, sa direction présente sans délai ses excuses aux familles. Öcalan a reconnu que des femmes et des enfants étaient tombés sous les coups de son mouvement et promis en avoir « souffert », assurant que leur mort avait eu lieu lors d’échanges de tirs : « ce n’était pas intentionnel ». Georges Habbache, fondateur socialiste du FPLP palestinien, a quant lui confié dans les années 2000 : « Nous sommes opposés à tout acte terroriste gratuit qui frappe les civils innocents. […] [L]a vie humaine a une trop grande valeur pour que j’approuve ces attentats-kamikazes [palestiniens]. »

    Le 7 octobre, des soldats et des policiers israéliens ont été pris pour cible par les combattants du Hamas, du Jihad islamique, du DFLP et du FPLP. Nul ne saurait le dénoncer, sauf à ratifier l’apartheid et la colonisation militaires. Mais le Hamas a également fait le choix de frapper des civils. On dénombre à l’heure qu’il est la mort de 1 300 Israéliens. Parmi eux, 260 festivaliers et nombre de civils : le kibboutz Be’eri comptait des enfants, celui de Kfar Aza aussi. Un massacre qui tord le cœur. Il s’agit donc de parler droit, à l’instar de Rima Hassan, fondatrice franco-palestinienne de l’Observatoire des camps de réfugiés : « Que ça soit clair, il est moralement inacceptable de se réjouir de la mort de civils ». Et de préciser : « Le faire c’est oublier les principes qui nous engagent dans la perspective d’une paix qui doit nous sauver ». Frapper les civils, c’est affaiblir la résistance. Dans ses mémoires Récits de la longue patience, Daniel Timsit, militant communiste du FLN algérien, a raconté avoir confectionné des engins explosifs pour le compte du mouvement indépendantiste. Les bombes visaient l’armée française occupante. « Mais quand ont eu lieu les premiers attentats terroristes dans la ville, ça a été atroce ! » Plus loin il ajoutait : « La fin ne justifie pas les moyens. L’utilisation consciente de moyens immoraux pourrit l’âme, et le cycle infernal se constitue. »

    « La fin ne justifie pas les moyens. L’utilisation consciente de moyens immoraux pourrit l’âme, et le cycle infernal se constitue.”
    Daniel timsit, militant communiste du fln algérien

    La morale n’est pas un à-côté de la lutte : elle a toujours été son cœur battant. « Si nous voulons changer le monde, c’est aussi, et peut-être d’abord, par souci de moralité », avançait un texte collectif initié, en 1973, par le militant anticolonialiste et trotskyste Laurent Schwartz. De fait : les révolutionnaires livrent partout bataille pour la dignité, la liberté, la justice et l’égalité. En un mot pour l’émancipation. L’amoralisme n’est que la grammaire de l’ordre en place. Aucune guerre n’est « propre » et toutes les causes justes, on le sait, on ne le sait même que trop, ont pu à l’occasion se faire injustes : des communards ont exécuté dix hommes de foi, rue d’Haxo, en dépit des protestations de Vallès ; l’IRA provisoire a tué 12 civils en frappant l’établissement La Mon House Hostel (puis s’en est excusée) ; la branche armée de l’ANC sud-africain a posé une bombe à quelques pas de Church Square, tuant et blessant des civils (puis s’en est excusée) ; etc. L’injustice occasionnelle n’invalide en rien la cause juste ; elle l’amoindrit. Car ce qu’il reste à l’occupé qu’on écrase, disait Edward W. Saïd, c’est justement « la lutte morale ». Le PKK s’y évertue et, au Kurdistan syrien, les prisonniers de Daech sont maintenus en vie. Il ne saurait être question d’idéalisme abstrait mais de morale concrète – révolutionnaire, aurait dit Hô Chi Minh. Elle engage les militants, non sans d’immenses difficultés, et, peut-être plus encore, ceux qui, sans craindre pour leur vie, prennent par internationalisme position sur ces questions. Saïd poursuivait : il est du ressort des intellectuels « de soulever des questions d’ordre moral ». C’est en toute cohérence que le penseur palestinien, pourfendeur de l’occupation israélienne et de la collaboration palestinienne, s’est continûment levé contre la mise à mort des civils. « Je me suis toujours opposé au recours de la terreur », rappelait-il en 1995. Les attentats sont « moralement ignobles » et « stratégiquement nuls ». Toucher des enfants est « une abomination qui doit être condamnée sans conditions ».
    Le Hamas

    Il se trouve que le Hamas se réclame de l’idée révolutionnaire. Or révolutionnaire il ne l’est pas. Car l’idée révolutionnaire n’est rien d’autre que l’idée démocratique enfin réalisée. Le Hamas, dont les menées antidémocratiques ne sont plus à démontrer, ne constitue pas une force d’émancipation. « On sait même que les Israéliens ont soutenu Hamas au début pour affaiblir les courants laïcs et démocratiques de la résistance palestinienne. Bref, l’islam politique a été construit par l’action systématique de l’impérialisme soutenu bien entendu par les forces réactionnaires locales obscurantistes », a rappelé en 2006 l’économiste socialiste Samir Amin, contempteur résolu de l’islamisme en ce qu’il ne « peut être un adversaire authentique de la mondialisation capitaliste-impérialiste ». Enfant des Frères musulmans né au lendemain de la première Intifada, le Hamas s’est d’abord montré favorable à la fondation d’un État islamique. En 1993, il appelait dans un mémorandum à la « Guerre sainte » contre l’occupant et se dressait, dans sa charte fondatrice (amendée depuis), contre « l’idée laïque » telle que portée par l’OLP. Son ancrage contre-révolutionnaire était ouvertement revendiqué dans la charte en question : les Juifs, lisait-on, étaient à l’œuvre derrière la Révolution française et le communisme… L’antisémitisme est une triple trahison : de la cause humaine, palestinienne et révolutionnaire. Humaine, voilà qui se passe de commentaire ; palestinienne, car la guerre en cours n’oppose pas des Arabes et des Juifs mais une population colonisée, à la fois musulmane et chrétienne, et un régime d’apartheid ; révolutionnaire, car que serait cette tradition sans l’inestimable contribution juive ? À un projet raciste – « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » –, l’antiracisme fournit l’unique réponse.

    En toute logique, le Hamas témoigne son admiration pour Erdoğan et a encouragé, par la voix de Khaled Mechaal, l’opération de nettoyage ethnique kurde entreprise à Afrîn. Aucun partisan de l’égalité ne peut se montrer solidaire d’un ennemi de l’égalité. Il en va d’une élémentaire cohérence politique. Bien des Palestiniens ont mis en évidence le problème que pose le Hamas au sein du mouvement de libération. Lisons Edward W. Saïd, en 1995 : « Le Hamas et le Jihad islamique ne sauraient constituer une alternative : leur pensée réductrice, leur vision réactionnaire et leurs méthodes irrationnelles ne peuvent en aucun cas servir l’avènement d’un ordre social acceptable. » Lisons Mustapha Barghouti, fondateur de Palestinian National Initiative, dénonçant en 2004 « le fondamentalisme du Hamas ». Lisons Mahmoud Darwich, évoquant deux ans plus tard les succès électoraux de l’organisation islamiste : « Quand on défend une Palestine plurielle et laïque, on ne peut que craindre pour les droits des femmes, pour les jeunes et pour les libertés individuelles. » Lisons Georges Habbache, à la même époque : « Le modèle islamiste comporte beaucoup de points négatifs ; en termes de choix de société, notre vision est différente, notamment sur la question de la femme. Aujourd’hui, à Gaza, certains aspects sociaux de la vie quotidienne sont inquiétants. » Lisons enfin Leïla Khaled, figure socialiste de la lutte armée, en 2014 : « Le Hamas estime que la Palestine est un endroit sacré qui appartient aux musulmans, ce qui va à l’encontre de nos opinions ».

    “L’antisémitisme est une triple trahison : de la cause humaine, palestinienne et révolutionnaire.’‘
    joseph andras

    On ne saurait, tant s’en faut, réduire la question palestinienne à celle du Hamas. La Palestine était assujettie avant sa création ; elle continuera de l’être quand bien même celui-ci disparaîtrait. Le point central, c’est l’occupation. C’est l’apartheid. C’est, depuis 1948, la spoliation sans fin. Le Hamas n’en est pas moins une force palestinienne incontournable. Il est un acteur de la guerre et, à ce titre, quantité de ses opposants palestiniens savent qu’il faudra bien compter avec lui pour entrevoir quelque issue. Le Hamas est une maladie de l’occupation. Sa funeste résultante. Enfermez une population, privez-la de tout espoir, déchiquetez-la : les démocrates, mécaniquement, s’épuisent. « On a rendu Gaza monstrueux », vient de déclarer le cinéaste israélien Nadav Lapid. Bombarder la bande de Gaza, comme l’État israélien n’a de cesse de le faire, ajoute seulement à l’horreur. Ces bombardements pointent « officiellement » le Hamas ; ce dernier, supposément affaibli, vient pourtant de diligenter une opération militaire d’une envergure inégalée. Depuis 2008, quatre guerres ont été menées contre ce minuscule ghetto asphyxié. Une cinquième est en cours. L’opération Plomb durci a tué 1 315 Palestiniens – 65 % de civils, dont plus de 400 enfants. L’opération Pilier de défense a tué plus de 100 Palestiniens – dont 66 civils. L’opération Bordure protectrice a tué au moins 245 enfants. Au 12 octobre 2023, on compte plus de 1 400 morts, dont 447 enfants. Autant de crimes sans noms. Une vie, pourtant, ne paraît pas valoir une vie en Occident « démocratique ». Personne n’a allumé la tour Eiffel pour eux. Personne ne leur a apporté un « soutien inconditionnel ». Personne n’a organisé de minutes de silence en leur mémoire. Car, comme vient de l’admettre le « philosophe » Raphaël Enthoven : « Je pense qu’il faut marquer cette différence, que c’est même très important de la faire. Là encore, ça n’est pas commensurable. » Une franchise emblématique : l’esprit colonial au grand jour.
    Deux solutions politiques

    Un jour, comme toujours, les armes seront rangées. Ce jour n’est pas venu. Les forces d’émancipation kurdes ne se lassent pas de le scander, jusqu’en France : « Solution politique pour le Kurdistan ! » Le PKK a de longue date proposé un plan de paix et, par suite, le désarmement complet de ses unités. Tout est prêt sur le papier ; l’État turc s’y refuse et Erdoğan a mis un terme aux derniers pourparlers. Le PKK – et avec lui le parti de gauche HDP, quoique sous des modalités différentes, réformistes et légalistes – réclame l’autonomie des territoires kurdes au sein des frontières constituées. Non un État-nation indépendant, comme il le souhaitait originellement, mais le respect démocratique de la vie culturelle, linguistique et politique kurde dans les quatre portions du Kurdistan historique. « On ne peut concevoir de solution plus humaine et modeste », note Öcalan du fond de sa prison. La réélection d’Erdoğan au mois de mai repousse à nouveau l’espoir de la paix. Mais une solution, qui passera par la libération du leader du PKK, existe bel et bien sur la table – aux internationalistes de l’appuyer à leur façon.

    En Palestine, la fameuse « solution à deux États » est caduque de l’aveu de tous les analystes informés : une fable pour plateaux de télévision et discutailleries diplomatiques. Expansion coloniale oblige, un État palestinien – auquel le Hamas a finalement consenti – n’est plus à même de voir le jour. La Cisjordanie est totalement disloquée et aucune continuité territoriale n’est assurée avec Gaza. Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrits, a lui-même reconnu en juillet 2023 que « le rêve arabe d’un État en Cisjordanie n’est plus viable ». Il ne reste aux Palestiniens que deux alternatives : « renoncer à leurs aspirations nationales » (et vivre en Israël en tant qu’individus) ou « émigrer » dans un pays arabe. Pourtant, parmi les ruines, demeure une solution : un État « commun » ou « binational ». Perspective incommode, à l’évidence. Certainement pas réalisable dans l’immédiat. Mais des gens de justice s’y rallient de part et d’autre. En 2001, Michel Warschawski a publié l’ouvrage Israël-Palestine le défi binational : il invitait, sur le modèle sud-africain, à tourner la page de l’apartheid par « un État unitaire ». La décennie suivante, l’historien israélien Ilan Pappé y appelait à son tour : « décolonisation, changement de régime et solution à un État ». De leur vivant, Georges Habbache et Edward W. Saïd sont allés dans le même sens : le premier a loué « un État démocratique et laïc » comme « seule solution » ; le second indiqué que les Israéliens et les Palestiniens vivaient dans une promiscuité quotidienne telle qu’une séparation étatique n’avait aucun sens. Pour que le sang ne coule plus, reste à bâtir un espace de « citoyens égaux en paix sur une même terre ».

    “Un jour, comme toujours, les armes seront rangées“
    joseph andras

    Ici, oui, nous ne pouvons rien. Tout juste nous faire l’écho malaisé des voix démocratiques en lutte. C’est peu. Mais ce peu-là, entre les cris et l’hystérie médiatique française, vaut peut-être un petit quelque chose si l’on aspire à la libération des peuples.

    https://www.frustrationmagazine.fr/moyen-orient

    #colonisation #Hamas #nettoyage_ethnique #colonisation #résistance #oppression #lutte #7_octobre_2023 #droit #civils #paix #morale #guerre #révolution #idée_révolutionnaire #démocratie #émancipation #islam_politique #impérialisme #islamisme #Frères_musulmans #Intifada #antisémitisme #Palestine #Israël #apartheid #occupation #Gaza #bombardements #opération_Plomb_durci #opération_Pilier #opération_Bordure_protectrice #solution_à_deux_États #Etat_binational

    #à_lire

  • Sortir de l’enfer - La méridienne
    https://www.la-meridienne.info/spip.php?article22

    « Pourquoi une bombe lâchée sur un immeuble de Gaza, ça ne te fait rien ?, demandait l’autre jour une amie arabe à un Français de son entourage bouleversé, à juste titre, par l’attaque du Hamas, mais totalement indifférent au reste. Tu crois que c’est plus doux ? » C’est une vraie question.

    « D’une manière globale, je trouve que l’international est de moins en moins présent dans les discours de gauche. Chez les jeunes générations, l’internationalisme n’est pas toujours une évidence comme il l’était pour des générations plus anciennes », disait récemment la députée de La France insoumise Clémentine Autain à Mediapart, à propos d’une autre cause : la cause arménienne. C’est une explication possible. Mais on voit aussi (et ici je demande pardon à mes lecteur-ices concerné-es pour la brutalité du constat, même si je me doute que je ne leur apprends rien) les effets de longues années de déshumanisation et de diabolisation des musulman-es. Lentement mais sûrement, l’islamophobie et ses innombrables relais ont fait leur office, ils ont émoussé les sensibilités.

  • [Panik sur la ville] Les traces de #colonialisme dans la #bande_dessinée
    https://www.radiopanik.org/emissions/panik-sur-la-ville/les-traces-de-colonialisme-dans-la-bande-dessinee

    Si je vous dis : Tintin au #congo. Cela vous donne une idée de ce dont va parler cette émission. Cet album d’Hergé est aujourd’hui l’exemple emblématique de la bande dessinée lorsqu’on évoque le colonialisme. Il en contient en effet des traces, qui ont fait de lui, ces dernières années, l’objet d’une polémique. Nous le recontextualiserons mais nous mentionnerons aussi d’autres exemples de bandes dessinées franco-belges qui ont été créées à l’époque de la #colonisation par la Belgique et par la France, notamment, d’autres pays. Car Tintin au Congo n’est pas la seule BD dont les auteurs ont été influencés par le colonialisme au XIXe siècle. D’ailleurs, dit-on BD coloniale ou colonialiste ? Et aujourd’hui, existe-t-il, dans le monde du neuvième art, un courant anti-colonial, anti-colonialiste ou décolonial ? Comment (...)

    #bande_dessinée,congo,colonialisme,colonisation
    https://www.radiopanik.org/media/sounds/panik-sur-la-ville/les-traces-de-colonialisme-dans-la-bande-dessinee_16611__1.mp3

  • Millions of archived VOC documents now searchable online, including slavery records | NL Times
    https://nltimes.nl/2023/10/08/millions-archived-voc-documents-now-searchable-online-including-slavery-reco

    From Wednesday, five million scanned documents from the archives of the Dutch East India Company (VOC) will be digitally searchable at the click of a button thanks to a text recognition project by the Huygens Institute and various partners. The GLOBALISE project makes the information in these documents on topics like enslavement and colonial violence much easier to search and read, the Huygens Institute said on Tuesday.

    The documents involved are known as the Transmitted Letters and Papers. They’re from the VOC archives, which have been recognized as UNESCO World Memory since 2003 and contain detailed information about the actions of the VOC in the 17th and 18th centuries. According to the Huygens Institute, these documents bear witness to Dutch colonial history.

    (si tu cherches une bonne raison de te mettre au néerlandais)

    #colonisation #histoire #archives #numérisation

  • En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, 170 ans de colonisation

    24 septembre 1853 / 24 septembre 2024

    Ce dimanche 24 septembre 2023 marque un triste anniversaire : cela fait 170 ans aujourd’hui que la Nouvelle-Calédonie vit sous tutelle de la France. C’est en effet le 24 septembre 1853, à Balade, dans l’extrême nord de la Grande terre, que le contre-amiral Febvrier-Despointes prenait officiellement possession du territoire au nom de l’empereur Napoléon III.

    L’anniversaire de cette prise de possession intervient alors que la Kanaky-Nouvelle-Calédonie se trouve, à nouveau, dans une inquiétante impasse politique. L’exécutif macroniste entend s’appuyer sur les trois récentes consultations d’autodétermination qui, de 2018 à 2021, se sont soldées par autant de victoires numériques du « non » à l’indépendance – pour bâtir un « nouveau projet », celui de la « Nouvelle-Calédonie dans la République » dixit le Président de la République lors d’un discours prononcé à Nouméa le 26 juillet dernier devant une foule quasi exclusivement blanche, chantant la Marseillaise et agitant des drapeaux bleu-blanc-rouge. Les indépendantistes avaient refusé de venir.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/26/en-kanaky-nouvelle-caledonie-170-ans-de-coloni

    #international #kanaky #colonisation

  • Nouvelle-Calédonie : le principal parti indépendantiste suspend les discussions avec l’Etat

    L’Union calédonienne, composante majoritaire du front indépendantiste FLNKS, suspend ses rencontres prévues avec l’Etat pour préparer l’avenir institutionnel de l’archipel du Pacifique Sud, a-t-elle annoncé jeudi dans un communiqué publié à l’issue d’une commission exécutive élargie.

    Jugeant « irrecevable » le projet d’accord de « cinq pages » proposé à Paris la semaine dernière sous l’égide du ministère de l’Intérieur, l’Union Calédonienne estime qu’il ramènerait « 30 ans en arrière » la population kanake. Elle annonce suspendre « toutes [ses] rencontres avec les représentants de l’Etat, y compris les réunions techniques », jusqu’à la tenue du congrès annuel du mouvement, qui se réunira du 9 au 12 novembre.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/19/nouvelle-caledonie-le-principal-parti-independ

    #international #kanaky #colonisation