pourquoi la France ne dépiste pas davantage

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  • Coronavirus : pourquoi la France ne dépiste pas davantage
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    Des pompiers désinfectent du matériel après une intervention sur un patient atteint du Covid-19, le 24 mars à Paris.
    FRANCK FIFE / AFP

    Outil majeur de lutte contre l’épidémie de Covid-19, le dépistage a été jusqu’à présent pratiqué à petite échelle dans la population, en raison de difficultés techniques et logistiques présentes à toutes les étapes du processus.

    « Testez, testez, testez tous les cas suspects de Covid-19. » La recommandation en forme de supplique du directeur général de l’OMS est-elle tombée dans l’oreille d’un gouvernement français sourd ? « Nous ne pourrons pas stopper cette pandémie si nous ne savons pas qui est infecté », ajoutait le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus. C’était le 16 mars.

    Déjà asséné depuis plusieurs semaines, le message ne semblait pas jusqu’à présent avoir affecté le choix du gouvernement : ne tester que les cas sévères et les publics considérés prioritaires, comme les membres du personnel de santé présentant des symptômes ou des personnes déjà atteintes d’une pathologie. A raison de 5 000 tests par jour.

    Mais était-ce réellement un choix ou un pis-aller ? Difficile d’y voir clair, d’une déclaration à l’autre du ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, ou du directeur général de la santé, Jérôme Salomon. Mardi 24 mars, l’avis du conseil scientifique sur le Covid-19, fort attendu sur ce point, n’a apporté ni indice ni éclaircissement. « L’alternative d’une politique de dépistage à grande échelle et d’isolement des personnes détectées [n’est] pas pour l’instant réalisable à l’échelle nationale », s’est-il borné à déclarer.

    Dans les pays et les régions où il a été réalisé, le testing systématique a montré qu’une proportion importante d’individus qui contractent le virus ne manifeste pas de symptômes ou des symptômes légers. Or ces contaminés invisibles contribuent massivement à la dispersion du virus. Alors pourquoi ne fait-on pas ces tests pour contenir la progression du Covid-19 ? La question figure dans nombre de critiques adressées aux pouvoirs publics, mais aussi dans les esprits des Français confinés. Le gouvernement semble désormais envisager une politique de dépistage massif, afin de préparer la sortie du confinement d’ici à quelques semaines et d’éviter un rebond de l’épidémie. Encore faut-il qu’il s’en donne les moyens.

    #encore_faut_il_s'en_donner_les_moyens
    Le Monde serait-il prêt à demander des comptes,…
    la suite derrière le #paywall

    • Entre complications dans la chaîne logistique, reproches d’impréparation et rumeurs de pénurie de produits nécessaires aux tests, Le Monde a tenté d’identifier les obstacles à une montée en puissance des capacités de tests en France, en explorant chacune des étapes de leur réalisation.

      Effet ramonage
      La première est le prélèvement. Un technicien de santé recueille un échantillon de mucus – plus connu sous l’appellation familière de morve – dans lequel est tapi le virus. Pour cela, il se sert d’un écouvillon, cet objet qui ressemble à un coton-tige, mais en beaucoup plus long et beaucoup plus fin : il faut pouvoir le glisser dans l’arrière du nez et le faire remonter sur plusieurs centimètres jusqu’au nasopharynx. L’effet ramonage, notoirement désagréable, peut entraîner projections et crises d’éternuements et, donc, une contamination. Le technicien doit ainsi être muni d’un équipement de protection individuelle : masque, surblouse, charlotte et lunettes.

      Deux problèmes se présentent dès ce stade. D’abord la pénurie de masques, qui a eu un effet ralentisseur certain sur le nombre de tests pratiqués dans les hôpitaux. Mais aussi en ville. Dans le pays, en effet, entre 400 et 500 laboratoires d’analyse médicale privés seraient théoriquement à même d’effectuer ces prélèvements. Mais « on a été oubliés dans tous les arrêtés listant les professionnels prioritaires » pour se voir distribuer des masques, s’indigne François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes, lesquels ne figurent pas dans le dernier arrêté pris le 23 mars par Olivier Véran. « On en a marre de se battre contre du vent. On en a trouvé en demandant dans les entreprises, les mairies, au Rotary. C’est la démerde. »

      L’écouvillon, ensuite. Si les laboratoires privés disent ne plus en avoir et si de nombreux hôpitaux ont rapporté des pénuries ponctuelles, ce problème semble plus ou moins résolu aujourd’hui. Les usines des principaux fabricants tourneraient désormais jour et nuit pour répondre à la demande, selon le réseau de soins américain Kaiser Permanente. Le numéro un, Copan, possédait une capacité de production de 720 000 écouvillons par jour… avant de se retrouver en plein épicentre du drame italien, à Brescia, en Lombardie.
      Cet écouvillon est ensuite inséré dans un tube fermé et envoyé à un laboratoire. Là, trois phases attendent l’échantillon : inactivation, extraction, amplification. C’est alors qu’entrent en scène les tests de dépistage du SARS-CoV-2 à proprement parler. Mais d’abord l’inactivation. Une opération, appelée lyse, détruit la couronne de lipides qui rend le virus contagieux et dont il tient son nom de « corona ». Le processus présentant un danger, seuls les laboratoires médicaux de sécurité biologique de niveau 2 y sont habilités, ce qui n’est pas le cas de tous.

      Vient ensuite l’extraction du matériel génétique du virus, son ARN en l’occurrence. Comme tous les coronavirus en effet, le SARS-CoV-2 est un virus à ARN (acide ribonucléique), une version inversée de l’ADN (acide désoxyribonucléique), à la manière du négatif d’une photo sur pellicule. Cette opération est réalisée de manière groupée par des automates appelés des extracteurs. Les échantillons n’y sont insérés qu’après avoir reçu, un à un, une petite onction de produits chimiques – les « réactifs ».

      Manque de moyens humains
      Une fois isolé, à l’issue de ce processus, l’ARN est plongé dans un autre mix de produits, puis enfourné dans un thermocycleur, ou machine PCR (pour polymerase chain reaction). Cet appareil fonctionne grâce à un phénomène chimique reposant sur un principe connu de tous : le bain-marie. C’est ici que le négatif de l’ARN est « développé » par une enzyme, appelée transcriptase inverse, et transformé en ADN. Plusieurs copies sont réalisées, d’où le terme « amplification » pour nommer cette ultime étape. Si le virus se multiplie, c’est que l’échantillon est positif au SARS-CoV-2. A noter que, pour diverses raisons, au fil de tout le processus depuis le moment du prélèvement, on peut rater le virus. Ainsi, des patients pourtant contaminés présentent un résultat négatif : ce sont des « faux négatifs ».

      Qui dit multiplicité d’étapes, de produits et de systèmes dit aussi multiplicité de goulots d’étranglement possibles. La plupart d’entre eux tournent autour des machines. Certains automates réalisent les deux opérations – extraction et amplification – en même temps. Le laboratoire suisse Roche propose ainsi deux modèles de sa Cobas, une machine « aussi grande qu’une voiture », avance un porte-parole du fabricant pour justifier le mystère autour de son prix, que l’on dit prohibitif (entre 100 000 et 400 000 euros, selon les sources et les « ristournes » accordées), mais sur lequel il refuse de communiquer.

      Le service de presse de Roche vante des capacités théoriques – bien moins en pratique – allant jusqu’à 1 000 tests en huit heures. Mais ces plates-formes sont des systèmes « fermés » : elles ne fonctionnent qu’avec les tests estampillés Roche. Or, le fabricant n’a obtenu l’autorisation de commercialiser son test « Cobas SARS-CoV-2 » dans l’Union européenne que le 13 mars. Les Cobas sont donc restées inactives sur le front des tests Covid-19 jusqu’alors. « Quarante-huit CHU et laboratoires de recherche ont des plates-formes ouvertes, c’est ce qui nous a sauvés », explique Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. Combien de laboratoires publics et privés sont-ils équipés de ces machines fermées – également fournies par Abbott, engagé dans une joint-venture avec Roche ? Personne à ce jour ne dispose de ces informations, pourtant cruciales, pour déterminer la capacité de tests en France.

      Seul acteur français présent sur les tests Covid-19, bioMérieux est un des derniers à proposer deux tests, l’un pour ses plates-formes fermées, l’autre pour les plates-formes ouvertes. Ce dernier, qui n’a pas encore obtenu l’autorisation européenne, bénéficie d’une autorisation dérogatoire de l’ANSM depuis le 19 mars. Assez pour faire s’envoler son cours en Bourse mardi 25 mars au matin.

      Professeur de virologie émérite de l’université Paris-Descartes, Christine Rouzioux a fait basculer l’activité de son laboratoire de recherche à l’hôpital Necker du HIV vers les tests SARS-CoV-2. Avec ses machines ouvertes, le labo réalise « 4 × 80 tests par jour minimum ». Mais « tout ne se résume pas à des problèmes de machines et de réactifs », ajoute-t-elle. Chaque échantillon doit être dûment enregistré « pour qu’on ne rende pas le résultat de Dupont à Durand ». Rentrer 300 à 600 noms dans un ordinateur, voilà qui mange aussi des moyens. Ces moyens humains qui manquent par endroits autant que les enzymes…

      « Du temps, on n’en a pas »
      Autre problème majeur : celui des réactifs, ces « kits » de produits chimiques utilisés pour traiter le virus, que l’on dit en rupture de stock. En particulier la SuperScript III, une enzyme commercialisée par le groupe américain Thermo Fisher. D’après nos informations, il ne s’agirait pas, malgré l’explosion de la demande, d’un problème de production, mais plutôt de tensions sur l’acheminement à travers le monde. Fabriquée aux Etats-Unis, en Chine, mais aussi en Europe, à Vilnius (Lituanie), vendue sous la forme de kits de 100 (604 euros) ou 500 (2 590 euros) réactions, l’enzyme est d’ordinaire livrée sous vingt-quatre ou quarante-huit heures. Les délais atteignent désormais plusieurs jours, dus aux transporteurs, dont le travail est affecté par la pandémie, et à des priorités déterminées en fonction des zones les plus touchées.

      Si la SuperScript manque, pourquoi ne pas la remplacer par une autre enzyme ? Lorsqu’on emploie des technologies aussi sophistiquées et que les enjeux sont aussi vitaux, le bricolage rencontre vite ses limites. Directeur du laboratoire Production et analyse des données en sciences de la vie et en santé (Sorbonne Université-Inserm), Stéphane Le Crom compare le protocole d’un test à une recette. « Prenez la mousse au chocolat de Cyril Lignac. On peut faire une mousse au caramel s’il n’y a plus de chocolat, mais encore faut-il adapter la recette pour que la mousse soit bonne. » Cela demande un peu de temps. « Et du temps, on n’en a pas. »
      Pour Christine Rouzioux, « le gouvernement doit créer un accès plus fluide aux réactifs et passer à une échelle supérieure ». Cette impréparation à des pénuries prévisibles laisse perplexe Pauline Londeix, ancienne vice-présidente d’Act Up. « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réflexion à partir de janvier [au moment de l’émergence du virus en Chine] au gouvernement pour fabriquer ces réactifs, qui ne sont protégés par aucun brevet ? »

      Au sein des organismes de recherche publique, c’est le branle-bas de combat pour recenser « matériels et réactifs que les unités peuvent mettre à disposition pour les tests Covid-19 en dehors de leurs besoins à court et à moyen terme » – des masques aux machines PCR. Dans un courriel envoyé dimanche 22 mars, les directeurs des cinq organismes de recherche publique français (CNRS, Inserm, Inrae, Inria, CEA) demandent aux équipes de relever moyens matériels et humains. D’après nos informations, il s’agit de leur initiative propre, et non d’une demande du gouvernement.

      « Entre l’état de l’hôpital et celui de la recherche publique, on n’arrivait déjà plus à faire le travail normalement, ironise Christine Rouzioux. Alors ça ne sert à rien de dire qu’on n’était pas prêts pour une pandémie, on n’était prêts à rien ! »
      Au soir du 24 mars, le directeur de la santé, Jérôme Salomon, annonçait que la France avait désormais une capacité de 9 000 tests par jour, et que l’achat d’automates allait permettre de grimper à 29 000 tests d’ici à la fin de la semaine prochaine.