Le code est la loi ?

/le-code-est-la-loi

  • Le code est la loi ? | Jean Zin
    http://jeanzin.fr/2016/07/21/le-code-est-la-loi

    Or, la blockchain vient de rencontrer son premier véritable accroc, mettant en pièce son idéologie libertarienne pour corriger un bug et récupérer de l’argent volé, cela au nom de la grande majorité des utilisateurs. Tout-à-coup, on est revenu sur terre avec tous les problèmes qu’on connaît bien, de police comme de régulation des marchés. Que le libéralisme soit beaucoup plus productif que l’étatisme n’implique absolument pas que les marchés ni la monnaie pourraient marcher sans Etat et la prétention d’une loi immuable se heurte rapidement au réel. Comme disaient les anciens Grecs « les lois sont comme des toiles d’araignées qui n’attrapent que les petites mouches mais laissent passer les guêpes et les plus gros bourdons ». On ne peut faire barrage aux puissances réelles, ce dont la blockchain vient de faire l’expérience.

    • Idéalisation des monnaies fiat (étatiques). Par exemple, il parle des crypto-monnaies « comme le Bitcoin, préservée de toute intervention d’une quelconque démocratie » comme si l’euro ou le dollar étaient gérées de manière démocratique !

      Sans compter la confusion entre technique et politique comme lorsqu’il parle de « son [celle de la blockchain] idéologie libertarienne » comme si le code de la blockchain avait une idéologie ! (Les humains en ont une, pas le logiciel.)

    • De nombreux logiciels et plein d’autres techniques complexes (le nucléaire par exemple) ont une idéologie incluses dedans, et cela justement parce que ce sont des humains qui les ont conçu et qu’elles sont le produit d’un moment et d’un mode de pensée particulier. Les techniques complexes contiennent un monde, contiennent en elles-même une direction générale.

      #progressisme

    • http://www.jssj.org/article/deplacer-des-montagnes-avec-le-vent-numerique

      Si les promoteurs des crypto-monnaies prétendent au déploiement d’une nouvelle monnaie – et même d’une nouvelle génération de monnaie –, c’est donc sur la base d’une appréhension bien particulière de ce qu’est (ou devrait être) une monnaie. D’autres conceptions de la monnaie pourraient leur être opposées (Aglietta & Orléan, 2002, Testart, 2001), et notamment par le fait qu’elles stipulent qu’une monnaie est forcément adossée à une institution qui en établit la validité. Ces positions contradictoires, qui contestent mutuellement leurs prémisses respectifs, partagent cependant un principe commun [...] : il existerait un concept général et trans-historique de monnaie qui permettrait d’en tirer un rôle générique et commun aussi bien dans les sociétés de l’antiquité grecque (et même plus anciennes encore) que dans les sociétés modernes de l’ère industrielle. [...]

      La monnaie est donc appréhendée comme une donnée quasi-anthropologique récurrente et stable dans ses fondements, dont les formes peuvent varier, mais dont la signification profonde est établie dès son avènement et pour laquelle ne varient que ses manifestations superficielles, que ce soit de manière contingente ou évolutive. Ainsi, seules des fonctions dérivées et purement techniques caractériseraient les développements les plus récents notamment dans l’expansion de la sphère financière ou la dématérialisation des échanges monétaires. Les variations historiques ne correspondraient qu’à l’avènement de formes de plus en plus sophistiquées, mais aussi épurées, de moyens mis en œuvre pour viser des fins quasi naturelles comme le serait la circulation des biens ou des informations, par exemple. On peut objecter à ces positions diverses et irréconciliables qu’elles ont en commun un biais réducteur : la rétro-projection sur les sociétés pré-capitalistes de catégories qui sont propres à cette forme de synthèse sociale bien particulière. Les particularités en question sont à la fois absentes et omniprésentes dans les théories de la monnaie correspondant à ces positions antagonistes : absentes car non interrogées, omniprésentes car constituant le cadre dans lequel sont rabattus des phénomènes qui relèvent d’une autre logique.

      Il n’entre pas dans le cadre de cet article d’établir quelle théorie de la monnaie serait la plus adéquate pour analyser l’émergence des crypto-monnaies. Il s’agira plutôt d’établir en quoi ce phénomène se situe dans une forme de synthèse sociale bien particulière. S’il convient donc de garder à l’esprit qu’un concept trans-historique de monnaie exprime avant tout une forme de conscience socialement et historiquement située, cette revendication d’une nouvelle monnaie inscrite dans de nouveaux supports peut être interprétée selon deux angles complémentaires. D’une part, comme la marque de « l’illusion du moment » concernant un phénomène considéré à tort comme étant une réalité transposable d’une forme de synthèse sociale à une autre, d’autre part comme l’indice d’une nouvelle phase de la forme de synthèse sociale dans laquelle se déploie cette revendication.

    • Par exemple, il parle des crypto-monnaies « comme le Bitcoin, préservée de toute intervention d’une quelconque démocratie » comme si l’euro ou le dollar étaient gérées de manière démocratique !

      Ce n’est pas parce qu’on remet en cause les crypto-monnaies qu’on adule euro et dollar. Voici ce que dit Jean Zin dans un commentaire plus bas :

      Le néolibéralisme vise à dépolitiser l’Etat, le dé-démocratiser par des institutions régulatrices indépendantes mais c’est une utopie, on ne peut pas faire s’évaporer les forces sociales réellement agissantes. Il ne s’agit pas de dire que la politique c’est bien, j’en pense le plus grand mal, mais que c’est un réel inéliminable, que ce soit au niveau local ou mondial. Je plaide pour une fin du théologico-politique et la reconnaissance de l’échec du politique pour avoir une chance de faire un peu mieux mais cela ne fera pas disparaître la puissance de l’argent et des marchés, ni la nécessité constante d’adaptation et de régulation.

      Il ne s’agit pas de la conception qu’on peut avoir d’une monnaie mais de l’efficacité d’un type de monnaie dans un système de production donné, selon les périodes et les marchés. Il ne s’agit pas de ce qu’on voudrait. En général, le politique se mêle de l’économie quand ça va mal, on ne peut attendre que les Etats restent les bras croisés quand tout s’écroule sous prétexte qu’il ne faudrait pas toucher au code comme à une loi divine.

      Et puis, euro et dollar sont soumis à des rapports de force (dont une partie de ce rapport de force vient d’une variable démocratique certes avec plein de défauts et dysfonctionnements), à tel point que, par exemple, il n’est pas sûr que l’euro survive (au moins sous sa forme actuelle) dans les 10 ans qui viennent.

    • @Rastapopoulos Je ne voulais pas dire que les concepteurs du logiciel n’avaient pas d’opinions politiques (ils en avaient) ni que le logiciel était neutre. Je sais bien que tout système technique encourage certains usages et en décourage d’autres (c’est le « code is law » de Lessig qui, comme beaucoup de phrases fameuses, est souvent cité à contre-sens par des gens qui n’ont pas lu le texte original).

      Je voulais dire que le raccourci « l’idéologie de la blockchain » m’énervait car il suppose que l’idéologie vient du logiciel. Cela dépolitise le débat, je trouve.

    • @alexcorp Les crypto-monnaies sont aussi soumises à des décisions politiques qui dépendent de rappprts de force, et qui ne sont pas plus ou moins démocratiques que celles de l’euro ou du dollar. Deux exemples typiques récents sont l’impossibilité de Bitcoin à prendre une décision ferme sur la question de la taille des blocs, et a contrario la décision (qu’on la juge bonne ou mauvaise) d’Ethereum de changer les règles pour récupérer l’argent de The DAO. Dans les deux cas, on a bien de la politique, et des humains qui décident.

    • [...] il suppose que l’idéologie vient du logiciel. Cela dépolitise le débat, je trouve.

      Si l’on prend le terme idéologie dans le sens (faible) d’opinion, bien évidemment que le logiciel n’a pas d’idéologie car ce sont bien les êtres humains qui se forment une opinion. Mais le terme d’idéologie est loin d’être synonyme d’opinion. Il désigne plutôt le cadre de pensée a priori, les catégories abstraites qui semblent pourtant avoir une existence bien réelles pour les membres d’une société donnée, à tel point qu’elles sont vécues comme des contraintes « naturelles », et non pas issues de leur propre agir inconscient.

      Penser que le logiciel ne fait que véhiculer les opinions de ses concepteurs et qu’à ce titre il suffit de les dénoncer pour désamorcer son potentiel de domination, de nuisance ou d’aliénation, c’est justement écarter tout un pan du questionnement critique (et donc politique) que l’on doit porter sur les techniques numériques.