#jean-paul_demoule

  • Notes anthropologiques (LXI)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LXI

    Signe des temps, les historiens s’intéressent désormais à l’activité des échanges qu’ils tentent de saisir sous le concept, légèrement éculé, d’économie, obéissant en cela à l’idéologie ambiante. Ils ouvrent ainsi tout un pan de notre histoire qui était jusqu’à maintenant mal connu : l’activité des échanges aux époques reculées. Afin d’appréhender les différentes formes prises par les échanges et d’en marquer l’évolution, ils se réfèrent volontiers à Karl Polanyi qui, dans ses livres comme La Grande Transformation ou La Subsistance de l’homme, a distingué trois formes d’échange, les échanges fondés sur la réciprocité, ceux qui reposent sur la répartition-distribution et enfin les échanges marchands liés à la politique. Dans son dernier livre intitulé Histoire des peuples d’Amérique, Carmen Bernand évoque, elle aussi, Polanyi avant de faire une synthèse heureuse de nos connaissances concernant l’échange, en convoquant des anthropologues comme Marcel Mauss ou Maurice Godelier :

    « Les principes qui fondent ce qu’on appelle des “économies primitives”, à savoir la réciprocité, la redistribution et la circulation des biens, obéissent à des règles particulières. Certains aspects nous sont connus parce que nous disposons de documents écrits et d’une bonne ethnographie de terrain qui nous aide à saisir la dimension symbolique des choses. La réciprocité se fonde sur une obligation (morale, religieuse, statutaire) alors que, dans l’économie de marché, le paiement selon des règles fixées déchargerait l’acquéreur de toute obligation (Polanyi, 1965, p. 243-270). Les descriptions regorgent d’exemples de cette “obligation” faite au partenaire de recevoir et de rendre. Toute rupture de cette règle entraîne une succession d’infortunes. D’une façon générale, les choses ne sont pas inertes ; une fois “données”, elles gardent quelque chose du donateur. Précisons encore qu’il y a des objets qui ne sont jamais donnés parce qu’ils sont “incomparables” » (p. 68).

    Dans les notes anthropologiques, je me suis intéressé, de mon côté, aux échanges et aux différents modes pris par cette activité, j’ai tenté, pour ma part, de faire ressortir le lien qui unit le pouvoir à l’activité marchande (et, inversement, l’activité marchande au pouvoir). (...)

    #anthropologie #histoire #échanges #argent #aliénation #État #Karl_Polanyi #Carmen_Bernand #Pierre_Clastres #Jean-Paul_Demoule

  • Le confinement ? Une histoire ordinaire de l’humanité
    https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-lhistoire/le-confinement-une-histoire-ordinaire-de-lhumanite


    Un tour de vis dans notre vie confinée est annoncé depuis hier par Gérald Darmanin et on attend avec fébrilité le point d’étape de Jean Castex ce soir sur l’évolution des règles en cours. Dans le numéro du magazine L’#Histoire daté de septembre, consacré à cette #pandémie qui change le monde, le préhistorien #Jean-Paul_Demoule propose une longue histoire du #confinement ou comment un étrange phénomène se produit depuis des millénaires : le confinement progressif et volontaire de l’#humanité. D’abord parce que l’humain fait figure d’exception avec sa manie de se mouvoir en permanence : la majorité des espèces occupent un territoire circonscrit qui leur apporte ce dont elles ont besoin avec quelques incursions à date fixe pour pallier l’appauvrissement saisonnier de leur #ravitaillement. La liste des quelques lieux de vie où les hommes et les femmes s’approvisionnent toute l’année depuis des millénaires pourrait vous étonner : Sibérie, Scandinavie, Japon, Canada. Là, l’#occupation_humaine est constante et stable, le poisson c’est la vie. [...]

    On passe d’un quotidien à parcourir parfois des dizaines de kilomètres par jour, pour le #chasseur-cueilleur du paléolithique, à la quasi-#immobilité du #télétravail

    Une longue histoire de confinement
    Jean-Paul Demoule dans mensuel 475
    daté septembre 2020
    https://www.lhistoire.fr/une-longue-histoire-de-confinement

  • Notes anthropologiques (XLVIII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XLVIII

    Traité sur l’apparence (IV)
    Cosmovision et activité marchande

    Dans un livre consacré à la « naissance de la Grèce », les auteurs font état de la découverte de petits objets provenant de Tirynthe et d’autres sites égéens qui se sont révélés être des poids, « réglés par un système proche-oriental ». Voici donc la notion de mesure qui s’infiltre dans les échanges entre les humains au troisième millénaire avant J.-C. « Les poids les plus anciens du monde égéen datent du bronze ancien et indiquent des liens étroits avec l’aire levantine et le Proche-Orient en général. » Et Julien Zurbach de préciser : « Les poids et mesures, éléments fondamentaux de toute société, sont un indice extrêmement fin et précis des relations d’échange… » Considérer que les poids et mesures sont des éléments fondamentaux de toute société et qu’ils sont un indice précis des relations d’échange a de quoi nous surprendre. Une telle vue met à la trappe sans autre forme de procès tous les échanges qui reposent sur le don, et où il n’est question ni de poids ni de mesures. Une telle idée qui consiste à ne prendre en considération que les échanges marchands peut bien paraître saugrenue. Cependant je pourrais me trouver en accord avec les historiens qui s’intéressent par vocation à ce qu’ils nomment civilisation et il est fort possible que ce qu’ils conçoivent comme étant « la » civilisation commence par l’échange marchand. (...)

    #anthropologie #échanges #don #mesures #valeur #civilisation #société #marchandises #obligation #Jean-Paul_Demoule #cauris #État #nature #culture #Hegel #inégalité #Marx

    • @ktche pas la première fois mais dans ce texte Georges Lapierre s’inscrit en faux contre une des bases de Marx qu’utilise la critique de la valeur (c’est répété dans de nombreux textes) comme quoi celle-ci est calculée (par les capitalistes) sur le temps social nécessaire pour la fabriquer (modulo l’état technologique du moment).

      Un exemple dans une note là

      Les économistes, qui sont seulement les thuriféraires des marchands, entrent dans leur jeu pour présenter le monde de l’activité marchande comme un monde objectif pour ainsi dire naturel et qui ne peut en aucune manière être critiqué. Ils se sont cassé la tête pour déterminer objectivement la valeur d’échange d’une marchandise, faire en sorte qu’elle ne soit plus rattachée à la subjectivité des uns et des autres, en l’occurrence à celle des marchands ; Karl Marx, par exemple, la rattache au temps de travail social nécessaire pour produire une marchandise, ce qui ne voulait rien dire du temps de Karl Marx quand le prix d’une paire de godillots changeait d’un pays à l’autre et qui, de nos jours, ne veut toujours rien dire quand le prix d’une même paire de baskets varie, elle aussi, considérablement d’un pays à l’autre alors que cette paire est produite dans le même pays du tiers monde . En fait, c’est seulement le marchand, et lui seul, qui décide de la valeur d’une paire de godillots ou de baskets en fonction de critères qui lui sont propres et dont l’origine remonte aux spéculations boursières.

      Bon j’ai l’impression qu’il y a une confusion entre « comment Marx la définit » et « comment Marx dit que les capitalistes la définissent », mais reste cette critique sur la subjectivité, aussi bien avant que les capitalistes de maintenant, sur la valorisation d’une marchandise.

      Est-ce qu’il y a des textes expliquant les différentes approches ou critiquant cette approche subjective ?
      Sur certains points j’ai l’impression que les explications de Lapierre sont proches de la wertkritik et parfois je vois bien qu’il tient à se distinguer clairement des conceptions de Marx. Et je n’arrive pas à synthétiser clairement les convergences et divergences.

    • De l’extrait que tu cites ci-dessus, je mettrais rapidement en avant deux divergences avec l’approche de la critique de la valeur

      1) L’équivalence entre prix et valeur : le prix est l’expression phénoménale, dans la sphère de la circulation, de la valeur qui est entièrement déterminée dans la sphère de la production. La distinction opérée entre les deux par Marx est celle entre une catégorie substantielle et un phénomène, certes dérivé, mais dont les multiples autres déterminations contradictoires ne permettent pas de poser une équivalence valeur = prix. Cette équivalence est plutôt celle que font les économistes néo-classiques dits marginalistes, parce qu’ils réduisent la notion de survaleur à celle de profit, selon l’approche subjective qu’en a justement le marchand.

      2) L’analyse en terme de marchandise individuelle : si chaque marchandise « porte » les déterminations qui sont celles de la production marchande, il n’est pas possible d’en faire l’analyse à partir d’une simple partie. La production marchande est une totalité dans le sens où elle imprime sa marque (l’abstraction, l’indifférence au contenu) sur chaque marchandise, pas dans le sens où elle serait la somme des marchandises prises séparément. Encore une fois, c’est justement la vision subjective du marchand qui voit le tout comme la somme des parties qui médiatisent son rapport aux autres sujets de la production marchande, et non pas comme une propriété commune qui échappe à son appréhension.