Peut-on se passer du ganglion sentinelle dans tous les cancers du sein précoces ?
Dr Joël Pitre | December 20, 2024
La biopsie du ganglion sentinelle, utilisée pour identifier les métastases ganglionnaires dans le cancer du sein, pourrait être obsolète dans les cancers à un stade précoce, comme le montrent de nouveaux résultats. Néanmoins, cette désescalade semble pour le moment devoir être réservée aux plus bas grades.
L’histoire naturelle du cancer du sein est à présent mieux connue. Après qu’il a été démontré que la mastectomie totale pouvait être avantageusement remplacée dans la plupart des cas par une chirurgie partielle associée à une irradiation, le dogme du curage axillaire systématique a été remis en question au profit de la biopsie du ganglion sentinelle (BGS).
Cependant, le manque de bénéfice thérapeutique de cette approche, associée à l’importance accordée à la biologie tumorale dans les décisions relatives au traitement systémique, a conduit à des essais examinant l’omission de la BGS dans le cancer du sein à un stade précoce. En 2023 l’étude SOUND (2) a montré qu’en termes de survie à 5 ans sans récidive à distance il était possible de se passer de BGS pour les cancers du sein de moins de 2 cm sans ganglion axillaire cliniquement décelable.
Est-il possible d’étendre cette désescalade chirurgicale en omettant la chirurgie axillaire pour les tumeurs de moins de 5 cm ? Les auteurs allemands et autrichiens de l’étude INSEMA publiée dans le prestigieux New England Journal of Medecine ont voulu montrer la non-infériorité de cette hypothèse par rapport à une BGS systématique (1).
Une étude de non-infériorité, près de 5000 participantes
Les patientes éligibles étaient porteuses de tumeurs infiltrantes, T1 ou T2 (≤ 5 cm), pour laquelle une chirurgie conservatrice était programmée, sans ganglion cliniquement (cN0) ou radiologiquement (iN0) décelable (échographie axillaire systématique). Une randomisation 1:4 a permis de constituer deux groupes : soit absence de BGS, soit réalisation d’une BGS.
La prise en charge adjuvante post-chirurgicale était conventionnelle (irradiation post-opératoire de l’ensemble du sein), comme la surveillance. Le critère principal de jugement était la survie sans maladie invasive -SSMI- (récidive invasive locale, axillaire ou à distance, décès quel que soit la cause, survenue d’un cancer du sein invasif controlatéral, ou de tout autre cancer primitif invasif).
Parmi les objectifs secondaires, l’étude concernait la survie globale ainsi que les taux de récidive axillaire et de complications. Les résultats étaient analysés en intention de traiter et per-protocole. La non-infériorité était définie par un taux de survie sans maladie invasive à cinq ans ≥ 85 % et un ratio de risque inférieur à 1,271.
Entre septembre 2015 et avril 2019, l’étude, menée dans 142 centres en Allemagne et 9 centres en Autriche, enrôlait 5 502 patientes, principalement âgées de 50 ans ou plus (90 %), présentant majoritairement des tumeurs de stade T1 (90,4 %), dont 348 ont été exclues principalement en raison de défaut de consentement ou de nécessité de mastectomie secondaire.
Après chirurgie, 296 patientes étaient exclues pour absence de radiothérapie adjuvante. Finalement la population per-protocole incluait 4858 patientes dont 962 dans le groupe sans BGS et 3896 dans le groupe BGS. La durée médiane de suivi était de 73,6 mois. Quel que soit le groupe, les tumeurs étaient majoritairement RH positives (98,5 %) et HER2 négatives (96,4 %). Sur le plan histologique, les tumeurs canalaires comptaient pour 73,2 % et les lobulaires pour 12,7 %. Dans le groupe BGS, 15% des ganglions étaient métastatiques (dont ¼ étaient micro-métastatiques).
Des résultats en faveur d’une désescalade chirurgicale
En analyse per-protocole, la SSMI était de 91,9 % dans le groupe sans BGS et de 91,7 % dans le groupe BGS soit un RR de 0,91 (IC 95 % : 0,73–1,14), validant l’hypothèse de non-infériorité. Il n’y avait pas non plus de différence significative dans l’analyse en intention de traiter. Le taux de récidive axillaire était, comme attendu, légèrement plus élevé dans le groupe sans chirurgie axillaire (1,0 % contre 0,3 %).
A 5 ans, la survie globale était de 98,2 % dans le groupe sans BGS et de 96,9 % dans le groupe BGS. Quant aux taux de complications post-opératoires, ils étaient sans surprise moins bons dans le groupe BGS concernant le lymphœdème (5,7 % vs 1,8 %), les douleurs brachiales ou de l’épaule (4,2 % vs 2,0 %) et la réduction de la mobilité (3,5 % vs 2,0 %).
En analyse de sous-groupes, les résultats étaient cohérents pour les patientes de 50 ans ou plus, présentant des tumeurs de faible risque (G1 ou G2) et hormono-sensibles (récepteurs hormonaux positifs, HER2-négatif). Les résultats étaient similaires pour les patientes ayant des tumeurs de plus de 2 cm, bien que les intervalles de confiance soient plus larges en raison d’un effectif plus faible dans ce sous-groupe.
Au total, ces résultats sont en faveur d’une désescalade chirurgicale et sont en cohérence avec ceux de l’étude SOUND, qui avait démontré que l’omission de la chirurgie axillaire n’impactait pas la survie sans récidive à distance chez les patientes ayant des tumeurs ≤ 2 cm. Les résultats ici sont amplifiés par des effectifs plus grands, l’inclusion des stades T2, et un critère de jugement plus large (survie sans maladie invasive) que la survie sans récidive à distance.
L’omission de la chirurgie axillaire parait particulièrement pertinente pour les patientes âgées de 50 ans ou plus, présentant des tumeurs de type canalaire (RH-positifs et HER2-négatives) et un faible risque de récidive. L’omission d’une chirurgie axillaire même limitée à la réalisation d’un simple BGS réduit les séquelles, tout en maintenant une excellente survie globale et sans récidive invasive.
Les limites de ce travail résident dans le fait qu’il concernait principalement des patientes à faible risque. Les résultats pour les tumeurs > 2 cm ou les tumeurs G3 restent moins robustes. La durée médiane de suivi (6 ans) ne permet pas de capturer les récidives tardives caractéristiques des cancers hormono-sensibles. Enfin les tumeurs HER2-positives ou triples négatives étaient sous-représentées, mais elles sont généralement candidates à des traitements néo-adjuvants.
Dans un éditorial du même numéro du NEJM (3), le docteur M. Morrow du Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York rejoint les conclusions des auteurs des études SOUND et INSEMA en faveur de l’abandon de la BGS chez les patientes avec des tumeurs à faible risque (T1, Grade 1 ou 2).
Des interrogations subsistent pour les tumeurs plus volumineuses ou à haut risque (T2, grade 3) et concernant l’impact sur les recommandations thérapeutiques, notamment l’utilisation de l’irradiation partielle du sein ou des inhibiteurs CDK4/6. Ces essais soulignent la nécessité d’une approche multidisciplinaire pour minimiser les risques de sous-traitement tout en évitant des interventions inutiles.
Allez, je te mets l’article en entier, mon petit plaisir à partager des articles scientifiques à toutes celleuxs qui voudraient les lire.