Un monde de choses - La Vie des idées

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  • Un monde de choses
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    De quand date l’avènement des sociétés de #consommation ? De la fin du XXe siècle, croit-on le plus souvent. De bien plus longtemps, affirme Frank Trentmann dans un essai d’histoire globale qui en retrace l’histoire de l’Italie du XVe siècle à la Chine contemporaine. Débat à quatre voix sur un livre qui fera date.

    Essais & débats

    / consommation, #pratiques, #circulations

    #Essais_&_débats

    • La consommation, une affaire d’État

      Le livre est particulièrement original quand il montre tout ce que l’État fournit en matière de ressources symboliques, de normes et d’idéologies qui structurent les modes de vie et de consommation, en y introduisant aussi des dimensions citoyennes et morales. La perspective large envisagée par l’ouvrage permet de montrer que de nombreux régimes politiques ont courtisé le consommateur et placé la consommation souvent au cœur de leurs projets politiques, pourtant bien différents, y compris ceux que l’on attend le moins comme les régimes nazi ou communiste. Il rappelle aussi combien les États ont façonné des formes de citoyenneté économique destinées à responsabiliser les individus au nom du bien commun : les enjoignant notamment de limiter leur consommation en temps de guerre pour juguler l’inflation, ou au contraire les encourageant à consommer lorsque l’économie doit être relancée. La consommation n’est pas seulement un enjeu économique, elle prend aussi un sens politique lorsqu’elle contribue à forger un projet de société. L’ouvrage rappelle alors combien les figures du citoyen et celles du consommateur se sont renforcées mutuellement, à partir de la fin du XIXe siècle, dans de nombreux pays. Dans ce contrat social, le choix individuel tient une place particulière et nous invite à interroger davantage le principe de la souveraineté du consommateur, concept issu du marketing, et dont l’avènement doit beaucoup aux États. On se demande aussi si, du même coup, ce principe n’a pas considérablement affaibli la capacité d’exercice d’un pouvoir plus collectif des consommateurs qui fut au cœur de nombreux mouvements militants de responsabilisation des consommateurs d’hier à aujourd’hui...

      La sociologie a largement montré combien les pratiques de consommation étaient structurées par les appartenances sociales qui produisent des références normatives spécifiques. Pour autant, le cadre idéologique, politique et moral reste le même pour tous. Il a pu changer dans le temps, évoluant depuis une optique sociale-démocrate, qui faisait de la consommation un moteur du développement tant personnel que collectif, vers des optiques politiques aujourd’hui plus réflexives, qui valorisent aussi la modération individuelle. L’ensemble des consommateurs est confronté à cette construction morale, idéologique et politique, indépendamment des appartenances sociales. On pourrait alors probablement expliquer une partie des inégalités sociales de consommation par les situations de dissonance que produit la confrontation entre un modèle politique commun de la consommation, de fait largement construit par les classes moyennes et supérieures, et des consommateurs dont les pratiques sont structurées par des principes très différents. Qu’il s’agisse de faire face, hier, aux injonctions d’accéder à la société de consommation, ou aujourd’hui, de se responsabiliser face à celle-ci, les catégories les plus contraintes économiquement sont en permanence désignées comme incapables de participer pleinement à ce modèle. Ceci peut avoir pour effet de creuser les écarts entre les formes de consommation, en renvoyant les catégories les plus pauvres à une consommation de produits de substitution ou à la qualité dégradée, avec des effets dramatiques sur les inégalités de santé ou environnementales.
      Sophie Dubuisson-Quellier