http://www.corinnemercadier.com

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    Cette nuit j’ai fait un rêve assez compliqué. En tentant de le prendre en note, pour une de ses scènes, voulant décrire la lumière, je finis par écrire, une lumière comme dans les Polaroids de Corinne Mercadier. Je réalise alors que cela doit bien faire une vingtaine d’années que je n’ai plus vu une photographie de Corinne Mercadier, ce qui me donne l’occasion de découvrir le travail de cette photographe.

    Mardi 22 août

    Je rentre d’un voyage de Hongrie, je suis debout dans un car bondé – on dirait un croi-sement entre les scènes d’ouverture de 8 1/2 de Federico Fellini et sont plagiat, Stardust Me-mories , de Woody Allen − et je suis un peu chargé, j’ai trop de valises et de vêtements – un pullover, une veste et un manteau que j’aurai du mal à réenfiler dans ce car bondé quand nous serons arrivés au terminus. Le car nous conduit vers une ville – Budapest ? − depuis laquelle nous pourrons prendre le train ou l’avion. À la différence des autres voyageurs qui rentrent tous de voyages organisés, beaucoup de vacances au ski – ce sont beaucoup les équipements de skis des unes et des autres qui contribuent à créer la cohue et l’encombrement dans le car −, je n’ai pas de ticket ni d’avion ni de train pour mon retour. Et je ne parviendrai pas du tout à m’en procurer un : il y a un monde fou qui rend tout déplacement difficile dans le grand hall qui ressemble à celui de Montparnasse, surtout en étant pareillement chargé, le hall est aussi bondé comme le serait un marché dans un pays africain et je suis sans cesse distrait par la nécessité, par ailleurs, de rapporter un souvenir à mes parents, notamment du paprika. Finalement j’échoue tout à fait à me procurer un ticket pour mon retour, lesquels tickets sont beaucoup trop chers et peu nombreux, des voyageurs qui ont passé la nuit dans le hall de gare se les arrache à prix d’or dès l’ouverture des guichets et je suis contraint de remonter dans le car pour retourner vers la petite cité balnéaire, d’où je viens et où, en fait, habitent mes parents. Le voyage du retour est très beau, il y a un peu moins de monde dans le car, et j’engage la conversation avec deux familles qui sont dans la même situation que la mienne d’absence de ticket pour le retour, notamment une famille qui a un enfant autiste et qui me parle du parcours de leur enfant, de ses difficultés et d’un film qu’ils ont tourné avec d’autres familles concernées par le handicap mental. Nous passons par de très beaux paysages de plaine qui ressemblent au Vexin, pour certains passages de cette très belle route, le car monte sur des rails comme pour des montagnes russes avec des virages très relevés, ce qui m’amuse fort. De temps en temps je prends quelques photographies qui sont toutes réussies, par exemple, sur le bas-côté de la route, des enfants qui s’amusent à rouler en vélo dans de grands flaques de pluie, le tout à contre-jour parfaitement débouché, en revanche je me fais la réflexion que j’ai déjà pris mille fois de telles photographies et qu’il est vraiment temps que je passe à autre chose, par exemple je devrais m’interdire de prendre des photographies de route. De retour chez mes parents je m’ouvre de mes difficultés pour le retour et ils ne me proposent aucune aide, sauf à me conduire au car le lendemain et, de fait, je me fais du souci que le lendemain ce ne sera pas plus facile de me procurer un ticket, je dois réfléchir à une stratégie pour ne pas échouer le lendemain, comme par exemple de prendre le premier car du matin pour avoir une chance d’arriver un peu avant l’ouverture des guichets et si cela ne suffit pas, de passer la nuit suivante sur place, il y a donc encore de l’espoir en me débrouillant tout seul. Le soir, je mets à profit cette dernière soirée inescomptée, ce qui fâche mes parents qui pensent que je devrais au contraire en profiter pour me coucher de bonne heure et non, sans cesse, tirer sur la corde de profiter de toutes les occasions pour satisfaire ma curiosité, et donc, je sors et je retombe fortuitement sur la famille avec son enfant autiste, qui m’invite à venir voir le film qu’ils ont réalisé, et dont ils ont obtenu que justement il puisse passer dans le cinéma de cette petite ville. La dernière scène du film est très belle et très mystérieuse, elle se passe sur une plage très plate à la mer immobile, une vraie mer d’huile, tout est filmé légèrement sous-exposé – un peu comme du polaroid, façon Corinne Mercadier − et des enfants autistes sortent de l’eau comme s’ils débarquaient, − et là on dirait des photographies, légèrement sombres et sous-exposées, de Robert Capa le jour J. en Normandie − il y des effets de doublage saisissants, on a le sentiment que ces enfants tiennent des discours très savants et très philosophiques à propos de l’altérité et du temps, mais on comprend que c’est doublé parce que les voix sont des voix déliées d’adulte, parmi lesquels je reconnais celle, éraillée, et donc pas du tout enfantine, de Gilles Deleuze. Au générique je découvre que le film a été produit par l’ancienne principale du collège d’Émile que je rencontre à l’occasion du débat d’après cette projection et auprès de laquelle je suis obligé de manger mon chapeau et de faire amende honorable, elle n’est la perverse polymorphe que je croyais qu’elle était. Mais quand même cela m’embête beaucoup parce que j’ai fini d’écrire le chapitre des Salauds la concernant et je me demande même si ce n’est pas déjà parti chez l’imprimeur.