• Le nombre d’emplois vacants en augmentation,
    LE MONDE | 19.12.2017 à 13h00 • Bertrand Bissuel
    http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/12/19/le-nombre-d-emplois-vacants-en-augmentation_5231914_823448.html

    Selon Pôle emploi, sur une année, quelque 300 000 propositions de poste ne trouvent pas preneur.

    Jusqu’à présent, il ne s’agissait que d’un ressenti du monde patronal, exprimé dans des discours ou à travers des données parcellaires. Désormais, il existe de nouveaux chiffres qui permettent d’avoir une vision globale et de cadrer un peu le débat. Selon une étude diffusée, mardi 19 décembre, par Pôle emploi, le nombre de projets d’embauche auxquels les entreprises renoncent, faute d’avoir trouvé un candidat, atteint des niveaux non négligeables : de l’ordre de 200 000 à 330 000, sur une année. Le phénomène s’avère toutefois modeste – voire résiduel – si on le compare au volume total de contrats de travail. Autant de statistiques qui tombent à point nommé, à l’heure où s’engage une réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle qui vise précisément à mieux ajuster l’offre de main-d’œuvre aux besoins des employeurs.

    L’enquête de Pôle emploi porte « sur un échantillon d’établissements » ayant déposé une offre « clôturée » au cours du premier trimestre 2017 – soit un panel de « réponses exploitables » émanant de quelque 9 000 sites. Les informations recueillies sur cette base ont ensuite été extrapolées à l’ensemble des petites annonces remises à l’opérateur public, sur douze mois.

    Premier enseignement : parmi les 3,2 millions d’offres déposées à Pôle emploi en une année, 90 % d’entre elles (soit 2,9 millions) « ont été pourvues ». Dans la moitié des cas, le patron est parvenu à ses fins « en moins de trente-huit jours ». « Près de six mois après » l’intégration du salarié, 92 % des employeurs se déclarent « très satisfaits ou assez satisfaits ».

    S’agissant des quelque 300 000 propositions de poste qui n’ont pas trouvé preneur, près d’un tiers correspondent à des « annulations en raison de la disparition du besoin (perte d’un marché ou d’une commande) ou du manque de budget » ; on compte par ailleurs 17 % d’offres « pour lesquelles le recrutement se poursuit ». Le solde (environ 150 000 offres) représente les projets d’embauche qui tombent à l’eau « faute de candidat » – soit 4,7 % des petites annonces adressées à Pôle emploi ; les entreprises ont pourtant reçu des candidatures, dans presque neuf cas sur dix, mais bien souvent en quantité limitée (cinq au maximum).

    « Manque d’attractivité »

    Les raisons mises en avant par les entreprises pour expliquer l’échec de leur démarche sont diverses : la première, « pour 77 % des recruteurs », tient « au manque d’attractivité du poste » (« déficit d’image », rémunération jugée trop faible). Vient ensuite « la nature spécifique du poste », qui requiert une « technicité pointue » ou des « habilitations particulières » (ce facteur est cité par 71 % des employeurs ayant renoncé à leur projet). Puis sont évoqués « le manque d’expérience » (70 %), « le manque de motivation » (69 %), « le manque de compétences » (67 %), « le manque de diplôme ou de formation » (45 %).

    Les « abandons de recrutement faute de candidats » se produisent, à une écrasante majorité, dans le secteur des services (72 %). Les autres secteurs touchés sont le commerce (13 %), la construction (7 %) et l’industrie (6 %).

    Ces ratios ont été calculés à partir des propositions de postes transmises par des entreprises à Pôle emploi. L’opérateur public a cherché à aller plus loin, en évaluant le nombre total d’abandons de recrutements faute de candidats, « qu’il y ait eu dépôt d’offre ou non » auprès de ses services : ce chiffre oscillerait entre 200 000 et 330 000 sur une année. En 2015, c’était moins, lorsque cette recherche avait été conduite pour la première fois, mais les données ne peuvent pas être comparées, indique-t-on à Pôle emploi, car les méthodes d’enquête ne sont pas les mêmes. Tous ces ordres de grandeur doivent cependant être relativisés à l’aune de la masse imposante de contrats de travail conclus au cours d’une année (un peu plus de 42 millions, en incluant les missions d’intérim). En outre, une partie des recherches infructueuses concerne des postes de courte, voire de très courte durée, qui ne se seraient pas convertis en emplois pérennes. Et « l’abandon d’un recrutement, par une entreprise donnée, faute de candidat, ne fait pas disparaître pour autant le besoin économique, [si bien qu’]il se peut qu’un concurrent puisse y répondre », souligne l’enquête.

    Mais les difficultés rencontrées par les entreprises n’en sont pas moins réelles et sont surtout plus aiguës, depuis deux ans, du fait de la reprise économique, qui a entraîné une hausse des embauches (+9 % s’agissant des CDI et des CDD, entre le premier semestre 2015 et le premier semestre 2017). « Il y a des secteurs où l’on peine à trouver le personnel qualifié, témoigne Alain Griset, président de l’Union des entreprises de proximité (artisanat, commerce, professions libérales). L’alimentaire et le bâtiment sont les plus touchés. Ce n’est pas facile de trouver un bon couvreur ou un bon charpentier. »

    De son côté, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) a dressé le « top 10 des métiers dont le recrutement est jugé le plus difficile », en se fondant sur l’enquête « besoins de main-d’œuvre » (BMO), qui, elle, est réalisée tous les ans par Pôle emploi. Arrivent au sommet de cette hiérarchie les usineurs, les soudeurs et les chaudronniers, si l’on raisonne sur l’ensemble du territoire – les tensions dans chaque région, prise isolément, pouvant affecter d’autres professions (par exemple les ingénieurs et cadres d’étude en Ile-de-France).

    Ex-délégué général à la formation professionnelle et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Bertrand Martinot considère que « la statistique inquiétante porte sur les près de 40 % d’employeurs interrogés par Pôle emploi, dans le cadre de l’étude BMO, qui affirment avoir des “difficultés de recrutement” ». Ce pourcentage est atteint « alors même que le chômage est de 9,4 % », déplore-t-il.

    L’idée de résorber le stock d’emplois non pourvus est un vieux serpent de mer dans les politiques publiques. Plusieurs gouvernements ont cherché à s’y attaquer – dont ceux de Jean-Marc Ayrault (Le Monde du 21 juin 2013) et de Manuel Valls. Ce dernier en avait parlé lors de la conférence sociale d’octobre 2015. Avec des résultats mitigés, manifestement.

    #emploi #Pôle_emploi