« Concert amplifié » au Centre Bell : une mauvaise idée, dans le tapis

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  • « Concert amplifié » : une mauvaise idée, dans le tapis Le Devoir - Sylvain Cormier - 3 mars 2018

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    Les musiciens de l’Orchestre symphonique de Québec prennent place. Voici le chef David Martin, solennel, un peu croque-mort dans la démarche raide. L’orchestre démarre. Badaboum. Tagada. Tsoin-tsoin. Plein les oreilles. Stridence. Trop aigus, les cuivres, les vents.

    Bourdonnement. Trop brouillonnes, les basses. On comprend tout de suite : par « concert amplifié », on voulait dire « trop fort ». L’idée, c’est d’impressionner. Y a-t-il un micro par instrument et un sonorisateur dur de la feuille ? On peut le supposer. L’idée, c’est aussi de donner à entendre les « classiques du classique » à la manière d’un show rock. Beding bedang. Rentre-dedans, c’est pas de l’onguent.

    Évidemment, la nuance dans le maniement de la baguette ne s’entend pas beaucoup : c’est de la console que ça se décide, clairement (ou, plus exactement, confusément). Le premier mouvement de la Cinquième symphonie de Beethoven frappe comme un paquet de marteaux sur un paquet d’enclumes. L’artillerie lourde. Les bombes. La DCA. Pin-pon, pin-pon. Sonnez l’alerte. Les Alliés débarquent en Normandie. Mais non, il n’y a pas d’écran. C’est moi qui me souviens d’une scène dans Le jour le plus long, le film de Zanuck.
    À la fin de la pièce, pschuittttt ! Des jets de fumée (ou de vapeur) jaillissent. Deux secondes. J’espère qu’ils ne sont pas payés à la durée des effets spéciaux, ça ne fera pas cher de l’heure. Quand s’amène « la divine » Natalie Choquette (dixit le chef), c’est un peu plus équilibré : il ne faut pas l’enterrer, ce serait malpoli. Le chef annonce le « très touchant » thème de Roméo et Juliette de Prokofiev : c’est gentil de le préciser, comment aurait-on su autrement qu’il fallait s’émouvoir ? Évidemment, nous ne sommes pas des habitués des concerts classiques, il faut tout nous expliquer. Il ne suffit pas de nous assommer.

    En ce vendredi au Centre Bell, pour la seconde présentation de ce « concert amplifié » (jeudi soir, c’était au Grand Théâtre de Québec), on mesure l’ineptie du concept. Les courts moments d’effets spéciaux sont des corps étrangers. Des verrues plantaires sur des pieds bots. Du trop avec du trop, ça fait doublement trop. Enflure. Baudruche. Montgolfière. Imaginez des ballounes avec des pétards à mèche : le grand n’importe quoi.

    Stéroïdes en stéréo
    Pour dire les choses simplement : c’est une très mauvaise idée, ce spectacle. Une mauvaise idée dans le tapis. Musicalement, ça ne va pas : l’amplification dénature la dynamique naturelle d’un orchestre symphonique. Crac boum hue ! Les effets de show rock ne fonctionnent pas non plus : tout est gratuit, c’est même pas du show de boucane 101, rien n’est lié à ce qui se passe dans les pièces. Lesquelles n’ont pas grand-chose à faire ainsi accolées : il n’y a pas de logique autre que celle d’être des « morceaux connus ». Exemple d’effet : chaque musicien a au poignet un bracelet lumineux. On se croirait dans la foule au Festival d’été de Québec. Pas grand rapport avec la partition, mettons.

    Çà et là, des passages moins piétons rappellent que ces musiciens savent jouer quand ils en ont l’occasion. Ils font ce qu’ils peuvent, dans les circonstances. On compatit. On pâtit, aussi, mais bon, la compassion est plus grande que le ras-le-bol. Ils n’ont pas l’air à la fête : pas sûr que l’habillage rock leur sied. Peut-être aurait-il fallu, comme les Beatles lors de l’enregistrement de la folle séquence pour orchestre dans A Day in the Life, leur fournir de faux nez, perruques et autres objets forains : ils auraient été plus à l’aise.

    Et L’Heptade ?
    Qu’en est-il de la « suite » de L’Heptade, l’attraction première de la soirée, condensé du grand oeuvre d’Harmonium, réarrangement signé David Martin avec l’aide de Serge Fiori lui-même ? C’est la portion la plus comestible de ce gâteau à étages : la transposition pour orchestre ne tombe pas sur le coeur. On a de toute évidence fait un effort. Il y a une part de création. Un respect des modulations d’origine. Et un certain goût dans les éclairages. Ça n’éclabousse pas pour éclabousser, sauf quand Natalie Choquette vient se mêler de Comme un sage. Il aurait fallu demander à Monique Fauteux, qui aurait permis un véritable lien avec Harmonium.

    Ce n’est quand même pas long, sept minutes mémorables sur une interminable heure et demie. Surtout quand c’est suivi, je vous le donne en mille, du Boléro de Ravel. Avec de petites ampoules qui scandent le rythme, une ampoule par lutrin. Ça alors, la trouvaille ! On est éblouis, vous pensez bien ! Un peu plus et on avait droit au cochon volant de Pink Floyd… La question monte comme un cadavre ayant trop séjourné dans l’eau : comment diable a-t-on pu s’imaginer que le volume suffit à compenser une telle absence d’imagination ? Navrante, consternante expérience.

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