Une réforme pour mieux combattre les chômeurs

/une-reforme-pour-mieux-combattre-les-ch

  • Une réforme pour mieux combattre les chômeurs - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2018/03/21/une-reforme-pour-mieux-combattre-les-chomeurs_1637871

    D’ici la fin du premier trimestre 2019, trois fois plus de personnes seront chargées de chasser les fraudeurs, on multipliera par deux les peines encourues en cas de recherche insuffisante d’emploi... les sanctions pleuvent contre les plus faibles.

    Dans nos temps d’inégalité croissante, tous ces faibles, ces pauvres et ces exclus sont bien difficiles à supporter. Pour bloquer le réflexe empathique qui pourrait nous faire souffrir à leur contemplation, le plus simple est de ne pas les voir comme des victimes, mais plutôt comme responsables de leur situation. Ils l’ont bien cherché ! Comme le disait fort bien un député LREM, « l’immense majorité » des SDF dorment dans la rue « par choix ». Les exilés sont des clandestins ou des trafiquants, voire, parfois, des terroristes. Et les #chômeurs sont donc des fainéants ou des fraudeurs, voire des vacanciers amateurs de Bahamas comme le suggérait un autre député LREM. Tous ces gens ne méritent pas notre compassion, mais une bonne punition.

    La logique vaut pour tout ce qui est faible, avec des nuances, naturellement, selon le degré de faiblesse. Les ordonnances de septembre avaient pour but de dynamiser les salariés trop mous, incompétents ou rigides, en flexibilisant l’#emploi. Une bonne loi de répression contre les exilés est en préparation. Et, en même temps, conformément à la logique des temps, on prévoit d’accroître les sanctions subies par les chômeurs. Lutter contre le #chômage est bien difficile. Alors pour vivre heureux, luttons plutôt contre les chômeurs.

    De la misère à l’exclusion

    Pour comprendre ce qui est à l’œuvre, une petite comparaison s’impose. En droit du travail, le salarié qui commet une faute encoure une sanction disciplinaire. Celle-ci doit être précédée par un minimum de procédure contradictoire et notamment par un entretien préalable. La faute doit être prouvée par l’autorité qui sanctionne. Les amendes et autres sanctions qui viendraient ponctionner le salaire sont interdites. Et la sanction doit être proportionnée à la faute commise. En droit du chômage, aucune de ces protections n’existe. Le chômeur n’est pas un salarié. Il est bien plus bas dans l’échelle sociale et donc, il ne mérite pas de tels égards. Selon le droit actuel, la faute est présumée : c’est au chômeur de prouver qu’il a bien été diligent dans sa recherche d’emploi (alors que l’art de se préconstituer des preuves n’est pas à la portée de tous, loin s’en faut). Les #sanctions encourues sont pécuniaires. Et une faute même minime, comme un retard à un entretien ou un coup de fil raté (1), peut vous priver de revenus.

    Lorsque l’on sait que plus de 40% des chômeurs indemnisés perçoivent moins de 1 000 euros par mois (2), la perte d’un demi-mois d’allocation (ce qui est actuellement la peine la plus faible encourue), suffit généralement à ruiner un difficile équilibre tenu à force de privations et de budget calculé aux centimes. Et ce passage de la misère à l’exclusion est possible pour un rendez-vous raté, voire pour un retard. Entre la faute et la sanction, il n’y a pas de proportion. Et cette sanction peut tomber sans même que vous ayez été convoqué à un entretien préalable. La procédure est réduite à l’envoi d’une lettre à laquelle il convient de réagir dans les quinze jours… Ainsi, seuls les plus dynamiques et les plus forts ont en pratique la possibilité d’être entendus pour tenter de se défendre. Ceci est le droit actuel. Objectivement, il est déjà d’une brutalité inutile et même scandaleuse.

    Chasser les fraudeurs

    Mais peu importe l’objectivité. Seuls comptent les sentiments. Et ceux-ci nous ordonnent de sanctionner davantage les plus faibles, donc les chômeurs. C’est une cause entendue, depuis longtemps. Et, une fois de plus, nous sommes face à un gouvernement qui entend montrer sa sévérité à leur égard. On nous annonce un triplement des personnels chargés de chasser les fraudeurs d’ici à la fin du premier semestre 2019, une multiplication par deux des peines encourues en cas de recherche insuffisante d’emploi et une individualisation plus grande des pressions faites sur les chômeurs au travers d’une redéfinition de l’« offre raisonnable d’emploi ».

    De petites contreparties à ces importantes régressions sont certes prévues. Quelques milliers de démissionnaires capables de présenter un projet dûment validé par les autorités compétentes pourraient bénéficier d’une allocation. Et certaines peines actuelles, absurdes ou inappliquées, pourraient être réduites (3). En échange, la chasse aux quelque trois millions de chômeurs actuellement indemnisés sera plus intense que jamais. On aurait préféré qu’une détermination similaire inspire la lutte contre la fraude fiscale des plus riches, dont le coût est d’un ordre de grandeur bien plus grand que la « fraude » commise par les chômeurs déprimés ou découragés. Mais ce serait oublier que les plus fortunés sont, eux, présumés méritants, dynamiques, utiles…

    (1) Un rapport spécifique sur « La gestion de la liste des demandeurs d’emploi/Les radiations » du médiateur national du Pôle Emploi de janvier 2013 compte 7% des directeurs d’agence qui reconnaissent procéder à des radiations pour simple retard à un entretien et 44 % qui reconnaissent radier des listes pour absence de réponse à un entretien téléphonique.
    (2) Chiffres du Pôle Emploi, mars 2017.
    (3) En cas de retard ou d’absence à un rendez-vous au Pôle Emploi, la peine encourue pourrait être réduite à un demi-mois sans revenu (ce qui est déjà énorme), au lieu de deux mois actuellement.

    Emmanuel Dockès professeur à l’université Paris-Nanterre

    #travail #libéralisme #pôle_emploi

    • Lutter contre le #chômage est bien difficile. Alors pour vivre heureux, luttons plutôt contre les chômeurs.

      et

      On aurait préféré qu’une détermination similaire inspire la lutte contre la fraude fiscale des plus riches, dont le coût est d’un ordre de grandeur bien plus grand que la « fraude » commise par les chômeurs déprimés ou découragés. Mais ce serait oublier que les plus fortunés sont, eux, présumés méritants, dynamiques, utiles…

      #chomage