Une tenue jaune qui fait communauté

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  • Une tenue jaune qui fait communauté - A Contretemps, Bulletin bibliographique
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    Une tenue jaune qui fait communauté
    samedi 29 décembre 2018
    par F.G.

    ■ Au point où nous en sommes de ce mouvement des Gilets jaunes, aussi effervescent que contagieux, rien ne laisse penser que, par un effet magique, la « trêve des confiseurs » participera davantage de son épuisement que la stigmatisation médiatique et la répression juridico-policière auquel il fut soumis depuis ses origines. Des signes semblent indiquer, au contraire, que, par sa forme même, cette irruption soudaine de colères conjuguées soit sur le point de rendre la multitude sinon ingouvernable, du moins incontrôlable : initiatives diverses partagées localement, pratiques d’auto-organisation immédiates, ciblage intelligent des objectifs à bloquer, « zadisme » diffus, tissage informel de résistances diverses, dépassement permanent des intentions premières [1]. Quoi qu’il en soit de son évolution, globalement indéchiffrable à cette date, ce mouvement de belle ampleur a déjà bouleversé quantité de schémas théoriques auxquels s’accrochent encore, mais sans prise réelle, les invariants « classistes » du champ politique de l’anticapitalisme dit radical. L’article que nous insérons ici, émanant de Temps critiques – qui, depuis le début de ce mouvement, tente de saisir, jusque dans ses contradictions et ses insuffisances, ce qui s’y joue d’essentiel pour l’avenir – s’accorde, pour l’essentiel, à notre démarche et aux conclusions provisoires que, pour l’heure, nous tirons de cette sécession diffuse « qui fait communauté ».– À contretemps.

    Le mouvement des Gilets jaunes semble confirmer une rupture du fil historique des luttes de classes. Elle avait déjà été amorcée mondialement par les printemps arabes, le mouvement Occupy et les mouvements des Places qui tous avaient placé en tête des mobilisations des revendications ou des demandes touchant les libertés, l’égalité, les conditions de vie en général ; l’emploi plus que les conditions de travail. C’est aussi pour cela que ces mouvements s’adressaient bien plus à l’État qu’au patronat, dans la mesure où le processus de globalisation/totalisation du capital conduit les États à gérer la reproduction du rapport social au niveau territorial, mais en restant dépendant des exigences de la globalisation.

    En France, la force de résilience du mouvement ouvrier traditionnel avait encore maintenu cette idée de lutte de la classe du travail contre le capital. Au printemps 2016, la lutte contre la réforme du droit du travail et des statuts poursuivait encore sur la voie « la classe ouvrière avant tout » sans obtenir de résultats tangibles. Quelques années auparavant, les regains de mobilisation engendrés par le mouvement des Places n’avaient pas permis un rebond effectif, car ce dernier avait vite privilégié le formalisme des assemblées au détriment des contenus de la lutte. Une lutte qui semblait avoir trouvé un alliage plus prometteur au sein du mouvement espagnol, avec le débordement du mouvement des Places vers les solidarités de quartier en lien avec les problèmes de logement.

    Dans toutes ces luttes, y compris dans le cas de la lutte contre la loi-travail, la question de la grève générale ou celle du blocage de la production à partir des usines n’a pas été posée, de même qu’elle n’est pas posée au sein du mouvement des Gilets jaunes. Dans ces conditions, conjuguer la poursuite des occupations de ronds-points avec des appels à la grève des salariés relève d’une fiction de « convergence des luttes » ou alors de l’idée dépassée que le blocage des flux de marchandises serait secondaire par rapport au blocage de la production des marchandises elles-mêmes.