• Recherche ou enseignement : faut-il choisir ?
    Par Laure Endrizzi - Chargée d’étude et de recherche au service Veille et Analyses de l’Institut français de l’Éducation (IFÉ)
    mars 2017

    Depuis vingt ans, une littérature abondante alerte périodiquement l’opinion publique sur la crise que traverse l’université et signale notamment le déclin de la profession académique. Du fait de la massification des effectifs étudiants et de l’essor de la société de la connaissance, les privilèges plus ou moins symboliques attachés aux activités des enseignants-chercheurs seraient remis en cause. Ce déclin porterait à la fois sur le statut socio-économique et sur le travail académique : perte d’exclusivité dans la production du savoir et compétition croissante avec d’autres espaces scientifiques, publics ou privés, dans un marché internationalisé d’une part ; tensions nouvelles associées à l’enseignement, imposant des réflexions sur la manière dont les étudiants apprennent et des refontes curriculaires au bénéfice de savoirs plus utiles d’autre part (Enders, 1999).

    En France comme ailleurs en Europe, les universités ont considérablement évolué ces dernières années (Rey, 2005). Alors que depuis 2010, les politiques nationales en faveur de la recherche et de l’innovation ont connu un essor important, en particulier via les programmes d’investissements d’avenir (PIA), les universités, soumises à des injonctions contradictoires (devenir autonomes sans maitriser les recrutements de leurs personnels, ni de leurs étudiants, tout en se regroupant au niveau territorial pour peser dans la compétition internationale), cherchent leur équilibre. Deux grandes lois adoptées respectivement en 2007 (loi n°2007-1199 relative aux liber-tés et responsabilités des universités, dite LRU) et en 2013 (loi n°2013-660 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite ESR) traduisent les enjeux qui pèsent actuellement sur les universités et les tensions entre deux référentiels : qualité de la recherche et qualité de l’enseignement. Depuis 2007, avec le plan « Réussite en licence », des pressions pour un engagement pédagogique accru des universités et de leurs personnels s’exercent en effet à différents niveaux. L’amélioration des procédures d’orientation, le continuum secondaire-supérieur et la simplification de l’offre de formations, au cœur de la loi ESR, pré-figurent un nouveau rapport à l’enseignement et de nouvelles formes de rapprochement entre lycée et universités. Parallèlement, la recherche est devenue au fil des réformes la préoccupation dominante des présidences, au vu des gains de prestige et des financements qu’elle procure ou est susceptible de procurer. Le sentiment que le travail académique s’organise de plus en plus autour d’exigences plus bureaucratiques que scientifiques prévaut, alors que les regroupements territoriaux semblent impuissants à faire émerger des universités fortes au niveau mondial et que les écarts entre les établissements ne paraissent plus pouvoir être ignorés.

    Dans quelle mesure ces évolutions affectent-elles les hiérarchies et les corporatismes professionnels ? Existe-t-il une culture professionnelle commune liée à la production et la transmission de connaissances, ou bien l’université est-elle désormais constituée d’une collection d’individus entrepreneurs ? La figure privilégiée du mandarin a-t-elle laissé la place à d’autres figures idéales-typiques telles que celle du professionnel exerçant en libéral ou bien celle de l’employé effectuant un travail de routine ? La profession académique tend-elle à se dissoudre dans une kyrielle de métiers aux contours flous ? Les liens à la fois symbolique et fonctionnel entre recherche et enseignement, revendiqués par toute la profession, sont-ils en réalité définitivement perdus ?

    Ce dossier propose d’aborder ces questions à la lumière de quelques travaux de recherche récents sur la profession académique. Une première partie s’intéresse à l’évolution des missions dévolues aux établissements d’enseignement supérieur et aux processus de différenciation qui revisitent le modèle de l’université humboldtienne du XIXesiècle. Une deuxième partie analyse la diversification des modes d’entrée dans la carrière académique et la structure française des emplois scientifiques et pédagogiques. La troisième partie porte sur le travail académique et les asymétries fonctionnelles liées aux tâches de recherche et d’enseignement, et examine les facteurs influençant l’orientation différenciée des activités

    https://edupass.hypotheses.org/files/2017/05/116-mars-2017.pdf