Corona Chroniques, #Jour44 - davduf.net

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    Il est 19h36, Édouard Philippe tient le perchoir, comme un bientôt souvenir. Depuis maintenant plus de trois heures trente, l’Assemblée assemble ses discours — ils disent débat mais s’applaudissent, ils disent démocratie mais swipent en attendant leur tour de porte-parole ou de portefeuille ministériel — cette Assemblée qui nationalise nos attentions dans un alignement parfait de médiocrité et de mensonges parfaits : un dénommé Gilles Legendre remercie le chef du gouvernement de parler avec « le même principe de vérité et de transparence avec nous » qu’avec le peuple « depuis le début de cette crise » — et l’on songe, immédiatement, aux confidences de l’ancienne ministre de la Santé, démissionnaire d’avant l’Épreuve : « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections municipales n’auraient pas lieu. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. »

    Entre deux députés, la petite télé en fenêtre incrustée sur l’ordinateur laisse échapper son inconscient, et son inconscient laisse échapper ce que le gouvernement ne peut tout à fait dire (c’est le jeu d’idiot utile auquel s’adonnent éditorialistes et politiques depuis des lustres, ils se nourrissent plus sûrement qu’ils ne se contredisent et, en période de crise, plus que jamais) : ce 11 mai à venir, censé être celui du #déconfinement, est « une libération sous condition » (Anna Cabana, BFM TV, spécialiste de la spécialité). Avec des régions au régime de semi liberté, donc, en rouge, en vert, une double peine qui s’annonce plutôt, nouvelle infantilisation de nos destins, sommés que nous sommes d’attendre et de nous taire, alors qu’on pressent tous ce qui se passe : rien, il ne se passe rien. Juste des empoignades. Pour faire les grands.

    Et puis, il est 19h37, l’heure des braves, quand la journée se termine, une de moins au cauchemar de nos coronas ; quand on se dit qu’il va bientôt être temps d’actionner le CTRL-W et fermer ce soupirail à pixels ; cette heure où l’on n’attend plus rien de nos attentes mais où, soudain, Edouard Philippe, d’un ton las, et exténué, de ses grands bras secs, se fait petit, se fait comme nous, impuissant, et seul, à lire ses notes, à dire qu’il va répondre à ça, et puis non, et puis à ça, et qu’il finit par lâcher lunettes et superbe : « Je choisis entre de mauvaises décisions… »

    Ce n’est pas un lapsus, pas même un aveu, c’est plus sobre que le cynisme avoué mais pas pardonné d’une Agnès Buzyn : c’est un déconfinement à lui seul, une soupape de l’esprit et du corps, une façon de déchirer son attestation, et les mensonges. Qu’il ajoute, dans un rattrapage de bonne figure « …entre des décisions moins mauvaises que d’autres » n’y change rien, en baissant la garde, le temps d’une phrase, le premier des ministres vient de reconnaître que nos colères ne sont pas vaines.