• Édito : « Europe, dans le cœur du réacteur »
    http://www.sudouest.fr/2015/06/07/europe-dans-le-coeur-du-reacteur-1943904-6057.php

    « Il faut comprendre que le #lobby le plus puissant ici, c’est l’Amérique du Nord elle-même. »

    L’épisode aura été à la fois passionnant et inattendu. A Bruxelles, j’ai eu la chance de participer à un long débat avec une vingtaine de confrères accrédités auprès de la Commission européenne. Il y avait là des Français, des Allemands, des Britanniques, des Américains et même une impétueuse consoeur venue d’Albanie et naturalisée belge. Tous ces journalistes avaient en commun d’avoir choisi de suivre la construction européenne et, pour cela, de s’installer à Bruxelles. Ils sont depuis des années dans le cœur du réacteur. Pro-européens au départ, ils ne peuvent être taxés d’euroscepticisme ou de populisme. A plusieurs reprises, ce jour-là, ils ont tenu à nous affirmer qu’ils y croyaient encore.

    Admirable est la #foi ! Pourquoi ? Parce que, au fil des échanges, nos confrères, parlant sans détour, nous ont décrit un univers kafkaïen, opaque, bureaucratique, corseté par un fonctionnement étouffant et procédural.

    Les conférences de presse, par exemple, sont si minutieusement codifiées qu’elles n’ont plus beaucoup de sens. Les porte-parole ne répondent aux questions des journalistes que s’ils y ont été expressément autorisés, par écrit. Même dans ce cas, dès qu’une actualité un peu plus chaude est en jeu, le porte-parole se contentera de lire le texte écrit que sa hiérarchie lui a préparé.

    Ce qu’à l’échelon national nous appelons #langue_de_bois acquiert à #Bruxelles une opacité plus impénétrable encore. Le formalisme et le culte du secret paraissent avoir peu à peu asphyxié le fonctionnement de cette #Commission_européenne censée incarner, aux yeux du monde, la #démocratie vivante du Vieux Continent et l’Etat de #droit. C’est fou !

    Prenons un tout petit exemple, il parle à lui tout seul. Le nombre de journalistes accrédités auprès de la Commission était de 900 voici deux ou trois ans. Aujourd’hui, ce chiffre n’est plus accessible. Il a été classé top secret, pour de prétendues raisons de sécurité. Formule commode. En fait, tout laisse penser qu’il diminue chaque année, le projet européen perdant son attrait médiatique. Inutile de crier cela sur les toits.

    Nous avons débattu d’autres sujets, comme la puissance des #lobbies. Elle est indéniable à #Bruxelles. Elle court-circuite allègrement les logiques démocratiques de base, enlisées dans la pratique obligatoire du compromis. Alors que nous échangions à ce sujet, un confrère américain présent parmi nous est intervenu sur un ton amicalement rigolard :

    « Il faut comprendre que le lobby le plus puissant ici, c’est l’Amérique du Nord elle-même. »

    Devant notre surprise, il a renchéri en disant que les #Etats-Unis chaperonnaient avec vigilance l’Europe en devenir. « Vous ne le saviez pas ? » a-t-il ajouté.

    Une consoeur française a exprimé sans détour sa stupéfaction devant ce qu’elle entendait : « Ce que vous décrivez là, c’est une #dictature douce en construction. Ce n’est plus du tout une démocratie. » Tout le monde s’est récrié poliment, pour la forme.

    [...]

    Bref, en quittant cette confraternelle réunion, nous étions à peu près tous convaincus qu’un (possible) #naufrage était annoncé. Le pire n’est jamais sûr, je sais. Admirable est la foi, en effet …