• Louis-Georges Tin : « Comment faire France lorsque les héros des uns sont les bourreaux des autres ? »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/22/louis-georges-tin-comment-faire-france-lorsque-les-heros-des-uns-sont-les-bo

    Il ne s’agit pas d’effacer l’histoire. Les esclavagistes et les auteurs de massacres coloniaux doivent être enseignés mais non pas glorifiés, relève dans une tribune au « Monde » le président d’honneur du CRAN, soulignant le rôle des acteurs locaux pour identifier les noms posant problème et proposer des solutions.

    par Louis-Georges Tin

    C’est cela la République, et les droits de l’homme. Emmanuel Macron fait semblant de croire qu’il s’agit d’« effacer » les traces de l’histoire. Mais qui demande qu’on les efface ? Evidemment, personne ; il faut plus que jamais enseigner cette histoire, par les programmes scolaires, par les musées, par les médias. Mais enseigner, ce n’est pas célébrer. Les esclavagistes et les auteurs de massacres coloniaux doivent être enseignés, et non pas glorifiés.
    Un musée de l’esclavage à Paris, « en guise de réparation »

    Or, nous faisons l’inverse : nous les enseignons assez peu, mais nous les célébrons énormément. Il y a en France des centaines de rues, d’avenues portant le nom de Gallieni, mais combien de Français savent que ce général, auteur de la « politique des races », a organisé des massacres en Indochine, au Soudan français et à Madagascar ? En ce sens, la statue de Colbert devant l’Assemblée devrait d’urgence être placée dans un musée. Et nous avons justement obtenu de la mairie du Paris un engagement à faire un musée de l’esclavage à Paris, « en guise de réparation ».

    Comment comprendre que celui qui a préparé le Code noir et construit la Compagnie des Indes, de sinistre mémoire, puisse siéger devant l’Assemblée ? Il était l’ennemi de la liberté, l’ennemi de l’égalité, l’ennemi de la fraternité, et sa statue trône devant l’Assemblée, symbole de la République ? Il y a là une contradiction inacceptable. Par ailleurs, même d’un point de vue conservateur, il est certain qu’il sera de plus en plus difficile de faire l’unité nationale quand le président lui-même apporte son soutien à des statues d’esclavagistes.

    Et quand il affirme que « la République n’effacera aucun nom », il convient de lui rappeler qu’il n’est pas la République à lui tout seul. En réalité, ce sont des autorités locales qui peuvent prendre des décisions, pas lui. Or, quoi qu’en pense Emmanuel Macron, c’est précisément le débat lancé par les associations, en France et ailleurs, qui a permis de mettre sur la place publique un certain nombre de faits historiques que seul un petit nombre de personnes connaissaient jusqu’alors.

    Pire encore, en affirmant qu’ils œuvrent à une « réécriture haineuse ou fausse du passé », le président a pris le risque de mettre de l’huile sur le feu. Qu’on ne soit pas d’accord, certes ; mais en quoi le fait de demander que la statue de Colbert aille dans un musée compte tenu de ces crimes constituerait une « réécriture haineuse ou fausse du passé » ? Par ses réactions excessives, une fois de plus, le président Macron attisera sans doute les haines qu’il cherchait à justement à apaiser.

    #Racisme #Histoire #Education