Dix forêts pour un trèfle – sur JVLIVS du rappeur SCH | AOC media

/dix-forets-pour-un-trefle-sur-jvlivs-du

  • Dix forêts pour un trèfle – sur JVLIVS du rappeur SCH | AOC media
    https://aoc.media/critique/2021/05/31/dix-forets-pour-un-trefle-sur-jvlivs-du-rappeur-sch

    La trilogie JVLIVS, dont vient de paraître le deuxième volume, s’inscrit dans la lignée des concept-albums. Le rappeur SCH y revendique son goût pour la narration et relance la forme ancienne de la fiction mafieuse. Les phrases chargées comme de la poudre transmuent ce cocktail musical en nouvel avatar du film noir. Promenade en sept punchlines dans un triptyque en passe de devenir un monument poétique.

    • Thème parmi d’autres dans le rap des années 90, d’ailleurs plutôt décrié (« l’argent pourrit les gens », chantait NTM), l’enrichissement est devenu le but avoué de la nouvelle école, devenant le moteur même de la création (« je fais plus de € à chaque lettre sur ma feuille », affirme Ademo dans Naha de PNL) et la raison de vivre ultime, quoique sans doute ironique, de la pop dite urbaine – on se souvient du succès de « Aristocrate » de Heuss l’Enfoiré, l’un des tubes de 2019, qui questionnait en vocoder « Mais elle est où la moulaga ? », vite suivi par « La kichta » (la liasse), en duo avec Soolking.

      SCH, qui a désormais « mis la pharmacie en gérance », dépasse la blague : l’enrichissement est devenu automatique, version sonore et mafieuse du trading haute fréquence. Économie virtuelle, économie réelle, « argent propre argent sale », les flux circulent dans le grand Marché noir qui donne son titre au tome 2.

      Déjà, dans Facile sur le tome 1, le gangster convertissait l’argent en une liste de marques de luxe : la richesse est aussi symbolique. Symbolique à double tranchant : « Ça fait chuter le prix du mètre carré » souligne le rappeur dans Fournaise à propos du trafic et des grosses cylindrées : l’économie parallèle a des incidences sur le cours du foncier.

      Car SCH parle depuis le début de cocaïne très pure – métaphore canonique de la musique que dealent les rappeurs. Ironique encore, quand on sait que la musique « urbaine » est celle qui se vend le mieux depuis plusieurs années en France, alors même qu’elle est boudée par le circuit des honneurs télévisuels, tourné vers la variété.

      L’économie est aussi incarnée par les containers EVP, cette fameuse figure de la mondialisation dont SCH a fait l’objet de sa com’ : chargés sur un cargo, soulevés dans les airs sur le port de Marseille dans le clip de Gibraltar qui annonçait l’album, lequel finit, dans le bonus Fantôme, à Rotterdam. La richesse, métaphorique ou réelle, s’incarne dans ce qui circule – figuration d’un monde résumable à son infrastructure logistique.

      Pour la sortie du disque, les mêmes containers floqués au nom JVLIVS ont été livrés dans la nuit devant les grandes gares de France (en partenariat avec la plateforme de streaming Deezer) : comme si la fiction narrative qui structure l’album s’invitait dans le paysage réel. La musique comme marchandise ou le monde comme fantasme – un peu des deux.