• En #Pologne, la solidarité s’improvise au secours de #migrants « traités moins bien que des #animaux » - Page 1 | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/international/211121/en-pologne-la-solidarite-s-improvise-au-secours-de-migrants-traites-moins-

    À la frontière avec la Biélorussie, ils sont nombreux à s’engager pour sauver des vies. Simples résidents, activistes, médecins, juristes… ils ou elles agissent en réseau pour venir au secours des exilés refoulés par Minsk comme par la Pologne.

    Hajnówka (Pologne).– À l’origine, Grzegorz (prénom modifié) n’a pas grand-chose d’un activiste. Cet employé de la construction vivait jusqu’ici une existence tranquille, à l’orée des forêts de Podlachie en Pologne. Sauf que sa vie a basculé il y a quelques semaines, depuis que des réfugiés en provenance de #Biélorussie parcourent régulièrement les forêts non loin de chez lui. Et ce, même si les tentatives de #passage de la #frontière polonaise sont en baisse depuis qu’un camp de plusieurs milliers d’exilés du côté de la Biélorussie, formé le 8 novembre, s’est retrouvé déserté une semaine plus tard.

    « C’est vrai qu’il y a un peu moins de passages, mais il y en a encore », assure le trentenaire joint au téléphone. Grzegorz est de ceux qui pensent que la frontière doit être défendue, mais pas à n’importe quel prix. « Si les migrants sont déjà sur le territoire polonais, on ne peut pas les traiter comme des balles de ping-pong et les renvoyer en Biélorussie. Ça ne veut pas dire qu’ils doivent rester dans l’Union européenne, il existe des moyens civilisés de les renvoyer chez eux. En revanche, on doit mettre en place un système et leur permettre qu’ils reçoivent de l’aide. En lieu et place de cela, les migrants sont traités moins bien que les animaux en Pologne. D’ailleurs, on ne les enregistre nulle part », confie cet homme qui vit à proximité de Narewka et consacre désormais plusieurs heures hebdomadaires à la rescousse de réfugiés, sans disposer de l’aide psychologique nécessaire.

    En général, il se rend sur place après avoir reçu une géolocalisation de la part de bénévoles de Grupa Granica, un collectif qui aide les migrants en détresse en Pologne depuis août – soit le début de la crise migratoire qui touche la Pologne orientale. Parfois, Grzegorz se promène dans la forêt et rencontre par hasard ces exilés venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak… ou encore d’Afrique subsaharienne. « La plupart des migrants que j’ai vus passer étaient affamés, assoiffés, trempés, leurs téléphones étaient sans batterie, certains avaient laissé leurs chaussures dans les marécages… J’ai vu des hommes pleurer et forcément ça fait quelque chose. Le plus dur, c’est quand on n’a aucune nouvelle de ces personnes. Parce que, mine de rien, on s’attache. » Pour Grzegorz, tout a commencé à la mi-octobre, à la suite d’un refoulement dont il a été témoin.

    La Pologne pratique depuis le début de cette crise - orchestrée par le régime de Minsk – un refoulement quasi systématique des migrants qu’elle parvient à intercepter à sa frontière avec son voisin, qu’ils soient éligibles à une protection - ou non – au sein de l’Union européenne. Ces refoulements ont été légalisés en août par le biais d’une ordonnance du ministère de l’intérieur, ainsi qu’avec l’entrée en vigueur d’un amendement à la loi sur les étrangers, le 23 octobre.

    « Tout au début, j’ai rencontré une famille kurde. J’ai consenti à être leur représentant légal dans le cadre d’une demande d’asile. Les gardes-frontières sont arrivés, je leur ai tout expliqué. Ils m’ont promis que la famille serait conduite au poste des gardes-frontières pour y effectuer la procédure. Ça a été un choc quand ces Kurdes m’ont annoncé par messagerie qu’ils étaient en Biélorussie et qu’ils avaient froid et soif. »

    Au départ, le trentenaire ne connaît personne mais réussit rapidement à obtenir des provisions de la part d’un internaute, qui faisait une collecte sur le Web pour les exilés. Puis il entre en contact avec les divers réseaux d’aide aux migrants actifs en Podlachie, dans l’est de la Pologne, et estime depuis avoir assisté environ deux cents personnes en l’espace d’un mois. Le week-end du 13 novembre, Grzegorz vient même au secours d’un groupe de 80 personnes. « On n’avait pas assez de provisions, alors je suis passé au centre d’aide de Michalowo, là n’importe quel bénévole peut se ravitailler. »

    À Michałowo, près de l’école, c’est dans plusieurs conteneurs que des bénévoles de WOSP - une organisation caritative polonaise - se relaient toutes les douze heures depuis le 5 novembre. Et cette municipalité de 6 000 habitants fait figure d’exemple en matière d’aide aux exilés. « Cela fait trois mois qu’a commencé la crise migratoire à Michałowo », précise Konrad Sikora, adjoint au maire. « Cet été, nos pompiers ont aidé à extraire des migrants coincés dans un marécage. Les habitants aidaient déjà par ailleurs les migrants. Mais nous avons compris qu’il n’y avait pas de temps à perdre, que les températures chuteraient vite. L’ensemble du conseil municipal a ainsi donné son accord pour que Michałowo mette en place un centre d’aide pour migrants, inauguré le 4 octobre dans notre caserne de pompiers, continue le quadragénaire. Honnêtement, on n’a rien fait de spécial et ça ne coûte pas grand-chose. »

    Rapidement, les pompiers bénévoles des hameaux rattachés à la commune de Michałowo, dont celui de Jałówka, situé dans la zone d’état d’urgence, rejoignent le mouvement, laissant eux aussi la porte de leurs locaux ouverte aux réfugiés. Et les pompiers de la caserne municipale de Michałowo se sont mis à faire des maraudes tous les deux jours, à la recherche de migrants aux prises avec le froid, la faim ou une condition physique dégradée.

    L’aide des habitants comme celle de Grzegorz est d’autant plus cruciale que sur une bande de 3 km de large, le long de 400 km de frontière avec la Biélorussie, la Podlachie vit sous état d’urgence depuis le 2 septembre. Les médias comme les ONG n’y ont pas accès. Seuls les résidents peuvent y pénétrer en montrant patte blanche aux checkpoints. Quand l’état de santé des migrants s’avère précaire, ses habitants sont alors en proie à un dilemme cornélien : d’une part, les ambulances (seule institution médicale autorisée à accéder à la zone sous état d’urgence) sont escortées par les forces de l’ordre ; d’autre part, il n’est pas rare qu’après une hospitalisation, les gardes-frontières escortent les anciens patients à la frontière bélarusse.

    C’est pour venir en renfort des ambulances mais également agir en toute discrétion qu’a été formé en octobre « Médecins à la frontière », un collectif bénévole de médecins qui a dû abréger sa mission pour cause de vandalisme. Les professionnels de PCPM – une équipe d’intervention humanitaire polonaise qui a fait ses preuves dans le monde entier – ont alors repris le flambeau. Mais ses médecins bénévoles se heurtent également à l’accès prohibé à la zone.

    Une chose est sûre cependant, si ce n’était cette solidarité mise en place à la frontière et les opérations de sauvetage pilotées notamment par Grupa Granica, où des bénévoles arrivent avec thé chaud, soupe, eau, vêtements, chaussures, couvertures thermiques, il y aurait eu bien plus de décès que la dizaine officiellement rapportée.

    « Je crains qu’il n’y ait bien plus de corps sans vie dans la zone d’état d’urgence notamment et dans les recoins marécageux. C’est ce que nous rapportent les résidents. C’est aussi pour cela que les autorités polonaises ont “besoin” de cette zone, pour mieux cacher ce qui s’y passe », ajoute Agata Kołodziej, employée d’Ocalenie, une organisation déployée sur le terrain hors zone d’état d’urgence et membre de Grupa Granica.

    À l’extérieur de la maison de Kamil Syller, une lumière verte scintille de nuit. Ce juriste, qui vit avec sa compagne et sa fille à quatre kilomètres de la frontière, a eu l’idée à la mi-octobre de signaler ainsi sa main tendue aux migrants, une initiative qui a été depuis répliquée dans toute la Pologne. « L’idée m’est venue lors d’une première intervention où j’ai vu des Médecins à la frontière sauver une femme en situation d’hypothermie. J’ai alors compris l’urgence de la situation », témoigne ce quarantenaire qui offre repas chaud, rechargement de téléphone, vêtements aux migrants toquant à sa porte. Lui et sa compagne partent également en expédition dans les forêts, équipés de ravitaillement, mais aussi de caméra infrarouge, afin de repérer toute personne sans force ou qui craindrait les forces de l’ordre.

    Bon tout de même hein, Grzegorz fait remarquer que : "il existe des moyens civilisés de les renvoyer chez eux". Ah bon ok...