« Jusqu’ici, nous ne parvenons pas à muer en espoir la colère des “fâchés pas fachos” » – Libération

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  • Ça fait toujours bizarre de lire le jeudi dans la bouche d’un député une partie des propos entendus le mardi en conférence de rédaction (moins l’enthousiasme, puisque la défaite était annoncée).

    https://www.monde-diplomatique.fr/audio/Podcast_diplo/2022-01-Episode_22.mp3

    Sur les limites de la stratégie « Terra Nova » qui cible la jeunesse progressiste de centre-ville et les quartiers populaires plutôt que la France des bourgs, la France Périphérique, François Ruffin : « Jusqu’ici, nous ne parvenons pas à muer en espoir la colère des “fâchés pas fachos” » https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere

    Dimanche soir, à la tombée des résultats et l’élimination, malgré les 21,95 %, de Jean-Luc Mélenchon, quel a été votre premier sentiment ?

    D’abord de la fierté, la fierté du chemin parcouru. Je me suis dit : l’histoire continue, le fil n’est pas rompu. Parce que, sans Jean-Luc Mélenchon, sans nous avec lui, après les années Hollande, après sa créature Macron, la gauche pourrait être liquidée, enterrée. Nous avons ramassé un drapeau en guenille, et regardez maintenant comme il brille. C’est cette fierté que j’ai éprouvée pendant toute la campagne, avec des milliers de personnes dans les meetings, des dizaines de milliers dans les marches : nous sommes là, debout. L’espoir demeure. En même temps, ce dimanche à 20 h 01, c’est « caramba, encore raté ! » Je ne veux pas qu’on devienne des perdants magnifiques. L’équipe de France de mon enfance, celle de Platini, Giresse, Tigana et compagnie, elle était pleine de panache, comme nous, elle faisait les plus beaux matchs, comme nous, mais à la Coupe du monde de 82, à celle de 86, deux fois elle échoue en demi-finale, et deux fois contre l’Allemagne. Quand est-ce qu’on va jouer la finale ? Quand est-ce qu’on va l’emporter ?

    Comment jugez-vous la campagne de Jean-Luc Mélenchon ?

    Notre campagne, je l’ai trouvée joyeuse, un peu à contre-courant de l’époque. Parce qu’après deux années de Covid, avec la guerre en Ukraine, ils nous veulent comment ? Abattus, déprimés, résignés, « restez chez vous », etc. Contre ça, Jean-Luc est parvenu à apporter de l’énergie. C’est un peu notre Johnny, qui vient redonner « l’envie d’avoir envie ».

    Lorsqu’on observe les cartes, on voit que Mélenchon est fort dans les grandes villes et les quartiers populaires. Mais beaucoup moins dans la France périphérique.

    Au fond, ça montre l’efficacité de la campagne. Parce que Jean-Luc s’adresse aux Outre-mer, il s’y rend plusieurs fois, et il est élu président de la Guadeloupe, de la Réunion, au premier tour ! Jean-Luc veut la jeunesse progressiste de centre-ville, celle des marches pour le climat, il met le paquet, et il les emporte largement avec lui. Jean-Luc veut les quartiers populaires, il se pose comme l’anti-Zemmour, et la gauche retrouve droit de cité dans les cités. Finalement, tous les paris de la campagne sont gagnés. La France périphérique, en revanche, celle des bourgs, n’apparaît pas comme une priorité. Et quand on regarde les statistiques issues des urnes, c’est là-dedans qu’on plonge : le vote Mélenchon fait 24 % en agglomération parisienne [+8 points comparé à 2017, ndlr]. Mais c’est 14 % dans les communes entre 20 000 et 100 000 habitants [-7 points]. Un coup d’œil à une carte du pays suffit : pour La France insoumise, une zone rouge autour de Paris. Le bleu foncé de Le Pen, en revanche, s’étend sur tout le Nord, le Pas-de-Calais, la Picardie, la Champagne, la Lorraine, 42 départements, et pour beaucoup des terres ouvrières. C’est là qu’on perd. Au-delà même de la gauche, ça pose une question sur l’unité du pays, ces fractures politico-géographiques : comment on vit ensemble ? Comment on fait nation, sans se déchirer ?

    Le tableau est comment dans votre circonscription ?

    Il offre quasiment un cas chimiquement pur. Sur Amiens, Mélenchon devance Macron, presque à égalité : le président domine dans le centre-ville, mais on cartonne dans les quartiers populaires, avec plus de 60 %. Sauf que, dès que tu t’éloignes de la métropole, à Flixecourt par exemple, qui est ouvrier pourtant, c’est la cata : Jean-Luc plonge à 15 %, Marine Le Pen grimpe à 44 %. Je le pensais déjà en 2017, je le disais : si on veut gagner, on doit aller chercher cette France-là. Le mouvement des gilets jaunes en a montré l’importance politique, il a rendu visible, audible, cette France si longtemps muette. Et à ma mesure, durant la présidentielle, je me suis efforcé de parler à ces périphéries, avec des réunions publiques à Carbonne, à Rochefort, à Epinal… mettant en avant des caristes, des auxiliaires de vie, des salariés de la sous-traitance. Mais à l’évidence, jusqu’ici, les « fâchés pas fachos » ne se tournent pas vers nous. Nous ne parvenons pas à muer leur colère en espoir.

    Mais Jean-Luc Mélenchon s’est adressé à eux ces dernières semaines…

    Ça réclame un travail de longue haleine. Pour les quartiers populaires, ça fait des mois, voire des années, qu’on leur parle, avec des thématiques où ils se reconnaissent, parfois clivantes, comme la police par exemple. Les campagnes populaires exigent le même effort, et en vérité, peut-être dix fois plus d’efforts, pour dix fois moins de rendement, parce que l’habitat y est éclaté, parce qu’un vote Le Pen s’y est ancré. C’est pour moi un objectif électoral, mais aussi moral : on ne peut pas les abandonner au Rassemblement national. On ne peut pas, par une ruse de l’histoire, laisser triompher la logique de « Terra Nova ». Je ne sais pas si vous vous souvenez ? En 2011, ce think tank proche du Parti socialiste recommandait une stratégie « France de demain », avec « 1. Les diplômés. 2. Les jeunes. 3. Les minorités ». Tandis que, pour les ouvriers-employés : « Le FN se pose en parti des classes populaires, et il sera difficile à contrer. » Sous-entendu, inutile même d’essayer. Nous devons, nous, essayer. C’est un impératif.

    Comment faire pour les convaincre ?

    D’abord, il faut en faire un objectif commun : est-ce que cette analyse, est-ce que ce constat est partagé ? Est-ce qu’on se dit, l’Union populaire, ce sont les quartiers populaires – qu’il faut garder – et les campagnes populaires – qu’il faut conquérir ? On doit d’abord le poser comme une priorité, ensemble. Sinon, il n’y a pas de stratégie possible. Ensuite, je pense qu’il faut écouter les gens, faire quasiment du recueil des doléances. On ne fait pas de politique en extériorité, sans porosité. Et peut-être que des thèmes inattendus surgiront. Je te donne un exemple : le numérique. Les candidats ne s’en sont pas saisis dans la campagne. Et pourtant, quand je fais mon boulot de reporter, on me cause de ça, spontanément, dans les bistrots, dans les mairies : à la CAF, à Pôle Emploi, aux impôts, il n’y a plus de guichets. Les gens doivent passer des heures à enregistrer des mots de passe sur Internet, à scanner leurs documents. Faire son dossier de retraite, avec la Carsat, c’est devenu la croix et la bannière. C’est ressenti comme une douleur par les habitants, ça les met dans un sentiment d’impuissance.

    Cette impuissance donne quoi concrètement ?

    Je vais utiliser des grands mots pour de petites expériences, mais je crois que pour eux, c’est la République qui s’éloigne, ça les met dans une souffrance anthropologique : ils n’échangent plus en humains avec des humains, mais avec des machines. Quand j’en parle dans mes meetings, aussitôt je suis applaudi. Parce que chacun a éprouvé la solitude du « tapez 1 », « appuyez sur la touche étoile ». Remettre des agents pour les gens, comment on fait un numérique humaniste, c’est une question à porter. Une parmi d’autres. Les déplacements, bien sûr. La valeur du travail. Leurs loisirs, à ne pas juger. Mais il y a un style, aussi, peut-être, au-delà des idées. Dans une étude, je lisais que les travailleurs de la seconde ligne ne se sentaient pas représentés. Peut-être que, en plus des mesures – le smic à 1 400 €, la retraite à 60 ans, le blocage des prix –, peut-être qu’on doit davantage les incarner, qu’ils sentent qu’on connaît leur vie, leurs conditions concrètes d’existence, qu’on sache en parler, que les candidats soient à leurs côtés, parmi eux.

    Faire comme Ruffin, en somme.

    Donc, pour être majoritaire, il faudrait unir dans le même bloc les quartiers populaires et les campagnes populaires ?

    Le débat est construit, évidemment, pour casser le bloc populaire. Entre jeunes et vieux, entre travailleurs et assistés, entre blancs, Arabes, noirs, et maintenant, même, entre vaccinés et non vaccinés. Ma conviction, mon pari, depuis vingt ans maintenant, c’est que la question sociale peut rassembler. Juste une anecdote. Durant mon mandat, la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, vient à Amiens. J’insiste, très fort, pour qu’elle rencontre des accompagnantes d’enfants en situation de handicap, et la préfecture accepte. On passe une belle heure d’échanges, et comme je connais par cœur, je me mets en écoute flottante. Je roupille à moitié, quoi. Et là, je me dis : ici, il y a Aline, Sandy, Hayat, Assia. Rien que par les prénoms, on perçoit les origines différentes. Ça fait un moment qu’elles causent, ça fait un an que je les filme, à aucun moment elles n’ont discuté de la nourriture à la cantine, de la taille de leurs vêtements, de leurs prénoms français ou pas. Non, elles ont discuté de leur travail, de comment elles peuvent gagner leur vie, de comment apporter un soutien aux enfants. C’est une parabole, à mon avis. Voilà ce qui les rassemble.

    C’est la stratégie à avoir aux législatives pour gagner un maximum de circonscriptions ?

    Franchement, je ne crois pas qu’une telle logique, inscrite dans le paysage, s’inverse en six semaines de campagne. Vraisemblablement, la France insoumise va se renforcer là où elle est déjà forte : dans l’ancienne banlieue rouge, dans les quartiers populaires des métropoles. C’est après qu’il faudra choisir : que vise-t-on ? Des bastions ? Ou se répandre dans les profondeurs du pays ?

    (…)

    • À 10’ du reportage sur la campagne de Ruffin à Flixecourt, ce dernier dit « L’union populaire et Jean-Luc, ils [sic]… » : « Y a pas eu de volonté de regagner la France des ronds-points, la France des gilets jaunes, parce que je pense que dans leur esprit c’était un pari qui était gagnant en plusieurs semaines, en plusieurs mois » https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/qui-l-eut-cru-la-nouvelle-vraie-gauche-arrive-deja-ruffin-repart-pour-un-tou https://la-bas.org/audio.api/free/aW5sYnM6Ly9mb2xkZXItNDI0MTkvbXAzLTQ3Ni81MzEzMC1wYWRfcmVwb3J0YWdlX2ZsaXhlY291cnRfMl8tX2ludGVncmFsZS5tcDM=/53130-pad_reportage_flixecourt_2_-_integrale.mp3

    • Bompard chez Regards http://www.regards.fr/actu/article/manuel-bompard-une-force-d-alternative-prete-a-gouverner-demain

      Fabien Roussel refuse d’être assimilé à la gauche des métropoles. Il rejoint en partie François Ruffin lorsqu’il dit : « On ne doit pas devenir la gauche des métropoles contre la droite et l’extrême droite des bourgs et des champs. » Est-ce la gauche qui a rompu avec les catégories populaires, ou les catégories populaires qui ont rompu avec la gauche ?
      S’il y a eu une rupture entre la gauche et les catégories populaires, c’est d’abord parce que sa dernière expérience au pouvoir a été vécue comme une trahison. Depuis lors, notre travail a plutôt permis de renouer des liens entre le peuple et la gauche. Jean-Luc Mélenchon est le premier candidat dans les villes les plus pauvres. Il est le candidat des jeunes, des chômeurs, des précaires, et fait des scores plus importants que la moyenne chez les ouvriers et les employés. Pour voir plus loin, il faut commencer par saluer ce bilan et ne pas se tromper sur l’analyse. Quand nous remportons trois circonscriptions en Haute-Vienne, deux en Dordogne, ou encore celle du département de la Creuse, il n’est pas question de métropoles… Et quand l’extrême droite remporte la circonscription des 13e et 14e arrondissements de Marseille, il n’y a pas beaucoup de bourgs et de champs sur ce territoire… La lecture géographique est une vue de l’esprit, qui fait abstraction de l’histoire politique des territoires, de leurs structures sociales comme du travail militant qui y est mené. Oui, le Rassemblement national progresse, et il progresse malheureusement partout. Certains territoires y sont davantage perméables par leur histoire et leur sociologie. Il faut donc le combattre partout. Mais si certains pensent que, pour y parvenir, il faut abandonner les banlieues populaires et renoncer à la dénonciation du racisme ou de l’islamophobie, alors nous avons un désaccord fondamental.

      Le PCF pense que la gauche s’est perdue en menant des combats qu’il juge légitimes – lutte contre les discriminations et les violences policières, féminisme, etc. –, mais au détriment du social…
      Je suis convaincu que ce que vous décrivez ici n’est pas l’orientation du PCF, dont de nombreux militants s’investissent dans ces combats. Mais c’est en effet ce que semble penser Fabien Roussel… Cela me paraît être un contresens total : la bataille pour l’égalité des conditions de vie ne peut pas être déconnectée de celle pour l’égalité de tous, quels que soient son genre, sa couleur de peau, sa religion ou son orientation sexuelle. Ce serait une grave erreur : la gauche n’a rien à gagner à mimer le Rassemblement national ou à masquer certaines batailles pour lui complaire. On ne gagne jamais sur le terrain des autres. Nous nous adressons à tous et nous disons : ces tentatives de division agissent comme des diversions. Le RN cherche à faire vibrer la corde identitaire. Nous voulons faire vibrer la corde sociale et convaincre que le problème, c’est celui de ceux qui se gavent !

    • François Ruffin : « La gauche doit être le camp du travail » | L’Humanité 07/09/2022 https://www.humanite.fr/politique/francois-ruffin/francois-ruffin-la-gauche-doit-etre-le-camp-du-travail-762479

      Comme point de départ de votre livre, vous avez choisi cette phrase que vous avez entendue de la bouche de plusieurs citoyens : « Je ne peux pas voter à gauche, je suis pour le travail. » Pourquoi vous fait-elle bondir ?

      Parce que la gauche, c’est le travail. Son histoire et celle du mouvement ouvrier le montrent. Mais chez nombre de gens ordinaires, beaucoup de ceux avec qui j’ai échangé, s’est ancrée l’idée que « la droite c’est le travail, la gauche c’est l’assistanat ». La droite a réussi à récupérer ce qu’ils appellent la « valeur travail », depuis Nicolas Sarkozy jusqu’à Emmanuel Macron. Ils célèbrent le travail pour mieux le malmener, avec l’idée qu’il faut travailler plus, tout en écrasant les salaires. Par ailleurs, pendant les campagnes, le principal obstacle que nous avons eu, ce n’est pas sur l’immigration ou la sécurité mais sur l’argument « moi je bosse et je n’ai le droit à rien, alors que d’autres touchent des aides » . Je ne veux pas qu’on ferme les yeux sur ce ressenti massif. Selon moi, il faut montrer qui sont les vrais assistés, les hyper-riches. Nous avons le devoir, à gauche, de reposer en permanence ce rapport capital-travail. Un clivage dans lequel nous serions dans le camp du travail et des travailleurs.

      Les élus et militants de gauche n’ont pas pour autant abandonné la défense des travailleurs…
      Non, d’ailleurs, dans nos programmes, beaucoup de mesures répondent en partie aux problèmes des salaires, de précarité des contrats, de pénibilité… Mais nous devons nous demander ce qu’il faut mettre en avant, ce qui convainc, rassemble. Je pense par exemple que la gauche ne porte pas assez la fierté du travail. De la même manière qu’elle avait héroïsé les métallos ou les mineurs dans l’après-guerre, dans la période post-Covid, on aurait pu héroïser le cariste, l’auxiliaire de vie sociale. On a un devoir de représentation. Il faut que les gens se disent « c’est eux qui parlent pour nous ». Ça veut dire aussi connaître leurs conditions concrètes d’existence, pour les transformer et que nos propositions trouvent un vrai écho.

      Vous faites dans votre livre un état des lieux des mutations du monde du travail, avec des salaires qui n’augmentent pas, des contrats précaires qui se multiplient, les pressions mises sur les travailleurs… Quelles réponses politiques peuvent être apportées ?
      La question est de savoir si on laisse la main invisible du marché tout régler. Or, elle produit l’écrasement du travail dans la durée. Cela a des effets individuels, avec un sentiment d’injustice pour les travailleurs, et collectifs, avec une désorganisation de la société. Aujourd’hui, nous manquons d’AESH dans les écoles, d’auxiliaires de vie sociale : parce que les gens sont fainéants ou parce qu’ils ne veulent pas travailler pour 700 euros par mois ? La République s’est fondée sur l’école mais on ne trouve plus d’enseignants et on recrute en job dating. Il faut refixer des règles communes sur le marché du travail. Sur les salaires, les conditions de travail, les contrats. Pour que le CDI soit la norme, par exemple, il faut régulariser les intérimaires qui en réalité ont des postes permanents, et décourager le recours aux autres contrats. Un contrat en CDD doit être payé plus cher, comme les heures tôt le matin ou tard le soir.

      Votre livre se conclut par l’idée de bâtir un « nouvel horizon commun », qui serait celui de l’impératif écologique. Quelles en seraient les conséquences pour le travail et les travailleurs ?
      Il nous faut passer du « vivre-ensemble », un peu stagnant, gnan-gnan, au « faire ensemble ». Et faire ensemble face au grand défi climatique, qui réclame beaucoup de travail, qui exige que chacun fasse sa part, trouve une utilité dans cette transformation. Encore une fois, ce n’est pas le marché qui va organiser la rénovation thermique, planter des haies, remettre en état les canalisations d’eau, créer des ateliers de réparation dans chaque canton, pour échapper au cycle de la production de consommation… L’État doit donc définir un certain nombre de besoins auxquels on sait que le marché ne va pas répondre. Puis diriger et canaliser les énergies, les moyens, les savoir-faire. C’est aussi un pari humaniste. Il faudrait presque recenser toutes les compétences qui sont aujourd’hui à notre disposition mais qui sont en déshérence, une richesse humaine qui peut exister dans les quartiers ou dans les campagnes et qui est délaissée. Qui sait bricoler, qui sait réparer, qui sait cuisiner ? Toutes ces compétences doivent pouvoir être utiles à la société. C’est aussi un moyen de créer de la dignité par le travail, ce qui est essentiel.

  • Leur société et la nôtre | Frédéric Lordon
    https://blog.mondediplo.net/leur-societe-et-la-notre

    « Évidemment ils se sont goinfrés comme des porcs ». « Ils », McKinsey. Le propos est « entendu de la bouche d’un homme au cœur du système ». On ne sait pas qui est l’homme. Mais on sait qui rapporte ses propos. C’est Jean-Dominique Merchet, éditorialiste bizarre, entendre : reconnu par la corporation « éditorialiste » quoique faisant souvent écart à sa ligne d’uniforme imbécillité. Ici la qualité du rapporteur rend plus difficile d’évacuer pour complotisme la véracité du propos rapporté — comme le ferait le premier Gilles Le Gendre venu ou le spécialiste du complotisme de France Inter. On tiendra donc pour raisonnablement assuré que : oui, comme des porcs.

    On le tiendra d’autant plus que la porcherie McKinsey n’est en fait qu’une réalisation particulière de la porcherie générale qui a pour nom présentable « capitalisme néolibéral ». Le capitalisme néolibéral est cette forme d’organisation de la société qui a pour effet de la mettre entièrement à disposition de la jouissance d’une poignée de porcs — rassemblés sous le nom présentable de « le capital ».

    • Choix de société

      À ce moment on repense à 1981, quand les uns anticipaient les chars russes sur la Place de la Concorde, et que les autres prophétisaient le passage des ténèbres à la lumière ou qu’on allait changer la vie. Déjà on parlait de choix entre des « modèles de société ». On connaît la suite. Mais cette suite n’empêche pas que les problèmes se posent en toute généralité. Ceux de la société que nous voulons, notamment. Un choix dont l’acuité d’aujourd’hui est sans commune mesure avec celui d’alors. Car depuis quatre décennies, le cauchemar s’est considérablement précisé. On devra d’ailleurs à Macron de l’avoir porté à un degré de clarté inédit. La porcherie va nous détruire, tous, hormis les partners et les hallucinés de la classe nuisible qui leur servent de base et voudront « y croire » jusqu’au bout du fantasme.

      Quant aux réfractaires, à ceux qui ne veulent ni devoir chanter leur motivation pour quémander leur servitude, ni finir en tourteaux dégraissés, et que la démocratie assistée façon McKinsey n’aura étonnamment pas réussi à convaincre, on connaît déjà le traitement qui leur sera réservé : police toute-puissante, surveillance intrusive, judiciarisation des contestations les plus anodines (2). C’est en ce point précis que, selon une expression si usitée de l’éditorialisme, « les extrêmes se touchent » — mais pas ceux auxquels il réserve usuellement cette jonction : non pas, donc, RN et FI (qui ne peut être qualifiée d’« extrême », et rapprochée de l’autre, que par des individus ayant perdu toute boussole politique), mais l’extrême de la Firme et l’extrême des fascistes, deux sortes de porcs si l’on veut, donc voués à se retrouver, au moins à se compléter. Car, en effet la fascisation de la société est le complémentaire naturel de sa firmisation.

      L’état d’atomisation et de déréliction générales qu’instaure le néolibéralisme crée les conditions idéales pour laisser proliférer les solutions de survie imaginaires de l’identitarisme ; les obsessions racistes, islamophobes notamment, dont a vu combien elles s’exprimaient à haute et intelligible voix dans le gouvernement, repolarisent le débat public le plus loin possible des opérations réelles de la Firme ; et pendant ce temps, la triangulation électorale va bon train.

      En cette matière, les procédés du macronisme auront été à la hauteur de ceux de la startupisation. Donner un grand entretien à Valeurs Actuelles, exprimer bruyamment l’estime en laquelle on tient ce journal, faire savoir qu’on a réconforté Zemmour à qui avaient été dits de vilains mots, s’intéresser à ses vues sur l’immigration, réfléchir ostensiblement aux mérites historiques de Pétain ou de Maurras, laisser faire avec complaisance la construction d’un empire médiatique ouvertement fasciste : toutes ces choses, qui semblent parfaitement contradictoires avec le monde raffiné des chaussures pointues, sont en fait absolument cohérentes avec son projet, si c’est d’une cohérence indirecte — et, bien sûr, vigoureusement déniée. À plus forte raison dans la dernière phase de campagne, quand il est temps de reprendre les postures avantageuses de l’ouverture et de la tolérance. Après avoir fait glisser méthodiquement tout le terrain vers l’extrême droite.

      Pour peu cependant qu’on n’omette pas de voir de quels stabilisateurs politiques réels la Firme se soutient, et que l’Étapital a les chaussures pointues qui baignent dans la merde, on aura une idée plus complète de ce que les mots « choix de société » engagent en 2022. De tous les moyens de leur faire droit, le moyen électoral est peut-être le plus imparfait, parfois même le plus trompeur. Mais, sans pléonasme ni mauvais jeu de mots, un moyen médiocre vaut mieux que pas de moyen du tout.

      Au point où nous en sommes de cette campagne, les choses sont suffisamment décantées. Il reste maintenant : la fasciste, le fascisateur, et un candidat de gauche. Normalement, c’est assez simple.

    • On nous assure une issue inéluctable : un deuxième tour entre la droite et l’extrême droite. Nous devrions alors (ré) élire Macron pour faire barrage au pire.

      Parce qu’aucune élection n’est jamais jouée d’avance.

      Parce que la gauche au second tour est chaque jour un peu plus vraisemblable.

      Parce qu’un autre avenir est possible et qu’il peut s’écrire maintenant.

      Parce que nous refusons qu’on nous confisque l’élection présidentielle et qu’on nous impose un entre-deux tours dont les seules thématiques seraient l’identité, la sécurité et l’immigration.

      Parce que nous souhaitons remettre au cœur de la vie politique un projet de société démocratique, solidaire et écologique, nous prenons la parole ensemble, pour dire que nous voterons pour l’Union Populaire représentée par Jean-Luc Mélenchon, la seule candidature aujourd’hui à même de faire entendre les voix de gauche au second tour et donc de gagner la présidentielle.

      Parce qu’il est urgent aujourd’hui d’agir contre la paupérisation, la précarisation, et l’exclusion des plus vulnérables et de retrouver une société plus juste, égalitaire et solidaire. Parce que la démocratie française a besoin de refonder ses institutions, en garantissant une représentation et une participation de toutes et de tous.

      Parce qu’il est crucial aujourd’hui de rompre avec le productivisme et le consumérisme, de lutter contre la destruction de notre écosystème, de mettre en place une planification écologique concertée et d’apporter des réponses rapides face à l’urgence climatique.

      Parce que depuis cinq ans se poursuit une implacable politique au service des riches et des puissant·es, qui s’est traduite par une dégradation et une marchandisation toujours plus poussée des services publics, par des attaques incessantes contre le droit du travail, la sécurité sociale et l’assurance chômage, les libertés publiques et académiques, mais aussi par l’inaction climatique et écologique. Parce qu’il faut en finir avec ces politiques méprisantes qui morcellent la société et favorisent la concurrence et toutes formes de violences (racistes, homophobes, sexistes, validistes…).

      Parce que nous pensons que l’enseignement et la recherche constituent un bien commun et pas un marché au service de quelques-un·es, il faut en finir avec « l’autonomie des universités » et cette gestion managériale qui dégradent dangereusement nos conditions de travail et d’étude. Parce qu’il faut rendre effectif le droit à l’éducation, il faut recruter et investir massivement dans l’enseignement supérieur et la recherche. Nous soutenons un programme où ces idées sont défendues, pour que les mesures de ces dernières années (« Bienvenue en France », Parcoursup, les lois LRU, LPR, Fioraso…) soient abrogées, pour que les libertés académiques soient garanties, pour que la précarisation des étudiant·e·s comme des personnel·les soit combattue et pour que les mots coopération, solidarité et émulation remplacent les mots excellence, sélection et compétitivité.

      Notre société a besoin d’une université libre et ouverte à toutes et tous, où sont produites, discutées et mises en circulation les connaissances dont nous avons besoin pour relever les défis contemporains et faire vivre notre démocratie.

      Nous souhaitons simplement que l’enseignement supérieur et la recherche, au même titre que l’enseignement secondaire et primaire, la justice, l’hôpital et l’ensemble des services publics retrouvent le sens de leurs missions.

      Aujourd’hui, pour ces raisons et bien d’autres, nous pensons nous aussi qu’il est de notre responsabilité individuelle et collective de prendre part à la campagne, modestement, mais de toutes nos forces, pour déjouer le scénario annoncé et remettre les combats de la gauche au centre du débat politique. Parce que chaque voix compte, nous appelons à nous rassembler autour d’un socle commun pour peser ensemble, avec chaque bulletin de vote, pour rendre possible une autre politique, émancipatrice.

      Un autre second tour est possible, un autre monde aussi.

      https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20220402.OBS56533/800-universitaires-appellent-a-voter-melenchon.html

    • En 2017, comme de nombreux cadres, tu as été séduit par Emmanuel Macron. Quoi de plus normal ? Il était l’émanation de ton milieu d’experts et de managers. Il semblait raisonnable, moderne, dynamique, il parlait ta langue. Tout le monde autour de toi votait pour lui. Il promettait même le renouveau du politique, la fin des vieux clivages. Tu y as cru. Avec enthousiasme ou pour faire barrage, tu l’as soutenu. Et cinq ans plus tard, peut-être, tu hésites.

      Nous avons le même parcours que toi, nous occupons la même position dans la société. Et pourtant en 2017, notre collectif avait déjà la conviction que Macron élu reconduirait les politiques des gouvernements précédents. En réalité, aussi loin que remontent nos souvenirs, nous n’avons jamais connu d’autre politique, alors que, de crise en crise, nous n’avons assisté qu’à une dégradation de la situation sociale et environnementale. Et, de la fondation Abbé Pierre au GIEC, les rapports se sont empilé, les grèves et marches pour le climat se sont succédé… mais rien n’a changé. Et si ça n’a pas marché, c’est parce qu’on ne serait pas allé assez loin !

      En 2022, nous entendons comme toi le chœur des gens « raisonnables ». Nos proches, nos collègues, parfois un peu déçus, nous enjoignent malgré tout à reconduire Macron. Mais est-il raisonnable de vouloir repousser l’âge de départ en retraite à 65 ans quand le taux de chômage est déjà si élevé chez les seniors ? Est-il raisonnable de s’attaquer au coût des retraites quand toutes les études – y compris celles du très officiel Conseil d’Orientation des Retraites – montrent que l’équilibre économique des régimes de retraite n’est pas menacé ? Est-il raisonnable de stigmatiser les allocataires du RSA et de leur infliger des travaux d’intérêt général comme à des délinquants et comme si c’était un choix de vivre avec si peu ? Est-il raisonnable de vouloir une relance sans limite quand la planète en paie le prix depuis des décennies ?

      En 2022, nous le constatons depuis notre position privilégiée : le projet de Macron consiste à dépecer l’État social pour le vendre étage par étage à des intérêts privés, quoi qu’il en coûte en épuisement des travailleurs, quoi qu’il en coûte en coups de matraques et en restrictions des libertés publiques. Malgré deux ans de crise sanitaire, rien n’a été fait, et rien ne sera fait, pour sortir l’hôpital de sa situation catastrophique et de la mortifère tarification à l’acte. Les services publics continueront d’être étranglés financièrement et stigmatisés, pour mieux être dépecés, et ainsi ouvrir des marchés lucratifs au secteur privé. Après l’énergie ou les transports, ce sont l’Éducation Nationale et l’Université les prochains sur la liste. Que signifie pour un établissement public qu’on va lui accorder de « l’autonomie », de « l’agilité » ? Qu’on va le privatiser. Et que signifie pour un chômeur « être acteur de son parcours » ? Qu’il devra accepter n’importe quel emploi sous-payé. Comment se traduit « simplifier le dialogue social » ? Priver les syndicats de tout moyen d’action.

      Alors, nous cadres sup, refusons cette logique. L’idéologie néolibérale est en faillite. Le système ne tient que par un discours hégémonique trompeur, des médias mainstream complaisants, l’inertie des élites au pouvoir, la violence exercée contre les contestations légitimes, ou encore l’agitation de thèmes identitaires et racistes pour détourner la colère sociale. Et quelques pourboires : les « chèques énergie » et autres primes ponctuelles, pour tenter de mettre un couvercle sur la cocotte-minute.

      Alors cher collègue, chère amie, chère consoeur, cher parent, nous t’invitons à regarder en face le monde dans lequel Macron nous engage. Ce n’est pas le seul monde possible. Il existe des alternatives sur lesquelles des intellectuels travaillent depuis des années, ou que des citoyens expérimentent sur le terrain. Des collectifs amis comme les polytechniciens d’X-Alternative ou le laboratoire d’idées Intérêt général regroupent des personnes qui, comme nous, commencent à faire sécession et apportent leur connaissance du système à cette construction d’alternatives crédibles. Et c’est précisément parce qu’il se nourrit de ces travaux que le programme de la France Insoumise nous semble aujourd’hui le plus cohérent et le plus à même d’affronter les urgences écologiques, sociales et démocratiques. Après 40 ans de ralliement sans condition de la sociale-démocratie au libéralisme, un tel programme, qui met au centre à la fois l’humain et la planète, est aujourd’hui en capacité d’accéder au deuxième tour et d’imposer un débat sur des sujets majeurs : mettre l’économie au service des besoins et non des profits, mettre en place une planification écologique, réduire les inégalités, renforcer nos services publics, etc.

      Comme pour tout programme, il reste des sujets à débattre, des propositions à préciser, les conditions de réalisation face à l’adversité doivent aussi être approfondies. Mais si ce programme s’applique, il y aura justement de nombreuses étapes démocratiques, comme les référendums ou le renforcement du Parlement.

      Mais plus que le programme, c’est peut-être la personne de Jean-Luc Mélenchon qui te retient de franchir le pas ? Il lui arrive de s’emporter c’est vrai. Il n’a pas la retenue, la maîtrise de soi et la componction de mise dans ton milieu feutré. Mais n’oublie pas que le bel Emmanuel, qui lui est si bien mis, à l’élocution si pondérée, n’a cessé de prendre des décisions autoritaires, que dans le calme de ses déclarations se cachaient les lois liberticides et que son beau sourire parvenait difficilement à masquer certains propos méprisants.

      Alors, soyons responsables. Au moment où le capitalisme menace jusqu’à l’existence de la vie même, ne poursuivons pas dans cette voie sous prétexte que le candidat qui porte une proposition de rupture parle trop fort.

      En 2022, être raisonnable c’est changer de direction avant de prendre le mur. Une opportunité se présente, saisissons là, ensemble.

      Les Infiltrés

      https://blogs.mediapart.fr/les-infiltres/blog/010422/nous-cadres-sup-voterons-melenchon

    • « La nuit, le silence, l’obscurité ! Elle permet à chacun comme en lui-même, de cultiver cette part de silence, cette part d’obscurité, sans laquelle il ne jaillit aucune fleur de soi. Voilà ce qu’est la vie, voilà aussi ce qu’est l’harmonie à laquelle nous voulons parvenir socialement. Oui, tout est fait social ! Le bruit, le silence, la nuit, la lumière ! Tout est politique ! »
      https://melenchon.fr/2022/04/03/le-bruit-le-silence-la-nuit-la-lumiere
      #MelenchonToulouse
      https://linsoumission.fr/2022/04/03/frederic-lordon-melenchon

    • « On a mené une campagne joyeuse, la gauche retrouve droit de cité dans les cités. Mais là où on perd, c’est dans la France des bourgs, les terres ouvrières, où s’étend le vote Le Pen. C’est notre prochain défi : conquérir les campagnes populaires. »


      https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere