Avoir une autre idée du marxisme – Moishe Postone, par Alain Lecomte

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  • Une vulgarisation attentive de Moishe Postone en deux parties.

    via http://www.palim-psao.fr/2023/04/avoir-une-autre-idee-du-marxisme-moishe-postone-par-alain-lecomte.html

    Avoir une autre idée du marxisme – Moishe Postone
    https://rumeurdespace.com/2023/02/21/avoir-une-autre-idee-du-marxisme-moishe-postone

    Le premier point important de la lecture de Marx par Postone me paraît être celui où il va à l’encontre d’une idée attribuée à Marx, selon laquelle la valeur d’une marchandise produite consiste dans le montant de temps de travail social nécessaire pour la produire. C’est un point important du marxisme traditionnel. Mais dit-il, cela est un point affirmé bien avant lui, notamment par Ricardo. Est-ce que Marx reprend vraiment à son compte cette idée ? Ici apparaît la façon dont nous lisons les textes. Devons-nous les lire en prenant ce qui est dit pour argent comptant ? Comme des constats indiscutables… ou bien comme des paroles rapportées ? Si l’on en croit les Grundrisse et l’analyse qu’en fait Postone, c’est la deuxième alternative qui semble être la bonne. Dans Le Capital, Marx, dit Postone, commence son exposé théorique en prenant les catégories et les concepts tels qu’ils se donnent dans le moment actuel de l’histoire, d’une façon en quelque sorte immanente. Partons de cette proposition-là puisqu’il semble qu’elle soit communément admise, se dit-il. C’est là insister sur le fait qu’il n’est pas, si on est un matérialiste convaincu, de catégorie ou de concept transhistorique, qui ne dépendrait pas de l’ensemble des conditions sociales de production de la pensée. On ne saurait penser la pensée en dehors des conditions concrètes, matérielles, qui l’ont permise. On prend toujours le train (de la pensée) en marche, on fait avec les catégories qui nous sont transmises. Ce sont des catégories historiques.

    Il n’y a, ni selon le Marx des Grundrisse, ni donc selon Postone, de notion transhistorique du travail ! Nous ne sommes pas dans une situation où il y aurait une notion anthropologique que l’on appliquerait à l’analyse d’un procès de transformation. Il y a une notion de travail qui, déjà, est intrinsèque à un système de production, en l’occurrence ici le capitalisme. Et donc, il n’y a pas de possibilité de libération d’un tel travail, pur et abstrait, qui s’échapperait des contraintes posées par le capital. Le travail dont nous parlons, c’est le travail capitaliste, c’est-à-dire inhérent à ce système. Si nous voulons nous affranchir du système, ce n’est pas en le gardant comme s’il pouvait être préservé dans un ailleurs idéal qui serait l’espace du socialisme, non, si nous voulons nous en affranchir, nous devons aussi nous affranchir du travail en ce sens-là ! On voit du même coup ce que cette critique entraîne du point de vue de la valeur. Si le travail (mesuré en temps socialement nécessaire etc.) est constitutif de la valeur, ce n’est pas le travail idéal dont il s’agit (celui que par exemple accomplirait un humain libre dans une société libre, en coupant du bois pour se chauffer ou en gravant son empreinte sur le fond d’une grotte) mais le travail capitaliste, celui qui se scinde toujours en deux moitiés : un travail « concret » et un travail « abstrait », lequel travail abstrait n’étant rien d’autre que la partie du travail qui sert à créer des rapports sociaux par un biais connu que l’on peut résumer ainsi : par le travail abstrait, je peux acheter le travail produit par d’autres, autrement dit s’élabore une société, une vie sociale, non pas par l’échange direct entre les sujets humains, mais par le biais des objets qui s’échangent entre eux par notre intermédiaire

    […]

    Et c’est là qu’apparaît le retournement opéré par Marx dans les Grundrisse : lorsqu’il posait cette thèse de la valeur engendrée par la part de travail socialement nécessaire, il ne décrivait pas un processus dépassant l’historicité, il en faisait la critique et montrait qu’il était lié à l’histoire ! Autrement dit, Marx critique le fait que ce soit pour le capitalisme (et non de manière universelle)que la valeur s’explique par la part de travail incorporée. Dans ces conditions, le capitalisme fera toujours en sorte que jamais le travail ne se libère, puisqu’il constitue, à ses yeux, la valeur. Le Capital demandera donc toujours aux travailleurs de garder la même part de travail dit « socialement nécessaire » (j’ai l’air ici de faire du Capital un « sujet », mais c’est justement ce pour quoi plaidera Postone dans l’un des chapitres de l’ouvrage : le Capital est bel et bien le Sujet de l’histoire), quitte à engendrer (comme nous le verrons par la suite) du travail en réalité… superflu !La sortie du capitalisme ne consisterait plus alors dans une « libération du travail » mais… dans son abolition.

    Marx et Postone (2) : abolir la valeur
    https://rumeurdespace.com/2023/02/28/marx-et-postone-2-abolir-la-valeur

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