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  • Assassinat de Saleh el-Arouri : le modus operandi de l’attaque - L’Orient-Le Jour
    https://www.lorientlejour.com/article/1363598/assassinat-de-saleh-el-arouri-le-modus-operandi-de-lattaque.html

    L’élimination en plein cœur de la banlieue sud de Beyrouth du haut cadre du mouvement islamiste palestinien a été possible grâce à une combinaison de moyens militaires, technologiques et humains. Et les nouvelles technologies dont dispose l’État hébreu ont constitué un élément fondamental. C’est ce que confirment plusieurs experts militaires ainsi que des spécialistes des cyberattaques.

    Comment Israël, présumé être l’auteur du meurtre et qui n’en est pas à son premier assassinat au Liban, a-t-il pu réaliser ce coup sachant qu’une personnalité aussi recherchée que Saleh el-Arouri était censée prendre les mesures sécuritaires les plus rigoureuses ? Plusieurs facteurs ont « facilité » le repérage et le ciblage du numéro deux du Hamas. Tout d’abord, l’élément humain ou, autrement dit, les opérations d’espionnage : on le sait déjà, le Liban est depuis longtemps un terrain fertile pour le recrutement d’agents pour le compte de l’État hébreu. Plusieurs rapports médiatiques publiés notamment en 2022 évoquaient déjà une déferlante de réseaux d’espionnage. Le quotidien en ligne Asas évoquait dans une enquête publiée cette année-là plus de 170 réseaux opérant sur le terrain libanais, soit plus de 10 000 agents en fonction. Un enrôlement qui aurait été entre autres facilité par la pandémie du Covid, selon une source sécuritaire citée par le site, mais pas seulement.

    En 2014, le Mossad israélien a modernisé son système d’enrôlement en recourant aux nouvelles technologies. Le service de renseignements hébreu avait lancé une campagne internationale sur les réseaux sociaux par le biais d’un nouveau site internet, destiné à attirer les candidats et promettant une bonne rémunération. Le Liban qui traverse une crise économique sans précédent depuis 2019 fait partie des pays les plus ciblés depuis. « Les Israéliens s’adressaient aux Arabes dans leur langue avec des promesses alléchantes », explique pour L’OLJ Janane Khoury, professeure en droit pénal international et conseillère en cybersécurité.

    « Il ne faut pas croire que les rémunérations offertes aux Libanais sont élevées. C’est une idée reçue », rectifie l’ancien directeur de la Sûreté générale et ancien chef adjoint des services de renseignements de l’armée, Abbas Ibrahim, probablement pour dissuader tout candidat potentiel. Il n’empêche que, selon lui, l’assassinat de Saleh el-Arouri a pu être perpétré grâce à des agents sur le terrain qui l’ont repéré et suivi depuis un certain temps. « Il y a eu des bévues probablement à cause d’une trop grande confiance dans le système sécuritaire assuré par le Hezbollah et d’un certain laxisme », commente pour sa part le général Khaled Hamadé, un officier de l’armée à la retraite. D’après lui, l’attaque contre le numéro deux du Hamas a certainement nécessité l’emploi de taupes très proches de son camp, probablement issues des rangs palestiniens, voire même des milieux du parti chiite. Une thèse que seule l’enquête, si elle devait aboutir, pourrait confirmer ou infirmer.

    Faux pas
    « Saleh el-Arouri se déplaçait beaucoup à l’intérieur comme à l’extérieur du pays et rencontrait beaucoup de gens. Il a certainement fait un ou plusieurs faux pas en défiant les règles de sécurité qui lui étaient imposées », dit Abbas Ibrahim. Parmi ces faux pas, l’éventualité de l’emploi d’un portable ou de n’importe quel dispositif produisant des émissions et la connexion aux réseaux sociaux.

    Ali Ahmad, professeur d’université en communication politique et spécialiste des réseaux sociaux, précise à notre journal que les méthodes pour le repérer sont multiples. Il a pu être notamment localisé la toute première fois « grâce à l’empreinte de sa voix qui peut être détectée par des logiciels sophistiqués sur un diamètre qui peut atteindre les 50 mètres au moins », explique l’expert. Comme Israël savait parfaitement qu’il résidait quelque part dans la banlieue sud, il n’avait plus qu’à sonder progressivement la région pour tenter de repérer sa voix, un travail toutefois de longue haleine. « Il suffit qu’il ait utilisé une seule fois le portable pour définir sa position et pour que commence la chasse à l’homme », dit M. Ahmad. « Les Israéliens ont de toute évidence l’empreinte vocale de Hassan Nasrallah. S’ils n’arrivent pas à le localiser à ce jour, c’est tout simplement parce qu’ils ne peuvent absolument pas détecter les émissions de sa voix là où il se trouve », précise encore l’expert.

    D’autres moyens auraient également pu servir pour la filature de la cible selon le spécialiste, à savoir les nouvelles plaques d’immatriculation récemment magnétisées des voitures qui peuvent donc être détectées par un système adapté. « Ce qui est notoire, c’est qu’ils ont tiré sur l’une des voitures du cortège, celle de Arouri, ainsi que sur l’appartement où il s’est rendu pour s’assurer de leur coup au cas où il aurait tardé à sortir du véhicule », décrypte le général Hamadé.

    Avion vs drone
    D’après les éléments recueillis dans le cadre de l’enquête primaire, l’État hébreu aurait eu recours, outre à un agent du terrain pour coordonner les informations, aux drones – qui prenaient des images de haute précision du lieu et des personnes ciblées – et d’un ou plusieurs avions pour lancer les roquettes. L’avion, vraisemblablement équipé de système de brouillage selon les enquêteurs, n’a de toute évidence pas été repéré par les radars de l’armée libanaise. Parmi les six roquettes qui ont visé l’emplacement où Saleh el-Arouri se trouvait, deux d’entre elles n’ont pas éclaté. C’est ce qui a permis aux enquêteurs militaires d’identifier la nature des missiles et d’en conclure que le tir a été effectué à partir d’un avion et non d’un drone qui se trouvait également dans l’espace aérien adjacent ce jour-là.
    « Ce type de roquette, appelé GBU 39 B, ou bombe de petit diamètre, est téléguidé et pèse 120 kg. Il est trop lourd pour être transporté par un drone », confie anonymement à L’OLJ une source militaire proche des services de renseignements. « De toute évidence, nous sommes en présence d’une véritable cyberguerre (cyber war) », indique pour sa part Ali Ahmad en référence au repérage et au pistage de la cible et des moyens technologiques employés pour son élimination.

    Un domaine dans lequel le Liban, classé 117e mondialement selon l’Union internationale des télécommunications, est extrêmement en retard alors qu’Israël trône parmi les 5 États les plus avancés dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, comme l’explique Mme Khoury. « Il faut que le Liban prenne conscience de la toute-puissance technologique des Israéliens qui détiennent un service militaire spécialisé, appelé l’“unité militaire 8200” relevant du ministère de la Défense. Ce service, qui recueille toutes sortes de données à des fins de renseignements militaires, est l’un des plus grands au monde », précise l’experte. « Avec près de 500 sociétés parmi les plus performantes implantées sur son sol, l’État hébreu couvre ainsi tous les domaines de la cybersécurité et de l’espionnage », ajoute-t-elle.

    La puissance technologique dont dispose les services israéliens est très impressionnante. Le rapport de force semble sans aucune mesure avec le Hezbollah sous cet angle. Force en tout cas est de constater que ce dernier n’a jamais pu mener d’opération de ce type contre des politiques ou des militaires israéliens, faute peut-être aussi de réseaux de renseignement implantés sur place.