• Privilèges, pathologie et pouvoir
    Paul Krugman - 2 Janvier 2016

    Etre riche voilà qui peut être mauvais pour l’âme. Il ne s’agit pas seulement d’un vénérable extrait de croyance populaire ; c’est la conclusion de sciences sociales sérieuses, et confirmée par des analyses statistiques et des expériences. En, moyenne, les gens riches sont moins enclins à exprimer de l’empathie, moins susceptibles de respecter les normes et même les lois, plus susceptibles de tricher que ceux qui sont situés quelques échelons plus bas sur l’échelle sociale.

    Et même si l’on n’a pas de confirmation statistique, il est évident que l’extrême richesse peut faire de terribles dommages spirituels. Prenons quelqu’un dont la personnalité aurait pu n’être que désagréable dans des circonstances normales, et donnez-lui le genre de richesse qui lui permet de s’entourer de lèche-bottes et qui lui permet généralement d’obtenir ce qu’il veut. Il n’est pas difficile de voir comment il pourrait devenir égocentrique de façon presque pathologique et ne se souciant pas des autres.

    Que se passe-t-il donc pour un pays qui donne un pouvoir politique toujours plus important aux super riches ?

    L’Amérique moderne est une société dans laquelle une partie grandissante des revenus et des richesses est concentrée dans les mains d’un petit groupe de personnes, et ces personnes ont une gigantesque influence politique – dès les prémices de la campagne présidentielle 2016, environ la moitié des contributions sont venues de moins de 200 familles très riches. L’inquiétude habituelle quant à cette marche vers l’oligarchie c’est que les intérêts et les préférences politiques des très riches sont très différents de ceux de la population générale, et c’est très certainement là le plus gros problème.

    Mais il est également vrai que ceux qui deviennent puissants grâce à une politique fondée sur l’argent sont dans une grande proportion des égomaniaques pourris gâtés. Ce qui m’amène au cycle d’élection actuel.

    L’illustration la plus évidente de ce que je tente de démontrer est l’homme qui est aujourd’hui en tête au sein des républicains. Donald Trump aurait probablement été un vantard et une brute quelles que soient ses fonctions sociales. Mais ses milliards l’ont isolé de toutes les contraintes extérieures qui limitent les tendances des gens à se comporter en narcissistes complets ; personne n’a jamais été dans la position de lui dire « Vous êtes virés ! ». Et le résultat, c’est ce visage que l’on ne cesse de voir à la télé.
    Mais Trump n’est pas le seul milliardaire centré sur lui de manière affolante qui joue un rôle démesuré dans la campagne 2016.

    Dernièrement, des informations intéressantes à propos de Sheldon Adelson, le magnat du jeu de Las Vegas nous sont parvenues. Adelson a été impliqué dans certaines procédures judiciaires assez complexes, qui tournent toutes autour d’affirmations de fautes lors d’opérations à Macao, en lien avec le crime organisé et la prostitution. Au vu de son activité, cela n’est peut-être pas très surprenant. La surprise est venue de son comportement au tribunal, puisqu’il a refusé de répondre à des questions générales et s’est disputé avec la juge, Elizabeth Gonzales.

    Ainsi qu’elle l’a fait remarquer à juste titre, les témoins ne font pas ça.
    Puis Adelson a acheté le plus grand journal du Nevada. Alors que la vente était finalisée, on a dit aux journalistes du journal de tout laisser tomber et de se mettre à suivre les faits et gestes des trois juges, Gonzales y compris. Et alors que le journal n’a jamais publié aucun résultat de cette enquête, une attaque contre Gonzales, avec ce qui ressemble fort à une légende fictive, est apparue dans un petit journal du Connecticut dont le propriétaire est l’un des associés d’Adelson.
    Très bien mais pourquoi s’en soucierait-on ? Parce que les dépenses politiques d’Adelson font de lui un acteur de premier plan dans la politique républicaine - à tel point que les journalistes parlent régulièrement de la « primaire Adelson », dans laquelle les candidats font un pèlerinage jusqu’à Las Vegas pour signifier leur obéissance.

    Existe-t-il des cas similaires ? Oui, même si le degré d’égomanie n’atteint pas le niveau d’Adelson. Par exemple, je me surprends à penser au milliardaire de fonds spéculatifs Paul Singer, un autre très puissant au GOP, qui publia une lettre d’un investisseur déclarant que l’inflation était omniprésente – il le voyait grâce aux prix de l’immobilier dans les Hampton et des œuvres d’art de luxe. Les économistes ont bien ri de l’incident, mais réfléchissez simplement à la dose d’égocentrisme requise pour écrire quelque chose comme ça sans se rendre compte de la façon dont les non milliardaires vont le recevoir.

    Ou pensons à tous ces milliardaires qui, il y a quelques années, déclaraient, très sérieux et sans aucun signe d’embarras, que le Président Barack Obama faisait du tort à l’économie en laissant à penser que certains hommes d’affaire s’étaient mal comportés. Eh oui, vous comprenez, il les avait vexés.
Que les choses soient claires, la raison la plus importante pour s’opposer au pouvoir de l’argent en politique, c’est la façon dont il permet aux riches de truquer le système et de fausser les priorités politiques. Et la raison majeure pour laquelle les milliardaires détestent Obama c’est ce qu’il a fait à leurs impôts, pas à leurs sentiments. Le fait que ceux qui achètent de l’influence soient aussi des gens horribles n’est que secondaire.

    Mais ce n’est pas trivial. L’oligarchie, le pouvoir dans les mains de quelques-uns, a également tendance à devenir le pouvoir par des égoïstes monstrueux. Narcisstocratie ? Abrutigarchie ? En tous les cas, ce n’est pas beau à voir et cela va probablement être encore pire au cours de l’année qui nous attend.
    Source : http://www.rtbf.be/info/article/detail_privileges-pathologie-et-pouvoir-paul-krugman?id=9175855

    #200_familles aussi aux USA. Interpelant ! #trump #milliardaires #truquages #obama #olligarchie #usa #Las_vegas #journalistes #presse

    • Ce gars est très intéressant. Ses chroniques économiques sont parfois ardues et elles sont l’oeuvre d’un économiste non révolutionnaire. Dans ce contexte, elles sont généralement d’une belle rudesse argumentée à l’encontre des pyromanes égocentriques du système capitaliste.

    • Autre gars intéressant, Benoit Boussemart
      http://richessem.eklablog.com , La richesse des Mulliez et les grandes fortunes
      Je ferai une émission en direct avec lui ce Mercredi 6 janvier, sur Radio Campus Lille à 12h
      Je mettrai l’émission en ligne sur SeenThis.

      Des économistes intéressants, il y en a plein, et on ne les retrouve que trés rarement dans le figaro, l’obs, libé, le monde . . .
      Mais non, ce n’est pas de la censure. M’enfin,qu’est ce que vous croyez !