Stéphane Bortzmeyer

Je suis un homme du siècle dernier, j’essaie de m’adapter, mais je n’en ai pas vraiment envie.

    • Je suis partagé sur ce texte. J’apprécie la partie sur « l’humanité » : effectivement, pour tuer de sang-froid, il faut certainement avoir perdu cette capacité à percevoir l’autre (ou certains autres) comme un être humain à part entière et pas juste comme le symbole de quelque chose qu’on déteste (et en ce sens ce serait une erreur de faire de même avec les terroristes en question, de ne pas les percevoir comme des êtres humains avec leur histoire, leurs souffrances et leurs motivations). Et pour avoir perdu cette capacité il faut sans doute que la balance entre humanité reçue et violence vécue soit bien déséquilibrée.

      Je suis en revanche beaucoup moins convaincu par le passage sur la lecture et le sens critique :

      Celui qui n’a jamais lu, émerveillé par le pouvoir de l’écriture, grisé par le fait d’apprendre, ce qui est nouveau pour lui, ne voudra plus jamais rien lire d’autre de peur de perdre cette magie initiale. Il se radicalisera et basera sa vie sur un seul et unique livre ou sur une seule et même idée. N’ayant jamais appris à être critique, il abhorrera ceux qui le sont.

      Combien de vies auraient été sauvées si, avant de rencontrer un manipulateur, les futurs terroristes avaient appris à lire et à apprendre, à construire leurs propres idées, à critiquer ?

      La « culture » n’a jamais été une protection contre la violence ou l’intolérance. Comme le souligne Bernard Lahire dans son bouquin sur l’illettrisme, on associe souvent analphabétisme et violence potentielle, tout en oubliant que les cadres du FN (entre bien d’autres) sont souvent sortis de l’université ou des grandes écoles.
      En ce sens je crois beaucoup plus en la force des « valeurs » (et dans le fait d’essayer d’être cohérent, autant que possible, avec ces valeurs) qu’en celle de la « culture ». On peut avoir des valeurs « humanistes » très fortes avec un niveau d’éducation « peu élevé », ça n’a rien d’incompatible. Et on peut avoir un très haut niveau d’éducation, lire des livres toute la journée, et avoir des idées parfaitement fascistes.

    • cf. http://mypersonnaldata.eu/blog/index.php?d=2015/01/08/12/47/38-ou-est-charlie

      Quelques imbéciles [ici, un lien vers l’article de Ploum, ndla], refusant toute culture politique, appellent à s’en prendre à la cause du terrorisme... en s’en prenant aux pauvres et aux « sous-éduqués ». Bien sûr, ces abrutis sont applaudis par d’autres abrutis désireux de conserver leurs privilèges et leur mode de vie. La cause du terrorisme, c’est principalement l’impérialisme, ce sont ces pays qui en envahissent et en attaquent d’autres pour leur prendre leurs ressources sous couvert d’y apporter la liberté et la démocratie. Avec le succès qu’on connaît. L’impérialisme crée 2 types de terroristes : ceux qui sont victimes de l’impérialisme, et ceux qui le défendent. Ces pays impérialistes, ce sont les USA, la France, l’Allemagne, Israël, le Royaume Uni, la Russie, etc. Sauf que pour remettre en cause l’impérialisme, encore faudrait-il en avoir conscience et donc accepter à la fois d’avoir une culture politique et aussi de remettre en cause notre société. Alors qu’il est tellement facile de s’en prendre à une frange de la population, les pauvres, pour changer. C’est tellement pratique d’oublier que, non, tous les terroristes ne viennent pas d’un environnement pauvre, qu’ils ne viennent pas tous de familles « défavorisées », qu’ils ne défendent pas tous une vision très particulière de l’Islam. J’en veux pour preuve Anders Breivik, qu’on oublie bien facilement et qui fit 77 morts. Enfin, lui, je suppose que ça compte pas, n’est-ce pas ? Après tout, les terroristes, ils sont pauvres, sous-éduqués, défendent l’Islam, n’est-ce pas ?

    • Car ce ne sont pas les terroristes qui menacent la liberté d’expression, mais la Loi. Seule la Loi peut limiter les libertés, et de ce point de vue, cela fait des dizaines d’années que nous perdons du terrain, dans l’indifférence quasi-générale. Où étaient tous les Charlie pendant SOPA, ACTA, la Loi sur la Programmation Militaire ?