Controverse autour des chômeurs qui gagneraient plus qu’en travaillant, Bertrand Bissuel
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Edouard Philippe et Muriel Pénicaud ont affirmé qu’un chômeur sur cinq reçoit une allocation supérieure à ses rémunérations antérieures.
Colère des syndicalistes et perplexité de plusieurs économistes. L’exécutif a déclenché une vive controverse, mardi 26 février, en dévoilant quelques-unes de ses pistes pour transformer le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi. « Il faut que le travail paye toujours plus que le chômage », a lancé Edouard Philippe. Or ce n’est pas forcément le cas, a poursuivi le chef du gouvernement, lors d’une conférence de presse à Matignon. Présente à ses côtés, Muriel Pénicaud, la ministre du travail, a précisé qu’un chômeur indemnisé sur cinq touche une allocation supérieure à la moyenne de ses rémunérations mensuelles perçues antérieurement. Un tel « dysfonctionnement » résulte de règles qu’il faut modifier, a-t-elle affirmé.
Pour défendre une réforme politiquement sensible, l’exécutif s’est donc prévalu d’arguments chocs, qui ont scandalisé les leaders des confédérations de salariés. La statistique mentionnée par Mme Pénicaud est « caricaturale » et permet au pouvoir en place « de dire que les chômeurs profitent du système », s’est indigné Laurent Berger, numéro un de la CFDT. Les autres centrales ont réagi sur le même ton.
Qu’en disent les économistes, qui connaissent bien les rouages de l’Unédic – l’association paritaire chargée de piloter l’assurance-chômage ? « Je ne vois pas bien comment le gouvernement parvient au ratio évoqué. Mais je ne dis pas que c’est radicalement impossible », confie Bertrand Martinot, ancien responsable de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Chercheuse au Centre d’études de l’emploi et travail (CEET), Claire Vivés s’interroge : « Cette statistique correspond sans doute à quelque chose, mais comment a-t-elle été construite ? »
Travail continu ou fractionné
« Par Pôle emploi », répond l’entourage de Mme Pénicaud, en indiquant que des compléments d’information seront apportés dans les prochains jours. Le point mis en exergue par la ministre tient aux modalités de calcul de la prestation, qui sont épouvantablement complexes. Au cœur du problème, il y a en particulier le salaire journalier de référence (SJR), sur lequel est basé le montant final de l’allocation. D’après le ministère du travail, le SJR peut, dans certaines situations, conduire à l’octroi d’une indemnisation plus importante que le salaire mensuel moyen de la personne quand elle exerçait une activité. Un peu plus de 600 000 inscrits à Pôle emploi se trouveraient dans ce cas de figure.
« Je pense que l’ordre de grandeur avancé par le gouvernement est juste. Il illustre une thématique que j’avais déjà abordée dans un livre en 2013 », raconte Bruno Coquet, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Dans cet ouvrage (L’Assurance chômage, L’Harmattan), le chercheur compare la situation de deux personnes ayant travaillé six mois dans l’année pour un salaire mensuel identique. La seule différence entre elles réside dans le fait que l’une a travaillé de manière continue, tandis que l’autre a été employée de façon fractionnée. « Avec les règles de calcul applicables, on parvenait à la conclusion que l’allocation de la deuxième personne correspondait à près de 160 % de son revenu mensuel moyen, soit un pourcentage deux fois plus élevé que celui de la première. Les dispositions en vigueur aboutissent donc à des inégalités, qu’il convient de corriger », explique M. Coquet.
Chercheur associé à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), Jacques Freyssinet considère que la question « est connue de longue date, mais elle n’est devenue problématique qu’avec la prolifération des CDD très courts, observée depuis une quinzaine d’années ». Sous-entendu : le phénomène dénoncé par le gouvernement a attiré l’attention car il concerne un nombre grandissant d’individus.
« Si les paramètres de l’Unédic changent, ce sont des personnes en situation précaire qui vont en faire les frais », insiste Mme Vivés.
Il ne faut pas perdre de vue une autre dimension importante ; derrière le chiffre brandi par Mme Pénicaud, il y a des « demandeurs d’emploi dont l’indemnisation porte sur des petits montants », insiste Mme Vivés : « Si les paramètres de l’Unédic changent, ce sont des personnes en situation précaire qui vont en faire les frais. »
Tout en partageant certains des constats dressés par l’exécutif, M. Coquet souhaite que le gouvernement agisse de façon mesurée, en mettant sur la table tous les éléments : « Il faut un diagnostic précis et partagé – ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle – afin de bien informer le débat public, plaide-t-il. Les changements à venir peuvent être de grande ampleur, pour des populations à petits revenus, ce qui peut justifier des réformes graduelles. » M. Freyssinet, lui, se montre circonspect sur la suite : si le sujet a été placé sur le devant de la scène « pour justifier la lutte contre les CDD très courts, on peut le comprendre », remarque-t-il. En revanche, « s’il s’agit de préparer une réduction des droits des plus précaires, l’appréciation est différente ».
Le gouvernement a conscience de tous ces enjeux, assure une source proche du dossier. Celle-ci ajoute que la réforme ne se limitera pas à une nouvelle formule pour calculer l’allocation des chômeurs et que tout sera fait pour améliorer l’accompagnement des plus fragiles.