Débordée par le Covid, l’Éducation nationale envoie des pions remplacer des enseignants (ben voyons !)
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Des professeurs considérés comme « vulnérables » sont remplacés par des surveillants sans formation ni rémunération adéquates, d’après une enquête de Mediapart. Face à l’augmentation des cas de Covid diagnostiqués chez les enseignants, leur vaccination est envisagée à partir de la « mi-fin avril », a annoncé mardi Emmanuel Macron.
« Qui êtes-vous pour donner des cours d’anglais à ma fille ?! Vous n’êtes qu’une pionne. » Julie* n’a pas attendu qu’un parent formule cette question pour se la poser. En poste depuis trois ans, cette assistante d’éducation (AED) s’est retrouvée pour la première fois propulsée derrière le bureau d’un professeur en décembre, dans un collège de l’académie de Rennes. Trois mois plus tard, en plus de son travail de surveillante, elle assure toujours des cours. Et d’après notre enquête, elle est loin d’être la seule.
Depuis la crise sanitaire, les enseignants considérés comme vulnérables sont autorisés à faire cours par visioconférence, avec des AED chargés de surveiller leur classe en présentiel. Soit. Mais lorsque le télétravail est impossible, ces professeurs bénéficient d’une « autorisation spéciale d’absence » (ASA) et, faute de remplaçants disponibles dans les pools dédiés des académies, de plus en plus d’établissements bricolent et font appel aux pions.
Pour sa part, Lise* a découvert son nouvel emploi du temps un lundi matin, affiché en salle de vie scolaire : « Il était écrit que nous devions être présents pour un nouveau dispositif appelé “Aide Maths”, “Aide Anglais”… Personne n’avait été prévenu à l’avance, il n’y avait pas d’autre information. » Avec d’autres surveillants, dans ce collège de l’académie de Nantes, ils comprennent qu’ils doivent assurer les cours des professeurs en « autorisation spéciale d’absence », en plus de leur travail habituel. Ce n’est certes pas à eux de préparer les leçons : les enseignants transmettent des exercices, des évaluations, des vidéos, parfois des cours théoriques. Mais c’est bien aux AED d’animer seuls la classe, de faire interagir les élèves et de répondre à leurs questions.
Une situation « compliquée » qu’ont vécue Julie, Camille*, Clarisse* et Aurore*, AED dans des établissements différents, et qui ont toutes requis l’anonymat pour se confier à Mediapart. « Au départ, nous devions seulement surveiller les cours en visioconférence d’une professeure de sciences de la vie et de la terre, confie ainsi Aurore, qui travaille depuis septembre 2020 dans un collège de l’académie de Lille. Mais c’était trop compliqué à mettre en place. Alors, elle nous a envoyé des polycopiés que nous avons dû distribuer en classe. Sauf que plusieurs fois, on s’est retrouvés sans travail complet ni consignes claires. »
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Des AED sont « livrés à [eux]-mêmes » devant des classes difficiles. « Les élèves s’étaient mis d’accord pour mettre le bazar, se souvient Aurore. Ils se levaient à tour de rôle, faisaient tomber leurs règles, criaient des mots au hasard. Je ne pouvais rien faire, c’était l’horreur. » Julie note cependant que certaines classes l’ont déjà remerciée. « C’est mieux que le distanciel pour eux. Ça permet de limiter la casse. »
Sollicité par Mediapart, le ministère de l’éducation nationale ne confirme pas ce phénomène inédit ni ne dément. Il se borne à évoquer « des situations locales très tendues » et « des solutions pragmatiques trouvées par des chefs d’établissement qui doivent faire au mieux ».
Marion Fontaine, journaliste indépendante, signe là son premier article dans Mediapart.