• Ghassam Salamé. « L’ordre occidental s’effrite »
    Alain Gresh > Henri Mamarbachi > 8 novembre 2021
    https://orientxxi.info/magazine/ghassam-salame-l-ordre-occidental-s-effrite,5134

    Orient XXI. — Comment expliquer le retrait sans honneur des États-Unis d’Afghanistan après vingt ans de présence militaire et plus de 2 300 milliards de dollars (1982 milliards d’euros) dépensés, selon le président américain Joe Biden ?

    Ghassam Salamé. — Une explication tient au fait que les États-Unis ont « privatisé » une grande partie de leurs opérations extérieures. Il se crée dans les pays où ils interviennent un réseau économique et financier qui en devient le bénéficiaire principal. Je l’ai vu en Irak en 2003 avec les Républicains qui plaçaient des jeunes gens pour leur donner une expérience. Puis les sociétés privées de sécurité intervenaient, jouant dans un premier temps un rôle de suppléant pour protéger des hôpitaux militaires. Ensuite a été développée une véritable industrie chargée du recrutement des interprètes et de leur formation jusqu’à parvenir à remplacer l’armée elle-même. J’ai vu des soldats américains qui débarquaient en Irak être peu de temps après employés par ces sociétés (privées) qui les payaient bien mieux.

    Ce système économique florissant est tel qu’il empêche de se poser la question sur ce qui se passe réellement dans le pays. En Afghanistan, quand on évoque les budgets dépensés toutes ces années, on omet de préciser que 40 % environ de cet argent est revenu aux États-Unis.

    Ainsi, l’« American way of war » est d’abord un système qui crée des bénéficiaires américains. Ils se transforment en un lobby qui a intérêt à ce que rien ne change, car ils en vivent. L’Afghanistan en est le cas le plus clair. Cette économie a représenté plus du tiers, voire 50 % du budget américain sur place en Irak et en Afghanistan et retourne au pays. Donald Rumsfeld, ancien faucon et secrétaire d’État au Pentagone, s’est chargé d’organiser ces sous-traitances.

    J’avais rencontré Rumsfeld avec le premier ministre libanais en 2001. Il nous avait dit qu’une fois Al-Qaida éliminée, l’Afghanistan ne les intéressait pas ; or, si leur présence a été si longue, c’est qu’il y avait des gens que ça intéressait. Pour les membres de l’Alliance atlantique, il n’y avait plus de raisons de rester et ils se sont désengagés peu à peu. (...)