Dans le cas de la jeune femme bordelaise, le ton est radicalement différent. Pas de tournures passives pour elle : on parle bien de ses actions.
« Celle-ci l’aurait poussé au sol, puis frappé à plusieurs reprises »
« Celle-ci avait violemment réagi en le faisant chuter à terre et en s’acharnant sur lui »
Les actes sont décrits et elle en est le sujet. Contrairement à l’autre cas, qui ne les décrit qu’avec un « Une jeune femme […] après avoir été volontairement percutée par son compagnon ». Le vocabulaire utilisé n’est pas ce qu’on pourrait s’attendre à voir dans un fait divers : « violemment réagi » « s’acharner »… Des mots qui insistent particulièrement sur la violence de l’agression, alors que le fait divers est censé être factuel, d’une, et de deux, le deuxième cas arrive à garder un ton plutôt neutre, qui minimise la notion de violence, alors qu’il décrit littéralement un meurtre tout aussi brutal sans motif, contrairement à la jeune femme qui était harcelée.
Ou, comme le dit l’article, « importunée ». Importuner est un verbe qui a pour synonymes « agacer », « déranger », « ennuyer », et même « distraire ». Son utilisation n’est absolument pas anodine. On minimise ainsi les faits : un homme en état d’ébriété harcelait une jeune femme, ou plus. Le harcèlement de rue pouvant très vite passer d’un « tu me passes ton numéro ? » aux menaces de mort lorsque l’homme en question est sobre, on se doute que la situation n’était pas aussi simple que les
articles veulent faire croire.
Qui plus est, les deux articles mettent en évidence la disproportion de sa réaction : « il l’a juste draguée un peu et elle l’a tuée violemment, s’est acharnée sur lui », c’est le message qui en ressort. Ce n’était pas une réaction défensive, mais un meurtre de sang-froid. Le vocabulaire utilisé suscite ainsi l’émotion. L’injustice. La colère.
Du côté du 20 minutes, on retrouve bien un « motif » pour le meurtre de la jeune femme, mais on tombe encore une fois dans le fameux drame conjugal.
Différend amoureux
Selon une source proche du dossier, le jeune homme aurait d’abord voulu faire passer son acte pour un accident avant de reconnaître les faits. « On s’oriente vers une qualification criminelle de meurtre », a précisé le magistrat, indiquant que le parquet de Libourne devrait être rapidement dessaisi au profit du parquet de Bordeaux.
Les motifs exacts de ce drame restent pour l’heure inconnus mais la piste du différend amoureux semble privilégiée. L’enquête a été confiée à la brigade de recherches de la gendarmerie de Libourne.
Un « différend amoureux ». Tout comme la « dispute », fréquemment utilisée dans le cadre des homicides conjugaux, le différend répartit les torts. Puisque c’est quelque chose que l’on fait à deux, la victime est en partie responsable. Les violences et meurtres commis par des hommes sur leur conjointe sont fréquemment justifiés par les émotions violentes. Ne pouvant supporter une rupture ou un conflit, il l’a tuée, parce que les hommes « ne savent pas gérer leurs émotions ». Notez au passage que la disproportion des réactions des hommes dans ces articles n’est pas utilisée contre eux : elle est même généralement utilisée par leurs avocats pour insister sur la détresse du meurtrier, et souvent par les journalistes pour créer de l’empathie, consciemment ou non.