• Une stratégie européenne pour la gauche | Frédéric Lordon
    https://blog.mondediplo.net/2017-11-06-Une-strategie-europeenne-pour-la-gauche

    Avec l’admirable conscience professionnelle des boussoles qui indiquent le Sud, Jean Quatremer et ses semblables n’ont pas manqué de décréter la question de l’euro définitivement « tranchée » par l’élection de Macron. Mais, à la fin des fins, qu’une boussole indique le Sud n’est pas un problème, pourvu qu’elle l’indique avec constance — ce qui est assurément le cas en l’occurrence. Il n’y a plus qu’à regarder dans la direction opposée pour s’orienter avec sûreté. La prédiction australe posée, nous savons donc maintenant avec certitude que « la question européenne » est tout sauf close, et qu’elle ne manquera pas de revenir. Pour une bonne et simple raison d’ailleurs : c’est que, par paraphrase inversée du Manifeste du parti communiste, un spectre hante la gauche — l’Europe. Si la dernière élection a confirmé quelque chose, c’est bien que l’euro est l’hypothèque posée sur toute stratégie de conquête du pouvoir à gauche. Même les débris de la social-démocratie ont fini par s’en apercevoir, un peu tard cependant, et, mettant les bouchées doubles pour rattraper un si long silence, pensent avoir trouvé avec le « parlement de l’euro » de quoi racheter vingt-cinq ans d’errements. C’est que, si plus personne ne croit, ni même ne peut entendre, la promesse devenue outrageante de « l’Europe sociale », celle de « l’Europe démocratique » a pris le relais — en apparence plus fraîche, mais en réalité aussi résolument creuse.

    • Les termes réels de l’équation européenne à gauche :

      1. Il n’est pas de politique progressiste qui ne verrait ses dispositions les plus centrales interdites par les traités européens.

      2. Soustraire les contenus substantiels de certaines des plus importantes politiques publiques aux délibérations d’une assemblée ordinaire, pour les sanctuariser dans des traités ne répondant qu’à des procédures de révision extraordinaires, est une anomalie qui disqualifie radicalement toute prétention démocratique.

      3. Seule une révision des traités propre à instituer un véritable parlement, auquel serait rendue l’intégralité des domaines de décision actuellement hors d’atteinte de toute redélibération souveraine, est à la hauteur du projet de rendre l’Europe démocratique.

      4. En l’état actuel des choses, une telle révision fera l’objet d’un refus catégorique de l’Allemagne qui, serait-elle mise en minorité dans le débat européen, préférerait l’intégrité de ses principes à l’appartenance à l’Union.

      Que ce soit sous l’espèce d’un parlement pantomime, en fait privé de toute voix au chapitre sur les questions fondamentales et réduit à la figuration résiduelle, ou bien, a fortiori, sous toute proposition qui envisagerait d’aller plus loin, l’Allemagne (sans doute accompagnée) dira non. On peut donc si l’on veut persister dans l’erreur ou la cécité volontaire un certain temps, mais pas trop quand même. Comme jadis « l’Europe sociale », « l’Europe démocratique » n’aura pas lieu. Il s’ensuit que, si elle reste accrochée à l’illusion d’un « autre euro », c’est la gauche au pouvoir qui n’aura pas lieu non plus.

    • Toujours cette rhétorique indigeste (avec, au passage, pour la bonne figure, évocation de Marx, du matérialisme et de la lutte de classe - mais ceci pour abuser qui ?) ... pour promouvoir, en guise de solution transitoire, la vieille lune protectionniste de la sortie de l’euro.

      Il n’y a pas à s’étonner que Lordon s’intéresse au sort de la gauche, de cette gauche (gouvernementale, gestionnaire) qui a rompu depuis des décennies avec toutes perspectives révolutionnaires pour adopter la boussole de la collaboration de classe, car, en lui proposant, pour se requinquer, de faire sienne une vieille diversion nationaliste, il reste sur le même terrain.

      Sur ce terrain, la division de la société en deux classes fondamentales antagonistes, l’existence d’un prolétariat international uni par les mille liens de la mondialisation capitaliste, renforcé numériquement par le développement des forces productives, n’existent pas. Tout au plus y a-t-il opposition d’une « oligarchie financière », impersonnelle et désincarnée aux « peuples souverains » - Lordon, du reste, n’a jamais conçu les transformations qu’il appelle de ses vœux que par le haut, par un changement des institutions et finalement par l’intervention des États nationaux.

      Il faudra bien un jour s’en rendre compte : en présentant les institutions européennes comme responsables de l’austérité et de toutes les attaques subies par les travailleurs, Lordon n’a jamais fait que ce que les souverainistes « de droite » ont toujours fait : rendre l’Union européenne, l’euro et la mondialisation responsables de tous les maux de la société indépendamment de la domination de la bourgeoisie. C’est-à-dire se refuser de désigner les capitalistes en chair et en os, camouflés derrière les abstractions qu’il dénonce. Et ainsi, fondamentalement, à l’instar de tout nationaliste qui se respecte, dédouaner la bourgeoisie française et tous les gouvernements successifs à son service.

      Le principal danger que représentent les idées souverainistes, c’est qu’elles obscurcissent la conscience des opprimés en leur désignant des leurres et des boucs-émissaires plutôt que de les aider à comprendre les mécanismes réels de la société et de l’économie.

      Quand ceux que ce monde révolte comprendront que, derrière la prose insupportable de Lordon, ne se trouvent, somme toute, que ces idées-là, des idées qui ne sentent pas meilleurs que les pièges nationalistes portées par l’extrême-droite, on aura peut-être commencé à faire un petit pas.

    • La « gauche de gouvernement », elle, refuse depuis 1982-1983 de mettre en œuvre une politique correspondant aux attentes du bloc social qui la porte au pouvoir. Cette coalition politique, dominée par le PS, est donc condamnée à rechercher un électorat alternatif qui soutiendrait les options fondamentales autour desquelles s’articule sa politique économique : l’intégration européenne et les « réformes structurelles » néolibérales, éventuellement adoucies par une politique sociale « active » et/ou une politique macroéconomique tournant le dos à l’austérité. Les groupes susceptibles d’appuyer une telle orientation se caractérisent par un revenu et un niveau d’éducation relativement élevés ; c’est pourquoi on peut qualifier de « bloc bourgeois » le front qu’ils constitueraient. Son cœur serait formé des cadres supérieurs de la fonction publique, traditionnellement rattachés au bloc de gauche, et des cadres du secteur privé, qui font plutôt partie du bloc de droite.

      La stratégie politique correspondante n’est pas nouvelle et a été explorée avec des succès limités par les divers représentants de la droite du PS : M. Jacques Delors appelait en 1985 « les sages de tous les camps » à se mettre d’accord sur une politique économique qui ne varierait que peu suivant les alternances politiques ; Michel Rocard, prenant la tête du PS après la défaite aux législatives de 1993, cherchait dans un « big bang » une solution de rechange à l’alliance traditionnelle du PS avec le PCF.

      Celui qui l’incarne actuellement de la façon la plus flagrante est M. Macron, qui, malgré ses prétentions à la nouveauté, revendique un « ni droite ni gauche » souvent utilisé dans le passé. On peut facilement deviner le programme économique dont il est porteur à la lecture de ses œuvres de jeunesse, le rapport Attali, comme à l’examen de son parcours de ministre, avec la loi Macron. Ses orientations de politique économique, pro-intégration européenne, favorables aux privatisations, à la « libéralisation » du marché du travail, correspondent à la tentative de constituer un « bloc bourgeois » qui serait dominant.

      Il y a toutefois un obstacle à ce projet. Cet électorat est constitué de groupes sociaux diplômés et aisés mais socialement et politiquement minoritaires. Une stratégie réaliste impliquerait donc de rechercher une médiation susceptible d’agréger d’autres troupes. Comme le projet économique repose sur des réformes néolibérales rejetées par la majorité de l’ancien bloc de gauche, le renfort proviendrait le plus vraisemblablement de fractions appartenant au bloc droitier (indépendants, professions intermédiaires). Ce serait là une solution aux contradictions internes de la droite : rejeter dans la minorité politique les catégories les plus hostiles aux « réformes structurelles » pour s’allier aux groupes de l’ancien bloc de gauche qui y sont le plus favorables. Cette majorité politique resterait probablement sociologiquement minoritaire.

      Étrange démocratie française : depuis trente-cinq ans, les programmes des grands partis de gouvernement ne correspondent pas aux attentes économiques des classes populaires, qui représentent pourtant plus de la moitié du corps électoral. Contrairement aux idées en vogue sur l’effacement des clivages idéologiques, les aspirations des ouvriers et des employés dessinent un bloc social de gauche.

      Majorité sociale, minorité politique par Bruno Amable
      https://www.monde-diplomatique.fr/2017/03/AMABLE/57285

    • « Dans un monde où l’argent règne, son manque rend esclave, sa possession devient domination, et son accumulation tyrannie »

      Nous sommes aujourd’hui face à une situation qui peut laisser perplexe…
      La taxe de 3% sur les dividendes, instaurée sous le quinquennat de François Hollande, a été invalidée par le conseil constitutionnel.
      Cette taxe visait à compenser une perte de recettes budgétaires de de près de 5 milliards (qui elle-même datait du quinquennat du gouvernement de Nicolas Sarkozy dont faisait d’ailleurs parti Bruno Le Maire)
      Elle visait à encourager les entreprises à réinvestir leurs bénéfices plutôt que de distribuer des dividendes.
      Assez rapidement, les spécialistes de droit fiscal avaient alerté sur l’incompatibilité de cette taxe avec le régime fiscal des sociétés-mères et de leurs filiales au sein de l’Union européenne.
      Le président Hollande avec l’appui de son fidèle conseiller économique de l’époque Emmanuel Macron, avait décidé d’introduire, une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés.
      Cela allait dans le bon sens, mais sans surprise, la mesure a été retoquée par le Conseil Constitutionnel après l’invalidation partielle de la Cour de Justice européenne.

      Une façon de persister dans l’erreur qui laisse songeur…

      En 2015, la Commission européenne avait mis la France en demeure au sujet de cette taxe.
      A ce moment-là, la facture était seulement estimée entre 2 à 3 milliards d’euros.
      On peut donc se demander pourquoi l’État a maintenu cette taxe sous sa forme aussi longtemps.

      Il ne s’agit donc pas tout à fait de gérer un imprévu …. mais plutôt de faire un correctif nécessaire suite à une gestion juridique que l’on pourrait qualifier dans le meilleur des cas, d’hasardeuse ….

      Peu importe si notre président actuel s’occupait précisément de la fiscalité des entreprises à cette période…
      Peu importe si de nombreux membres de la majorité actuelle ont participé au vote de cette loi et ont accepté l’amendement invalide au regard de la constitution.
      Et enfin, peu importe si des parlementaires devenus ministres de l’actuel gouvernement ont voté tout cela…

      Nous voilà rassurés…

      Désormais, en tenant compte des pénalités et des intérêts, la facture a donc grimpé à près de 10 milliards.
      Voyant la douloureuse arriver, le nouveau gouvernement a décidé de simplement supprimer la taxe de 3% sur les dividendes au lieu de la remanier pour la rendre applicable.
      Pour le reste Bercy propose la solution que vous connaissez…

      Au grand désespoir du Medef, la moitié sera financée par une nouvelle taxe exceptionnelle et ponctuelle pour les grandes entreprises et l’autre moitié par le contribuable.

      Il est peut-être temps de réformer le Conseil Constitutionnel dont la composition et l’orientation idéologique pose question.

      En effet, ses membres, que la presse qualifie curieusement de « sages », peuvent interpréter la constitution et décider de l’équilibre entre intérêts économiques particuliers et intérêt général…

      Et ils semblent avoir souvent fait primer la défense de l’ordre économique établi, et donc des privilèges des multinationales, sur les objectifs de justice sociale et fiscale empêchant de ce fait toute forme de vision alternative.

      Les grands groupes en jouent, comme le démontre l’enquête de Mathilde Mathieu pour Mediapart qui nous parlent des “portes étroites” : ces contributions informelles, qui sont commandées à d’éminents professeurs de droit constitutionnel ou à des cabinets d’avocats spécialisés, moyennant rémunération de plusieurs dizaines de milliers d’euros, et envoyées au Conseil pour tenter d’influencer sa décision.

      Le conseil constitutionnel a ainsi censuré de nombreuses mesures législatives bénéfiques à l’intérêt général ces dernières années :
      – la proposition de taxer les très hauts revenus à 75% sur la dernière tranche,
      – la loi Florange, censée mettre fin aux « licenciements boursiers » en imposant des pénalités aux entreprises qui fermeraient des sites rentables.
      – la taxe sur les dividendes.
      – ils se sont également opposé aux sanctions contre les lobbyistes, qui ne respecteraient pas les obligations liées aux registres, imposant un minimum de transparence de leurs activités, à l’Assemblée ou au Sénat.
      – ils ont même censuré la disposition prévoyant une aide financière aux lanceurs d’alerte.

      Étonnamment , nous n’avons pas eu de réaction du Conseil Constitutionnel sur la baisse des APL, sur la casse du code du travail, sur les pertes de liberté individuelles, ou le démentellement de la protection sociale qu’il s’agisse de l’assurance chômage ou de l’assurance maladie.

      Ne nous trompons pas.

      Il ne s’agit pas là d’une fatalité insurmontable pour la France comme pour l’Europe, qui nous empêche de rendre notre société plus juste mais d’un basculement idéologique !

      Comme le dit très justement Emmanuel Todd « Dans un monde où les inégalités de revenus primaires s’accroissent dans des proportions démesurées, les riches, exigent et obtiennent que leurs impôts diminuent.

      Ils veulent toujours moins d’État, toujours moins de fonctionnaires. Nous n’avons plus affaire à une logique d’efficacité économique, mais à une dynamique de pouvoir. Ce glissement inquiétant, de la recherche du profit à celle du pouvoir, traduit la mutation du capitalisme, passé par étape du stade industriel au stade financier. »

      Profitons de ce projet de loi de Finance rectificative pour nous poser la bonne question :

      Quelle fiscalité pour quelle société ?

      De l’argent, il y en a. Mais il est capté par les uns au lieu d’être mis au service de l’intérêt général par l’impôt.
      Le système fiscal doit être entièrement refondé sur des bases justes et claires, en appliquant le principe de la progressivité qui veut que plus on gagne d’argent, plus on contribue au bien public.
      Nous considérons que le partage entre salariés et actionnaires est injuste et inefficace, et que la fiscalité doit davantage taxer l’économie financière.

      Louise Michel avait raison : « notre plus grande erreur, fût de n’avoir pas planter le pieu au cœur du vampire : la finance » !

      Ce système, non seulement ne fonctionne pas, mais il détruit des millions de vies. Vous avez sacrifié le code du travail ! Vous avez piétiné la loi qui protégeait les plus faibles, vous avez supprimé l’ISF…
      Il faut renverser les perspectives et orienter l’économie vers de nouvelles valeurs.

      Il est indispensable que l’accumulation des biens et la thésaurisation de capitaux financiers soient très sérieusement encadrées et qu’une fiscalité plus juste réduise les écarts extravagants qui ne cessent de se creuser.
      L’argent a perdu sa vocation initiale qui était de favoriser les échanges entre les hommes pour devenir une finalité en soi.
      Introduit dans tous les aspects de la vie, développé de manière démesurée, il devient un écran qui nous sépare. Accumulé, il consolide la séparation entre ceux qui le maitrisent et ceux qui en subissent le manque.
      Dans un monde où l’argent règne, son manque rend esclave, sa possession devient domination, et son accumulation tyrannie.

      En effet, les réalités concrètes de nos quotidiens ne peuvent se résumer aux seules lois de l’argent et du marché.
      Et vous savez aussi bien que moi que cet argent ne reviendra jamais dans le circuit de l’économie réelle et qu’aucun emploi ne sera créé !
      C’est clair, nous avons donc deux visions différentes de l’économie.
      Comme certains d’entre vous le savent peut-être, le terme « crise » en chinois provient de l’association de deux notions : danger et opportunité.

      Derrière la crise du système capitaliste débridé, il y a aussi une opportunité : nous saisir de cette bifurcation pour redonner sa place à l’humain.
      Commençons par construire une fiscalité plus respectueuse des gens et de leur environnement, une fiscalité socialement et écologiquement responsable !
      Mettre l’économie au service de l’humain c’est résister à une mondialisation dépersonnalisante et destructrice, mais c’est aussi réaffirmer la volonté de partager les biens et les richesses créées par le travail.

      La dérive des institutions, l’abstention de masse, l’uniformité médiatique, le rétrécissement du débat politique aux dogmes de la « pensée unique », font prévaloir les normes néolibérales.
      Pour stopper la folie des marchés, il faut juste que le peuple se mette en mouvement et cela commence par chacun d’entre nous.
      L’explosion des inégalités, de la précarité et de la pauvreté, les violations répétées de la démocratie, le dénigrement des rapports humains basés sur la solidarité et la coopération, tout ceci, en apparence inéluctable, dépend entièrement de nos choix politiques.

      Par exemple, Vous aviez le choix d’augmenter l’ISF mais vous l’avez supprimé.
      Vous aviez le choix de renforcer les droits des travailleurs, mais vous les avez dégradés.
      Vous aviez le choix de permettre véritablement l’accès au soin pour tous, mais vous avez supprimé les cotisations sociales concernant l’assurance maladie, ce qui contribue à fragiliser son financement.
      Vous aviez le choix de permettre à chaque bachelier d’avoir une place dans l’université de son choix et vous laissez perdurer un système qui généralise le tirage au sort.

      Des exemples parmi tant d’autres qui reflètent le délitement de l’état.
      Un état qui a renoncé à protéger les plus faibles.
      Un état qui abandonne peu à peu son rôle : être présent sur tout le territoire.
      Un état qui permet à la population de consommer des produits alimentaires toxiques et qui recule sur le CETA et le glysphosate.

      Je conclurai avec Jean-Claude Bresson-Girard :

      « Après la fin du développement, la décroissance soutenable, avec la sortie de la société de marché qu’elle implique, est la réponse logique pour permettre à l’humanité d’échapper aux conséquences désastreuses de la barbarie consumériste, pour que l’humanité s’accomplisse comme l’humanité, si tel est son désir, en prenant conscience d’elle-même. »

      https://lafranceinsoumise.fr/2017/11/06/discours-percutant-de-muriel-ressiguier